Diminution de près de 50 % du risque de suicide
Beaucoup ne soupçonnent pas l’efficacité des électrochocs. Et elle peut parfois être impressionnante. Des chercheurs ontariens n’hésitent ainsi pas à affirmer que l’électroconvulsivothérapie peut sauver la vie de patients atteints d’une grave dépression.
Dans une étude publiée dans le Lancet Psychiatry, le Dr Tyler Kaster et ses collaborateurs viennent de montrer que ce traitement diminue de 47 % le risque de suicide sur un an chez les personnes souffrant d’une dépression grave (rapport des risques instantanés : 0,53)1.
Les chercheurs ont analysé les dossiers de 67 327 sujets dépressifs hospitalisés pendant plus de trois jours dans une unité de psychiatrie en Ontario. Au cours des 365 jours qui ont suivi leur sortie de l’hôpital, 27 des 4982 personnes qui avaient reçu une électroconvulsivothérapie se sont suicidées comparativement à 423 chez les 6 2 34 5 patients qui n’en avaient pas eu. Ainsi, chez les sujets traités par thérapie électroconvulsive, le taux de suicide était de 5,8 pour 1000 années-personnes contre 7,3 pour 1000 années-personnes chez ceux qui ne l’ont pas été.
« Il est clair que l’électroconvulsivothérapie sauve des vies », confirme la Dre Valérie Tourjman, psychiatre et chef médicale du module d’électroconvulsivothérapie à Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Elle fait d’ailleurs plus que prévenir le suicide. Elle peut aussi empêcher des patients de se laisser mourir. Les personnes âgées atteintes d’une grave dépression sont particulièrement exposées à ce risque. « À cause de leur état de santé précaire, leur vie est beaucoup plus rapidement en danger. Souvent, cependant, après un ou deux traitements d’électroconvulsivothérapie, elles recommencent à manger, à boire et à prendre leurs médicaments. »
Les traitements électroconvulsifs peuvent également sauver des patients plus jeunes plongés dans un état catatonique. « Les médecins vont y recourir très rapidement dans leur cas », affirme la Dre Tourjman, également professeure agrégée de clinique à l’Université de Montréal.
L’ électroconvulsivothérapie constituerait le traitement le plus efficace contre le trouble dépressif majeur. Ses résultats sont meilleurs que ceux des antidépresseurs ou de la stimulation magnétique transcrânienne. Le taux de réponse atteint de 70 % à 80 %, indique le Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments dans ses dernières lignes directrices.
Dans quel cas l’électroconvulsivothérapie est-elle employée ? Elle est efficace contre la dépression grave, la manie et la schizophrénie réfractaire. Chez les patients dépressifs, les psychiatres traitants s'en servent souvent seulement après de multiples essais pharmacologiques. « En fait, ils la réservent comme traitement de dernier recours alors que ce ne devrait pas toujours être le cas. Chez certains patients, on pourrait l’utiliser plus tôt », estime la Dre Tourjman. La thérapie électroconvulsive peut, par exemple, aider les patients très suicidaires. « Elle peut offrir un soulagement rapide de leurs symptômes et permettre à leur médecin de continuer à explorer les traitements pharmacologiques. »
Certains patients répondent de manière spectaculaire. « Par la suite, quand ils font une dépression, ils ne jurent que par cette méthode. Ils veulent avoir leur électroconvulsivothérapie. Chez d’autres, toutefois, l’effet est partiel. Et chez certains, la thérapie ne fonctionne pas. »
Chaque année, de 100 à 150 patients sont traités par électroconvulsivothérapie à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Les patients y reçoivent entre six et douze séances, à raison de trois par semaine. La plupart sont contents d’y avoir accès. « Est-ce qu’ils préféreraient avoir une autre thérapie ? Oui, parce qu’ils doivent venir à l’hôpital de façon répétée. C’est contraignant, mais essentiel à certains moments », souligne la spécialiste.
Les bienfaits de la thérapie électroconvulsive ne sont pas définitifs. « La majorité des gens rechutent assez rapidement après la fin des traitements. Chez certains, l’effet s’estompe au bout d’un mois, chez d’autres, d’une semaine. »
Le répit donne toutefois au psychiatre traitant le temps de trouver un traitement de maintien. « Il peut changer les médicaments du patient pour d’autres molécules. Généralement, il parvient à une solution », indique la Dre Tourjman.
Et quand le patient a déjà tout expérimenté ? Une électroconvulsivothérapie de maintien peut, dans ce cas, être prescrite. « On espace alors les séances de plus en plus. On commence par un traitement par semaine, puis toutes les deux, trois, puis quatre semaines. Si l’état du patient commence à se détériorer juste avant la prochaine séance, on rapproche les traitements. Certaines personnes en reçoivent ainsi un par semaine, mais d’autres en ont à une moins grande fréquence. On a déjà eu un patient qui avait un traitement toutes les huit semaines. »
Chez les patients âgés, les psychiatres optent souvent plus rapidement pour une électroconvulsivothérapie de maintien. « Ils ne veulent pas passer deux ans à essayer de trouver la bonne association de médicaments chez une personne de 75 ans. À cet âge, chaque année est précieuse. »
Aujourd’hui, l’administration des électrochocs n’a plus rien à voir avec les méthodes des années 1930. L’électroconvulsivothérapie est maintenant pratiquée sous une anesthésie générale légère qui évite au patient de sentir la paralysie qui va être provoquée. « Un relaxant musculaire est maintenant donné pour prévenir les convulsions motrices qui, dans le passé, causaient parfois des fractures. Les gens n’ont donc plus, comme dans les films, ces grands spasmes musculaires », explique la psychiatre.
Des électrodes, destinées à envoyer le courant, sont au préalable appliquées sur la tête du patient. « On veut stimuler les neurones pour qu’ils s’activent en même temps, ce qui constitue une convulsion. Cette dernière doit durer au moins quinze secondes. Si elle se poursuit plus de deux minutes, on l’arrête avec un médicament. » L’intervention est donc très courte, et l’anesthésie ne dure qu’une dizaine de minutes.
L’ électroconvulsivothérapie provoque dans le cerveau des modifications dont certaines ressemblent à celles des antidépresseurs, mais en accéléré. « Il se produit une libération de neurohormones, des changements réceptoriels semblables à ceux qu’entraînent les antidépresseurs, mais plus rapides, une hausse du débit sanguin dans le lobe frontal du cerveau et une augmentation du volume du cerveau. On voit également, comme avec les antidépresseurs, un accroissement de la concentration du facteur neurotrophique dérivé du cerveau. Il est difficile de savoir lesquels de ces aspects expliquent l’efficacité de la thérapie électroconvulsive », affirme la Dre Tourjman.
Le cerveau pourrait aussi réagir à la convulsion elle-même. « Selon certaines hypothèses, après cette perturbation, il essaierait de reprendre le contrôle et de régulariser son fonctionnement. Il tenterait de rétablir ses circuits et leurs activités habituelles. C’est cet effort qui produirait l’effet thérapeutique. C’est un peu comme si on appuyait sur le bouton de réinitialisation d’un ordinateur. »
La thérapie électroconvulsive a par ailleurs des effets indésirables. Les plus importants touchent la mémoire. « Les gens peuvent avoir de la difficulté à enregistrer les événements qui se sont produits un peu avant et un peu après le traitement. Cette fenêtre varie d’une personne à l’autre. Certains n’ont aucune atteinte, mais d’autres peuvent perdre une journée avant et une après. Comme les séances ont lieu trois fois par semaine, les patients peuvent oublier tout le mois. Mais une fois les traitements terminés, la capacité d’enregistrer des souvenirs revient à la normale », mentionne la psychiatre.
La répercussion que la Dre Tourjman trouve la plus perturbante est cependant la perte possible de souvenirs autobiographiques. « Les gens vont nous dire : “Je ne me souviens plus d’un cours que j’ai suivi, d’un voyage que j’ai fait ou d’un anniversaire”. C’est dérangeant, parce qu’il s’agit de l’histoire de leur vie. On ne peut toutefois pas prouver scientifiquement ce phénomène, parce qu’il n’existe pas de registre de tous les souvenirs. Si on nous demandait de nous rappeler le jour de nos 25 ans, il se pourrait que nous n’y arrivions pas. » La dépression elle-même peut par ailleurs provoquer des problèmes de mémoire.
En dehors des effets mnésiques, les patients traités par électroconvulsivothérapie peuvent aussi avoir des maux de tête, des nausées, des douleurs musculaires et, pendant la convulsion, de la tachycardie et une hausse de la pression artérielle.
Peut-être à cause de toutes ces répercussions et de son mécanisme, l’électroconvulsivothérapie a mauvaise presse. « Certains considèrent qu’il s’agit d’une méthode barbare. Ils sont contre le fait d’employer l’électricité sur le cerveau alors qu’on le fait, par exemple, pour le cœur. L'électroconvulsivothérapie a néanmoins été réhabilitée et est actuellement plus utilisée. Mais l’est-elle suffisamment ? Je n’en suis pas certaine. » //
1. Kaster TS, Blumberger DM, Gomes T et coll. Risk of suicide death following electroconvulsive therapy treatment for depression: a propensity score-weighted, retrospective cohort study in Canada. Lancet Psychiatry 2022 ; 9 (6) : 435-46. DOI : 10.1016/S2215-0366(22)00077-3.