Ajustement de la psychothérapie avec l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle pourrait avoir une nouvelle fonction : optimiser un traitement en cours. Ainsi, elle peut, chez des patients atteints de douleurs dorsales, choisir chaque semaine la meilleure modalité d’une psychothérapie et réduire le temps de travail des thérapeutes.
L’intelligence artificielle s’immisce maintenant dans le domaine de la psychologie. Et elle ouvre de nouvelles perspectives. Elle pourrait ainsi permettre d’ajuster l’intensité de la psychothérapie de patients souffrant de douleurs dorsales en fonction des réponses qu’ils fournissent sur leurs progrès. La méthode donnerait des résultats au moins aussi bons que ceux d’une approche habituelle, selon une étude publiée dans le JAMA Internal Medicine1. En outre, ce système réduirait de moitié le temps que les thérapeutes consacrent aux patients.
Aux États-Unis, des chercheurs, le Dr John Piette, de l’Université du Michigan, et ses collaborateurs, ont recruté 278 patients souffrant de douleur chronique au dos dans le système de soins du Department of Veterans Affairs. Les participants ont d’abord reçu un podomètre pour mesurer leur nombre de pas et un manuel de dix modules leur présentant huit techniques d’adaptation à la douleur. Tous ont ensuite pu suivre une forme une ou autre de thérapie cognitivo-comportementale pendant dix semaines pour améliorer leur fonctionnement quotidien. Le traitement ciblait les processus de pensées nuisibles et favorisait les comportements adaptatifs.
Les 168 sujets du groupe expérimental ont testé un système d’appels interactif reposant sur l’intelligence artificielle. Les participants recevaient chaque jour un bref coup de téléphone au cours duquel ils devaient indiquer leur nombre de pas et donner des informations, notamment sur leur sommeil, l’intensité de leur douleur, l’interférence de cette dernière dans leur quotidien, l’utilisation des techniques d’adaptation et leurs progrès vers les objectifs comportementaux fixés. À la fin de la semaine, le système déterminait, en fonction de leurs réponses, s’ils allaient avoir une consultation téléphonique de 15 ou de 45 minutes avec un thérapeute ou encore un message enregistré par celui-ci.
Quand un entretien de 15 minutes était sélectionné, l’intervenant employait la séance à renforcer les acquis du patient et discutait avec lui des obstacles freinant l’emploi des techniques d’adaptation. Quand il disposait de 45 minutes, il abordait en priorité les difficultés liées à l’emploi des techniques d’adaptation ainsi que les progrès sur le plan de l’activité physique. Le patient pouvait également aborder trois problèmes.
La troisième option était une séance avec le système automatisé qui comprenait un message enregistré du thérapeute. Ce dernier avait conçu son intervention en fonction des réponses du sujet lors des appels quotidiens. Il soulignait donc les progrès du patient, faisait des liens entre la douleur et des éléments indiqués par le participant et effectuait un renforcement.
Comment l’algorithme choisissait-il le type de séance qu’aurait le participant ? Son but était d’optimiser l’état futur du patient. Chaque semaine, le système évaluait ce dernier selon un score composé de manière égale du nombre de pas effectués et de l’interférence que causait la douleur dans la vie quotidienne. L’algorithme calculait ensuite la valeur que ce score pourrait avoir selon chacun des trois choix de thérapies. Progressivement, il apprenait à raffiner ses décisions. C’est d’ailleurs ce type d’algorithme que Netflix et Amazon utilisent pour effectuer leurs recommandations.
Les 110 participants du groupe témoin, eux, avaient droit toutes les semaines à des séances de 45 minutes par téléphone avec le psychothérapeute. Dans les deux groupes, à chaque séance, les patients devaient choisir un objectif comportemental et recevaient un nombre de pas quotidien à atteindre de 10 % supérieur à celui qu’ils effectuaient.
Les patients ont été évalués au bout de trois et de six mois avec le Questionnaire Roland-Morris sur l’incapacité (QRMI). Le test comporte 24 questions sur les répercussions de la lombalgie sur différents aspects de la vie quotidienne : la capacité de marcher ou de s’habiller, le besoin de rester coucher ou de se reposer à cause de la douleur, les limitations causées par le mal de dos, etc.
Dans cette étude de non-infériorité, les chercheurs américains sont parvenus à des constats intéressants. Ainsi, au bout de trois mois, les patients dont la thérapie était choisie par intelligence artificielle n’ont pas eu des résultats inférieurs à ceux du groupe témoin sur le plan du fonctionnement quotidien.
Mais il y a plus. Au bout de six mois, la proportion des sujets dont le fonctionnement s’était amélioré de manière cliniquement significative était plus importante dans le groupe expérimental que dans le groupe témoin (37 % contre 19 % ; P = 0,01). En outre, la douleur avait diminué de manière cliniquement significative chez un pourcentage plus important de patients pour lesquels l’intelligence artificielle avait été utilisée (29 % contre 17 % ; P = 0,3).
Avantage important, le recours à l’algorithme a permis de diminuer le temps de travail du psychothérapeute. Ainsi, dans le groupe expérimental, 46 % des séances ont consisté en messages venant du système automatisé, 42 % en un entretien de 15 minutes et 13 % en un appel de 45 minutes. Les patients de ce groupe n’ont globalement eu besoin que de 30 % du temps que l’intervenant consacrait au groupe témoin.
Les thérapeutes, toutefois, passaient environ 15 minutes à préparer les messages enregistrés. En tenant compte de cette tâche, le temps qu’ils accordaient au groupe expérimental était quand même la moitié de celui qui était réservé au groupe témoin.
Que pense de cette approche une psychologue spécialisée dans le traitement de la douleur ? « Dans un contexte comme celui du Québec, elle est hyperpertinente, parce qu’on n’a pas les ressources nécessaires pour bien aider la population, estime la Dre Gabrielle Pagé, qui pratique à l’Unité de gestion de la douleur Alan Edwards de l’Hôpital général de Montréal. L’idée sur laquelle repose l’étude est, en soi, intéressante, mais il faut savoir que l’intervention cognitivo-comportementale dont il est question ne visait pas du tout la santé mentale. Son objectif était d’améliorer le fonctionnement de la personne souffrant de douleur chronique. »
Le type de thérapie utilisé par les chercheurs n’était par ailleurs pas celui qu’emploient les cliniques de la douleur. « Le fonctionnement fait partie des aspects que l’on aborde, mais n’est pas l’unique but de la thérapie. En psychologie, on a rarement un effet direct sur l’intensité de la douleur. Nos objectifs sont donc plus généraux. On vise, par exemple, l’amélioration de la qualité de vie qui, elle, passe par le fonctionnement dans la vie quotidienne, le degré de détresse associé à la douleur, les limitations, l’adaptation à la douleur chronique, les changements de rôle qu’elle peut entraîner, etc. Nous avons donc beaucoup plus de composantes psychologiques », indique la Dre Pagé, également professeure et chercheuse au Département d’anesthésiologie et de médecine de la douleur de l’Université de Montréal.
L’intelligence artificielle pourrait-elle quand même optimiser le temps du thérapeute ? Peut-être. « Comme psychologue, je sais après une ou deux rencontres qu’une personne aura besoin de rendez-vous de 30 minutes ou d’une heure. Cependant, l’intelligence artificielle permettrait peut-être de le faire plus rapidement et plus précisément. »
L’intérêt de la méthode du Dr Piette et de son équipe ne tient pas qu’à l’intelligence artificielle. Chaque jour, les patients du groupe expérimental recevaient un appel automatisé leur demandant entre autres d’indiquer leur nombre de pas. « Cette mesure peut motiver le patient à en faire plus. Est-ce qu’à elle seule, elle a pu amener une amélioration ? », s’interroge la Dre Pagé. Plusieurs questions restent en suspens. « Au-delà de cette mesure, quelle est la part de l’intelligence artificielle et celle de l’intervention du psychologue dans les progrès du patient ? L’étude ne permet pas de le déterminer. »
Le système d’appels automatisé présentait par ailleurs un autre grand avantage : la cueillette de données sur chaque participant du groupe expérimental. Il créait ainsi une précieuse banque d’informations. « Comme les cliniciens, le système ne peut prendre des décisions efficaces sur le cours de traitement que s’il dispose d’une rétroaction venant d’évaluations fiables et valides sur l’état du patient au fil du temps », notent les chercheurs. D’autres méthodes permettant d’obtenir ce type de données devraient aussi être explorées, estiment-ils : les textos, les applications des téléphones intelligents, le téléchargement des relevés du podomètre, etc.
« Cette étude est dans la lignée de la médecine personnalisée qui s’est rapidement développée ces dernières années, affirme la Dre Pagé. La base est de recueillir davantage de données sur l’état des patients. Des avancées technologiques intéressantes se préparent. Ils vont nous aider à offrir des soins plus individualisés fondés sur les besoins des patients et les choix que l’on pourrait leur proposer. »
Les résultats de l’essai clinique américain sont donc prometteurs, mais seraient-ils les mêmes chez les patients des cliniques de la douleur ? Les participants présentaient un profil différent de cette clientèle. « Les sujets de l’étude sont des anciens combattants sélectionnés à partir de leur dossier médical, indique la Dre Pagé. Ils devaient avoir un degré de douleur de modéré à grave. Cependant, leurs maux de dos leur causaient peu de détresse psychologique, selon les données de l’article. Ils ne cherchaient donc pas nécessairement des soins pour leur douleur. C’était la population idéale pour le type d’intervention testé. »
Les sujets aidés par l’intelligence artificielle ont d’ailleurs semblé particulièrement aimer la formule : 82 % ont été au bout des dix séances contre 57 % dans le groupe témoin. « C’est peut-être en partie parce que dix séances de 45 minutes avec un psychologue étaient trop pour les besoins des patients témoins. »
Les sujets du groupe expérimental, eux, ont été récompensés pour leur persévérance. Dans ce volet, un plus grand nombre a vu la douleur diminuer. « Il n’est pas surprenant que l’intensité de leur douleur ait été réduite s’ils étaient plus actifs et plus en forme. Souvent, quand on demande aux gens de bouger davantage, cela leur fait peur parce qu’ils craignent d’accroître leur douleur. Il faut vraiment briser ce cercle vicieux », explique la psychologue.
L’intelligence artificielle ouvre ainsi de nouvelles portes. Elle pourrait permettre de sélectionner le meilleur type de soins pour un patient tout au cours de son traitement. « Cette approche va dans le même sens que les soins de santé mentale par paliers, explique la Dre Pagé. L’Université d’Ottawa fait beaucoup de recherches sur cette méthode dans le domaine de la douleur chronique. Le système consiste à établir une gradation des soins dans laquelle les personnes commencent par recevoir des traitements automatisés. Quand les résultats ne sont pas satisfaisants, on augmente un peu l’intensité des soins offerts. Si l’intelligence artificielle peut nous aider à mieux cerner le degré de soins requis, ces modèles-là pourraient éventuellement permettre de raccourcir les listes d’attente ou de faire moins d’essais-erreurs. »
L’intelligence artificielle a toutefois besoin de données pour fonctionner. Et cela peut poser un problème. « On n’a pas vraiment les structures nécessaires dans les établissements publics. L’accès aux données est compliqué. Il y a beaucoup d’obstacles. Cependant, dans dix ou vingt ans, ces approches auront énormément progressé, et on sera complètement ailleurs », estime la chercheuse.
Mais d’ici là beaucoup de travail reste à faire. « Il faudra différentes avancées comme le perfectionnement des algorithmes, la collecte de plus de données, etc. On est encore au tout début du recours à l’intelligence artificielle en psychologie. C’est un champ de recherche qui a un bel avenir. » //