En fin... la facturation

Vous devez témoigner en cour

comment serez-vous payé ?

Michel Desrosiers  |  2022-05-31

Un huissier vient de vous remettre une assignation à comparaître dans une dispute entre un de vos patients et son employeur. On vous ordonne de vous présenter en cour pour témoigner et d’apporter votre dossier des consultations avec ce patient. L’audition se tiendra un jour où vous deviez être à votre cabinet, ce qui vous fera sans doute perdre votre journée. Comment serez-vous rémunéré ?

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Bien qu’il y ait eu une accalmie durant la pandémie, la Direction des affaires professionnelles se fait souvent poser cette question par des médecins assignés à comparaître. Ces derniers supposent qu’ils pourront soumettre une facture à la partie qui les convoque pour leur temps de préparation et leur présence à la cour. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Témoin ordinaire ou expert

D’abord, quelques précisions ! Il y a deux types de témoins : les témoins dits ordinaires et ceux dits experts. Un témoin ordinaire est appelé à témoigner sur des faits qu’il a observés. Quel était le comportement d’une personne lors de sa visite à votre cabinet ? Est-ce qu’elle s’exprimait clairement et de façon cohérente ou est-ce qu’elle se contredisait et semblait confuse ? Le témoin informe la cour pour que le juge soit en mesure de tirer les conclusions requises en fonction de l’état de la personne. Le témoin peut être un passant qui se trouvait par hasard à proximité au moment de l’arrestation musclée d’un sans-abri ou quelqu’un qui a eu connaissance d’événements dans le cadre de ses activités professionnelles.

Un témoin expert est appelé à donner son opinion parce que les connaissances générales du juge ne lui permettent pas de tirer les conclusions requises à partir des faits portés à sa connaissance. Un tel témoin ne sera habituellement pas le médecin traitant de la personne en cause. Il doit prendre connaissance du dossier et formuler une opinion sur son contenu (notes, résultats de laboratoire, radiographies, découvertes du pathologiste) ou examiner le patient dans un but précis de contestation (évaluation pour le compte d’un assureur de l’état d’une personne qui prétend être en invalidité ou évaluation pour le compte d’un employeur de l’aptitude d’un employé à reprendre le travail).

La partie qui assigne le témoin ordinaire ne lui demande pas s’il souhaite témoigner et n’offre pas de rémunération. Le témoin est choisi parce qu’il a vu les événements qui seront débattus devant la cour ou en a eu connaissance. Dans un certain sens, la cour n’a pas le choix du témoin ordinaire. C’est le sort qui détermine qui peut agir comme témoin ordinaire.

Le témoin expert, par contre, est sollicité par une des parties en fonction de sa disponibilité, de son champ d’expertise, de son indépendance par rapport à la situation ou de la personne en cause et de la rémunération attendue. L’expert est tout à fait libre de refuser un mandat pour des raisons personnelles, par manque de disponibilité, parce que c’est hors de son champ d’expertise, parce qu’il pourrait être en conflit d’intérêts ou parce que la rémunération offerte est inadéquate. Bref, la situation entre les deux est radicalement différente.

Le témoin expert devra consigner dans un rapport son opinion et les faits sur lesquels il se base pour tirer ses conclusions. Le rapport devra être déposé bien avant l’audition et communiqué à la partie adverse. Comme le témoin expert est payé par une des parties, qui a retenu ses services, il ne recevra pas d’assignation à comparaître et sera avisé des dates envisagées pour l’audition afin de prévoir son horaire en conséquence. Il sera rémunéré pour son temps de préparation, la rédaction de son rapport, les discussions avec l’avocat qui le mandate, sa présence à la cour et le temps de son témoignage.

Le témoin ordinaire n’a pas à produire ni à déposer de rapport avant sa comparution. Il pourra devoir apporter le dossier d’un patient (dossier papier ou copie du contenu du DME). Il est possible qu’il doive revoir son dossier et l’analyser avant de se présenter en cour pour être en mesure de répondre aux questions qui lui seront posées. Pour ce temps de préparation, il pourra négocier une rémunération et des moyens de réduire son temps de présence à la cour avec la partie qui l’assigne. Malgré ces distinctions, les tribunaux accordent parfois à des professionnels appelés à témoigner le traitement des témoins experts. Toutefois, le témoin ne sera pas plus rémunéré pour sa présence à la cour, du moins pas par une des parties prenantes au litige. C’est généralement le règlement sur les indemnités et les allocations payables aux témoins cités à comparaître dans les cours de justice qui en fixe les règles. L’indemnité est versée par demi-journée ou journée complète pour le temps de présence, en plus des indemnités de repas et des frais de déplacement. Lorsque le témoignage dure plusieurs jours, des frais d’hébergement peuvent s’ajouter selon les quantum établis par le Conseil du trésor (encadré).

Encadré

L’Entente prévoit la rétribution de certains médecins lorsqu’ils agissent comme témoin. Par exemple, les médecins rémunérés selon le mode des honoraires fixes qui agissent comme témoins ordinaires reçoivent la différence entre leur traitement habituel et l’indemnité versée par la cour (paragr. 4.06 de l’Annexe VI). Ce n’est pas le cas des médecins qui agissent comme témoins experts, à moins que ce soit dans le cadre de leurs fonctions au sein de l’établissement. On comprend donc que le témoignage d’un témoin ordinaire n’a pas à être lié aux activités du médecin dans l’établissement. Enfin, pour avoir droit à cette rémunération, le témoin ne doit pas être une des parties prenantes au litige (c’est-à-dire qui a intenté le recours ou un de ceux qui s’en défendent).

L’Entente prévoit d’autres situations où le médecin témoin est rétribué lorsque son témoignage découle de ses activités cliniques et qu’il n’est pas partie prenante au litige. Deux lettres d’entente prévoient une rémunération particulière pour des évaluations spécifiques et pour le témoignage qui en découle.

Lettre d’entente no 20

La première est la lettre d’entente no 20 concernant certains services associés à l’examen d’un enfant conformément à la Loi sur la protection de la jeunesse. Le témoignage est alors lié au rapport du médecin à la suite de la prise en charge d’un enfant présumément victime de mauvais traitement. Le temps de présence à la cour est alors rémunéré à l’acte avec le code 09077 par unité de temps, l’unité étant l’heure.

Lettre d’entente no 223

La lettre d’entente no 223 prévoit plusieurs évaluations de la santé mentale. On en trouve d’ailleurs une pour l’évaluation psychiatrique en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse. Elle sert à guider le tribunal sur une ordonnance qu’il doit émettre en vertu de cette loi. Les évaluations que les médecins connaissent sans doute le mieux sont celles pour une ordonnance de traitement ou d’hébergement et celles pour l’ouverture d’une mesure de protection.

Lorsque le médecin doit témoigner sur le rapport produit, il peut choisir d’être payé en utilisant le code 98012. La rémunération est alors à l’acte par demi-heure. Toutefois, si sa présence ou son témoignage est inférieur à deux heures ou si elle se prolonge, le libellé prévoit une durée minimale de deux heures et maximale de sept heures par jour.

Le médecin rétribué à tarif horaire ou à honoraires fixes peut choisir, pour l’évaluation ou pour le témoignage, de se prévaloir de son mode habituel ou de cette rémunération à l’acte. Le paragraphe 5 de cette lettre d’entente le prévoit expressément. Le médecin peut donc choisir une rémunération différente pour son témoignage et pour l’évaluation et la production du rapport. Le médecin à tarif horaire pourrait, par conséquent, opter pour le tarif horaire pour l’évaluation et la production du rapport, mais choisir le mode à l’acte pour le témoignage lié à son rapport.

En ce qui a trait aux médecins rétribués selon le mode mixte, ils doivent facturer ces services selon ce mode. Ils ne peuvent pas opter à la pièce pour la rémunération totale à l’acte lorsque leur évaluation ou leur témoignage est lié au secteur pour lequel ils sont rémunérés au mode mixte. Ils doivent facturer le forfait horaire et le pourcentage des honoraires pour leur témoignage.

Enfin, l’Entente particulière sur les services préhospitaliers d’urgence prévoit (paragr. 2.01, alinéa 2, sections I et II) que les témoignages associés aux activités professionnelles du médecin constituent des services rémunérés au sens de cette entente. Le médecin ne doit pas être partie prenante. Cette règle ne se limite pas aux seuls tribunaux, mais inclut aussi les organismes quasi judiciaires, le coroner, le commissaire aux incendies et toute commission d’enquête.

Le déroulement du témoignage d’un médecin assigné à comparaître est une tout autre question. Voyez l’article de la chronique « Droit au but » de juillet 2014 (vol. 49, no 7).

Ça vous éclaire ? Espérons que vous ne recevrez pas d’assignation à comparaître durant votre carrière. Bonne facturation !  //