Droit au but

Les dossiers médicaux électroniques

au cœur de grandes transformations à venir – II

Christiane Larouche et Serge Dulude  |  2018-05-02

Bien que leur mise en œuvre et leur utilisation ne soient pas encore homogènes, les dossiers médicaux électroniques (DME) représentent déjà l’une des plus intéressantes sources de données sur les soins de santé en première ligne au Québec. Dans une série de deux articles, nous vous proposons un tour d’horizon de quelques-uns des défis et des enjeux présents et futurs. Voici donc notre deuxième article sur le sujet.

Me Christiane Larouche, avocate, travaille au Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Le Dr Serge Dulude, omnipraticien, est directeur de la Planification et de la Régionalisation à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

La valeur de ces données, conjuguées à l’évolution technologique, sera sans conteste le moteur le plus puissant de l’évolution des DME afin qu’ils contribuent à la transformation des soins primaires au cours des prochaines années.

L’évolution nécessaire des DME

Les besoins informationnels des médecins ont évolué de façon considérable au cours des dernières années. Comme ils font maintenant équipe avec d’autres professionnels, l’utilisation d’un seul dossier clinique qui répond à leurs besoins individuels et collectifs est souhaitable.

Nous recevons beaucoup d’appels de nos membres qui té­moignent de certaines difficultés avec leur DME. La majorité porte sur des questions de sécurité, de partage d’accès aux données ou de migration des données lors d’un change­ment de lieu d’exercice. Sur ce dernier point, les contrats avec les fournisseurs de DME sont souvent imprécis quant aux coûts, aux délais et aux garanties de bonne pratique pendant la migration. Nous avons toujours soutenu que la migration devrait se faire dans un délai n’excédant pas 20 jours d’une demande, et ce, gratuitement ou à des coûts très raisonnables1. Malheureusement, nous avons été informés de plusieurs situations conflictuelles avec des fournisseurs de DME à ce sujet et avons encouragé nos membres à demander l’assistance de la Direction générale des technologies de l’information du MSSS.

Devant la persistance, voire l’aggravation de ce problème, la Direction générale des technologies de l’information du MSSS nous a indiqué qu’elle publierait prochainement un guide portant sur la migration des données et qui fera état de ses recommandations et de ses attentes à l’égard des fournisseurs.

D’autres problèmes vécus par les utilisateurs de DME sont indiqués dans une récente analyse conjointe de l’INESSS et de l’unité de soutien à la stratégie de recherche axée sur le patient (SRAP)2, dont :

h des difficultés d’accès aux données des DME pour faire des extractions : coûts onéreux des fournisseurs, lenteurs, absence d’accès aux données en temps réel et format des données peu adapté aux besoins des utilisateurs ;

h des difficultés liées à l’interruption du processus décisionnel occasionnées par la nécessité de consulter des ressources non intégrées au DME ;

h des difficultés liées au partage d’informations entre les professionnels causées par l’absence d’interopérabilité et d’intégration des systèmes ;

h des difficultés liées à l’absence de culture d’évaluation et d’amélioration continue de la qualité des soins.

Par ailleurs, plusieurs besoins auxquels les DME ne satisfont pas actuellement ont été repérés par l’analyse de l’INESSS et de l’unité de soutien à la stratégie de recherche axée sur le patient, dont :

h le besoin d’un outil ou d’une plateforme permettant aux cli­ni­ciens d’accéder directement aux données contenues dans les DME pour analyser et améliorer leurs pratiques ;

h le besoin d’outils accessibles et intégrés directement dans le DME, comme des outils d’aide à la décision clinique ou des outils de rappels ;

h le besoin d’intégration des données du patient contenues dans le DME pour éviter les doubles saisies ;

h le besoin d’accès aux données des autres cliniciens participant au suivi d’un patient tout au long du continuum de soins ;

h le besoin de pouvoir évaluer et comparer sa pratique individuelle et celle de son groupe dans le cadre d’une prati­que réflexive2.

Les données des DME ont une valeur inestimable pour permettre aux professionnels d’améliorer leurs pratiques, autant sur une base individuelle que collective. Encore faut-il que ces données soient pertinentes et homogènes pour être utiles aux fins visées, que ce soit par exemple pour assurer le suivi de certains indicateurs de santé ou la gestion du continuum de soins. Il est donc crucial de faire évoluer les DME afin qu’ils demeurent des outils pertinents et adaptés à la pratique. Pour ce faire, il est grand temps de redonner aux utilisateurs une voix à ce chapitre.

La protection de la sécurité et de la confidentialité

Il s’agit, selon nous, d’un enjeu que plusieurs médecins sous-estiment. Bien qu’ils confient l’hébergement des données de leurs patients à des fournisseurs de services, les médecins ont toujours la responsabilité de s’assurer que l’entreposage et la conservation se font de façon sécuritaire dans le respect de leurs obligations déontologiques et légales et des recommandations du Collège des médecins du Québec. De plus, la signature de contrats avec des fournisseurs de services informatiques et des services d’hébergement ne dispense en rien les médecins de l’obligation d’adopter des prati­ques appropriées dans leur milieu. À cette fin, dif­fé­rentes mesures de­vraient être mises en place dans lescli­ni­ques mé­di­cales sur le plan des ressources matérielles, humaines et organisationnelles, comme :

h une politique informationnelle ;

h des procédures de sécurité ;

h des procédures pour assurer la confidentialité ;

h un registre d’attribution et de gestion des profils d’accès ;

h un plan d’urgence et de relève, etc.

Les médecins qui ont été privés de l’accès à leur DME pen­dant une journée de travail, qui ont éprouvé des diffi­cultés technologiques comme un virus ou un piratage ou, pire, ceux qui ont perdu même temporairement des données appartenant à leurs patients ont appris à leurs dépens que ce genre d’inci­dent est possible et qu’il vaut mieux s’y préparer pour en réduire le plus possible les conséquences par­fois désastreuses3,4.

Pour bien comprendre les enjeux relatifs à la protection de la confidentialité et à la sécurité des données, de nouvelles connaissances et compétences sont nécessaires5. Elles permettront notamment de mieux comprendre les rôles et les responsabilités des utilisateurs et des fournisseurs de services informatiques ou d’hébergement concernant les DME. Ses connaissances aideront à mieux comprendre l’importance des contrats avec le fournisseur et des garanties des services et de protection qu’il y a lieu d’obtenir. Elles vous permettront également d’adopter de bonnes pratiques dans votre milieu.

Il est à noter que les GMF en sites privés accédant au réseau de la santé (RTIM) sont tenus de respecter des exigences informatiques liées au programme des GMF. Le non-respect de ces exigences pourrait entraîner des conséquences, dont le débranchement du réseau. La Direction générale des tech­nologies de l’information du MSSS a regroupé toutes les informations sur l’informatisation des GMF sur une page Internet de son site. Elle a également créé quelques fiches explicatives sur les bonnes pratiques en matière d’informatique à l’attention des GMF6.

La télémédecine

Le Collège des médecins du Québec est aujourd’hui plus ouvert à l’utilisation des nouvelles technologies dans le cadre des consultations à distance demandées par un collègue médecin et n’exclut pas que les consultations à distance puissent être appropriées dans d’autres contextes7.

Cela dit, malgré les nouveaux services de téléconsultation qui se développent progressivement, seuls ceux qui sont rendus en établissement conformément à la Loi sur les services de santé et les services sociaux8 sont couverts par le système public d’assurance maladie9.

Il faut reconnaître que certaines situations ou conditions pourraient s’avérer propices à des consultations à distance en soins de première ligne. Par exemple, les symptômes urinaires, les yeux rouges ou le suivi de patients atteints d’une maladie chronique comme le diabète pourraient sans doute être traités à distance de façon sécuritaire, notamment par l’équipe clinique faisant le suivi habituel.

Pour assurer une utilisation sûre et efficace des techno­lo­­gies dans un contexte de soins à distance, différentes ques­tions nécessitent une réflexion :

h Quels services cliniques devraient être offerts à distance ? Et pourquoi ?

h Quels outils technologiques permettraient de répondre aux besoins démographiques, cliniques et organisationnels entourant la prestation de tels services ?

h Les services de télémédecine devraient-ils être offerts directement aux patients ou seulement aux professionnels de la santé ?

h L’utilisation de tels services améliorera-t-elle la qualité des soins, l’état de santé des patients et l’efficience des professionnels ?

Le cadre légal

Le Collège des médecins du Québec doit adopter prochainement un nouveau règlement sur les dossiers cliniques qui rendra obligatoire le recours aux DME d’ici quelques années. Le règlement imposera vraisemblablement de nouvelles obligations concernant certaines fonctionnalités obligatoires des DME. Il modifiera également certaines règles concernant la conservation et le transfert des dossiers. Il devrait en principe obliger les médecins à obtenir des garanties contractuelles leur permettant de respecter leurs obligations déontologiques, ce qui pourrait nécessiter une révision des contrats de DME.

Comme nous l’avons déjà souligné, il est souhaitable que le Québec se dote d’un encadrement légal plus adapté aux besoins de communication et d’échange d’informations dans le secteur de la santé et des services sociaux. La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur public et le secteur privé10 ainsi que la Loi concernant le cadre technologique des échanges d’informations devraient notamment être actualisées. C’est à suivre !

La gouvernance

Dans leur récent avis au MSSS sur l’utilisation des données cliniques issues des DME, l’INESSS et l’unité de soutien à la stratégie de recherche axée sur le patient ont conclu à un manque de concertation, de vision claire et de gouvernance en ce qui a trait au DME2. Nous sommes en accord avec ce constat et croyons également à l’urgence de mettre en place un système de gouvernance permettant d’assurer l’avenir des DME en soins de première ligne.

L’unité de soutien à la stratégie de recherche axée sur le patient et l’INESSS recommandent plus spécifiquement la création d’une entité chargée de coordonner l’évolution des DME sous la gouverne du MSSS. Composée de différents acteurs clés, cette entité devrait mettre en place en priorité les actions suivantes :

h clarifier les rôles, les droits et les obligations relatifs à la propriété, au partage et à la protection des données cliniques pour permettre aux utilisateurs d’avoir accès aux données contenues dans les DME ;

h mettre en place un processus permanent de travail collaboratif avec les fournisseurs de DME pour répondre aux besoins évolutifs des utilisateurs ;

h apporter les modifications nécessaires au cadre légal pour obtenir un consentement prospectif et global des pa­tients permettant l’utilisation des données contenues dans les DME à des fins autres que la seule prestation de soins et services ;

h mettre en place des stratégies pour favoriser la pratique réflexive.

D’autres recommandations particulières étaient également présentées :

h concevoir des stratégies permettant la production de données pertinentes, valides, complètes et facilement interprétables ;

h mettre en place des processus et des outils soutenant la pratique réflexive ;

h élaborer un répertoire de métadonnées sur les données contenues dans les DME afin de faciliter la recherche d’information ;

h valoriser la capacité des DME à produire des informations pertinentes concernant l’organisation des soins ;

h favoriser l’adoption, l’élaboration et l’intégration d’outils d’aide à la décision ;

h élaborer des stratégies de formation pour l’utilisation optimale des DME.

Le rôle de la FMOQ

En bref, la FMOQ souhaite participer activement à l’évolution des DME. Après le succès du Programme d’adoption des dossiers médicaux électroniques et la mise en place de nouvelles mesures pour favoriser l’utilisation continue des DME, la FMOQ veut soutenir ses membres pour qu’ils puissent faire face aux importants enjeux et défis des DME. À cet égard, une véritable collaboration des divers intervenants concernés est nécessaire pour protéger les acquis et développer de nouveaux projets. //

Bibliographie

1. Larouche C. Mise en œuvre des dossiers médicaux électroniques. Les réponses à vos questions les plus fréquentes. Le Médecin du Québec 2016 ; 51 (4) : 69-71.

2. INESSS. Utilisation des données cliniques issues des dossiers médicaux électroniques à des fins de recherche et d’amélioration continue de la qualité des soins et services de première ligne. Québec : l’INESSS ; 2018.

3. Garnier E. Dossiers médicaux électroniques au Canada, Poursuites et plaintes contre les médecins. Le Médecin du Québec 2017 ; 52 (11) : 14-15.

4. Garnier E. Les DME sont fiables, mais jusqu’à quel point ? Cas de poursuites. Le Médecin du Québec 2017 ; 52 (11) : 10-3.

5. Larouche C. DME et mesures de sécurité. Le Médecin du Québec 2014 : 49 (3) : 59-61.

6. Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Informatisation des GMF. Québec : le Ministère ; 2016.

7. Collège des médecins du Québec. Le médecin, la télémédecine et les techno­logies de l’information. Montréal : le Collège ; 2015.

8. Publications Québec. Loi sur les services de santé et les services sociaux. LRQ, chapitre S-4.2, articles 108.1 et 108.2. Québec ; 2017.

9. Publications Québec. Loi sur l’assurance maladie. LRQ, chapitre A-29. Québec ; 2017.

10. Publications Québec. Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. LRQ, chapitre P-39.1. Québec ; 2017.

11. Publications Québec. Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. LRQ, chapitre A-2.1. Québec ; 2017.