Questions... de bonne entente

Bail écrit, preuve de cotisation, régime de protection et témoignage en cour

quelques rappels

Michel Desrosiers  |  2024-02-01

La direction reçoit encore régulièrement des questions sur les différents aspects de la pratique qui ont fait l’objet d’articles dans Le Médecin du Québec. Profitons de l’occasion pour faire des rappels et vous référer à la documentation existante.

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Encadrement du loyer

Malgré les articles de juillet et de septembre 2019 sur le sujet, la Fédération échange encore à l’occasion avec des médecins qui ne savent pas que leur code de déontologie les oblige à avoir une entente écrite lorsqu’on leur offre un local pour leurs activités professionnelles.

Il va de soi que cette règle ne s’applique pas en établissement, car la loi stipule clairement que l’infrastructure et les services y sont à la charge du ministère de la Santé. Toutefois, dans d’autres situations, le médecin qui se fait offrir un local doit signer une entente écrite fixant le coût ou la gratuité du local qu’il occupe. Cette entente peut aussi constituer l’occasion de convenir d’autres modalités : garde des dossiers et assurances de confidentialité, obligations du médecin, clientèle visée, situations pouvant donner lieu à la résiliation du bail, etc.

Ces situations surviennent fréquemment. C’est le cas, par exemple, si vous rendez des services au tarif du cabinet dans une résidence pour personnes âgées, l’infirmerie d’une congrégation religieuse ou un dispensaire autochtone qui n’est pas traité comme un CLSC aux fins de la rémunération.

Le médecin peut être surpris d’apprendre que la RAMQ traite certains milieux comme un domicile. Dans les résidences pour personnes âgées, le propriétaire offre couramment au médecin un local pour qu’il puisse y rencontrer ses patients. La RAMQ refuse de traiter ce local comme un cabinet. Sa justification ? Le fait qu’un cabinet ne peut pas offrir d’hébergement. Le médecin qui voit des patients dans un tel local devrait quand même convenir d’une entente de service écrite avec la résidence. S’il veut éviter ces formalités, il devrait voir les patients dans leur appartement et ainsi effectuer des visites à domicile.

Une situation similaire se produit dans les congrégations religieuses qui disposent souvent d’une infirmerie, mais aussi d’un local réservé au médecin pour qu’il puisse voir des patients ambulatoires au lieu de faire des visites à leur chambre. La RAMQ traite ces consultations comme elle le fait en RPA. La congrégation peut cependant être réticente à convenir par écrit d’une entente de gratuité avec le médecin pour desservir ses membres.

 

Le Code de déontologie des médecins exige une entente de service écrite pour l’utilisation d’un local hors établissement à des fins professionnelles. Cette obligation s’applique même si vous ne payez pas de loyer (ex. : « bureau » dans une RPA ou local dans un dispensaire autochtone).

Certains médecins travaillant en entreprise sont appelés à évaluer des patients dans les locaux de cette dernière. Il peut s’agir d’évaluations visant le contrôle des invalidités ou des examens de préemploi (bien que ces examens soient plus fréquemment effectués au cabinet du médecin). Dans certains cas, l’employeur embauche un médecin pour offrir des services curatifs à ses employés afin de leur éviter de s’absenter pour consulter un médecin à l’extérieur. Même si l’employeur fournit un local sans frais au médecin pour de tels services, l’entente d’embauche devrait comporter des articles sur le prix du loyer (ou sa gratuité) de manière à éviter les difficultés lors d’une inspection du Collège.

Parfois, certains médecins qui exercent occasionnellement en cabinet ont une entente verbale sur les frais à payer. Même si l’entente ne donne pas lieu à des problèmes de part et d’autre, elle devrait être consignée par écrit pour respecter les exigences du Collège.

La plupart des médecins en cabinet ont un bail écrit. L’enjeu qui peut alors surgir est celui du prix qu’ils paient. Le Code de déontologie interdit aux médecins d’utiliser un local gratuitement ou en contrepartie d’un loyer réduit lorsque cet avantage place le médecin en conflit d’intérêts. Il peut donc être prudent de revoir les deux articles évoqués d’entrée de jeu (juillet et septembre 2019) pour analyser votre situation et aussi pour documenter les comparaisons effectuées pour établir la justesse du montant payé, de manière à les avoir en main lors d’une vérification du Collège.

Demandes de l’Agence de revenu du Canada

Chaque année, un faible nombre de médecins s’adressent à la Fédération, car l’Agence de revenu du Canada souhaite connaître le montant de leur cotisation syndicale pour une année donnée, veut savoir si elle était obligatoire et si elle servait exclusivement à des fins syndicales (ex. : elle n’avait pas pour but d’enrichir un régime de retraite). L’Agence exige donc une lettre de la Fédération avec ces précisions. Elle en profite parfois pour demander au médecin de justifier ses cotisations au Collège des médecins du Québec et à l’ACPM, c’est-à-dire de démontrer qu’elles sont obligatoires et liées à ses activités professionnelles.

Nous serons heureux de répondre à de telles demandes et de fournir les sources légales ou conventionnelles qui rendent la retenue à la source de la cotisation à la FMOQ obligatoire (du moins sur les honoraires de la RAMQ). Nous indiquerons aussi les dates des versements qu’a reçus la Fédération. En effet, la RAMQ verse chaque mois à la FMOQ les retenues provenant des honoraires de chaque médecin. L’exercice financier de la Fédération commençant le 1er novembre, les retenues à la source ont généralement lieu en novembre et en décembre pour la plupart des médecins. Un autre grand groupe atteint le plein montant en janvier. La cotisation n’étant pas la même d’une année à l’autre, il y a donc souvent une petite différence entre le montant indiqué sur le reçu produit en fin d’année et le montant des paiements effectués durant l’année civile. Ces écarts ne semblent pas poser de problème.

Homologation d’un mandat de protection

Depuis le 1er juillet 2023, ce service, qu’il soit demandé par un membre de la famille, par un notaire ou par un établissement, est assuré et se facture avec le code 98009. C’est le même code que pour l’évaluation d’une personne en vue de l’ouverture d’un régime de protection.

Les médecins semblent oublier que les rapports rédigés pour l’ouverture d’un régime de protection ou l’homologation d’un mandat sont des documents confidentiels concernant un patient et qu’ils ne doivent normalement pas être partagés avec un membre de la famille. La loi prévoit toutefois une exception. Le médecin peut ainsi partager un tel rapport avec un membre de la famille (ou un tiers comme un notaire) lorsque cette personne atteste par écrit qu’elle se servira du rapport exclusivement pour la demande d’ouverture d’un régime de protection ou d’homologation du mandat pour la personne en cause.

Quand la demande est faite par un notaire, l’utilisation projetée est généralement bien indiquée. Le notaire devrait en plus s’engager à s’en servir à cette seule fin. Mais lorsque les demandes viennent de la famille ou d’une travailleuse sociale du CHSLD, par exemple, elles ne s’accompagnent pas toujours de ces informations et d’un engagement. N’oubliez pas d’exiger une copie de cet engagement et de la conserver au dossier du patient.

Un formulaire type est accessible sur le site de la Fédération depuis l’automne 2023. N’hésitez pas à y avoir recours. Si les demandes vous sont transmises par le personnel du milieu où vous exercez, informez les autres professionnels de vos attentes à cet égard et partagez le formulaire avec eux.

Si vous voulez relire les articles traitant de ces évaluations, consultez la chronique « En fin la facturation » de dé­cem­bre 2015, de janvier et février 2016 et de novembre 2017.

 

Quand une personne vous demande une évaluation pour l’ouverture d’un régime de protection ou l’homologation d’un mandat, assurez-vous de faire signer à cette personne un engagement à se servir du rapport aux seules fins de cette demande et conservez-en une copie dans le dossier du patient.

Témoignage à la cour

Nous avons déjà écrit sur ce sujet (« En fin… la facturation », juin 2022), mais plusieurs médecins semblent toujours éprouver des difficultés, particulièrement lorsqu’ils sont convoqués comme témoins. Leur témoignage peut être requis à la Cour du Québec ou à la Cour supérieure ou encore devant un tribunal spécialisé comme celui du travail et de la santé. C’est dans ce type de tribunal que les employeurs peuvent chercher à démontrer que l’invalidité d’un employé est factice.

D’abord, il faut être conscient que l’employeur ou le tra­vail­leur peut exiger votre présence à l’audience. Vous devrez alors vous présenter sur place pour relater des faits au dossier ou pour témoigner de l’état du patient lors de ses visites. La partie qui exige votre présence peut le faire par une citation à comparaître (subpoena). Un huissier vous remettra un avis écrit précisant le nom de la cause ainsi que la date et le lieu de l’audience. Il peut aussi vous payer le transport pour vous y rendre (pouvant se limiter à deux billets d’auto­bus ou un montant forfaitaire). Le tribunal vous versera une compensation pour votre présence, mais les sommes sont dérisoires.

Vous pouvez toujours tenter de négocier une rémunération pour votre présence, mais l’avocat qui a émis la citation à comparaître ne sent généralement aucune obligation de négocier avec vous puisque vous n’avez pas le choix de vous présenter. Parfois, vous pouvez plutôt convenir de lui fournir une transcription dactylographiée de vos notes de consultation de façon à vous soustraire à votre obligation. Toutefois, ne vous attendez pas à une rémunération ni à une compensation pour les coûts engagés, car l’avocat est conscient qu’il vous soulage d’une obligation de comparaître. L’avocat peut aussi tenir à vous poser des questions lors de l’audience, situation pour laquelle le dossier ne constitue pas un substitut adéquat.

Par ailleurs, quand l’avocat de votre patient exige votre com­parution en cour, il peut vouloir vous rencontrer au préalable pour préparer votre témoignage (vous expliquer la nature des questions qui vous seront posées, se faire une idée de vos réponses). Ce temps hors de l’audience n’est pas visé par la citation à comparaître. Par conséquent, vous pouvez demander à être rémunéré pour votre participation. S’il refuse, rien ne vous oblige à participer. La citation à comparaître ne vous oblige qu’à vous présenter devant le tribunal.

Il est arrivé à l’occasion que l’avocat de l’employeur demande au médecin non seulement de témoigner sur son dossier, mais aussi d’émettre son opinion sur des documents externes. Il peut s’agir du rapport d’un expert absent ou de photos de filature montrant son patient dans différentes positions incompatibles avec son problème de santé. Il est surprenant qu’un juge oblige un médecin témoin à se prononcer sur de tels éléments, car le médecin devient alors un témoin d’opinion, et son avis est utilisé contre son patient. Dans une telle situation, le patient n’est habituellement pas représenté par un avocat, car ce dernier s'y serait fort probablement opposé. Bref, il faut être particulièrement vigilant lorsque le patient se représente seul.

Un témoin de faits est contraignable. Il vient relater ce qu’il a vu, ce qu’il a fait ou ce qu’une personne lui a dit. Il n’est généralement pas autorisé à donner son opinion. Tirer des conclusions est le champ réservé au juge ou aux experts reconnus par la cour. Et le témoignage d’experts est balisé par plusieurs règles : les experts doivent produire un rapport écrit et le soumettre avant de se présenter en cour. Ils doivent être reconnus comme experts par la cour, et leur expertise doit se rapporter au sujet sur lequel ils témoignent. Ils ne sont pas contraignables. Ils sont engagés par l’une ou l’autre partie pour évaluer une personne ou un dossier.

Cette situation nous amène au deuxième problème, c’est-à-dire quand on profite de votre présence comme témoin de fait pour vous demander votre opinion afin de l’utiliser contre votre patient. L’expert retenu par un employeur ne peut être le médecin traitant, car le Code de déontologie des médecins leur interdit d’agir pour un tiers contre leur patient. S’ils le font, ils doivent mettre fin à leur relation professionnelle avec le patient afin de ne pas se placer en conflit d’intérêts. Il est donc excessivement rare qu’un juge ordonne au médecin traitant de commenter des documents de filature ou un rapport d’expert produit par un employeur, car le médecin risque une condamnation pour outrage au tribunal s’il ne répond pas et une plainte disciplinaire s’il répond. Et ne pensez pas vous faire payer pour votre témoignage. L’avocat de l’employeur vous indiquera sans doute que vous étiez sous contrainte et que d’exiger un paiement vous placerait en contravention à votre code de déontologie. On comprend ainsi pourquoi un employeur qui veut présenter de tels éléments de preuve engage normalement son propre témoin expert.

Lorsque vous agissez comme expert pour votre patient, vous pouvez négocier un tarif pour votre présence et votre préparation. Assurez-vous de vous entendre sur votre rému­nération avant de vous engager à témoigner. Vous ne pouvez pas simplement présenter une facture d’honoraires après votre témoignage et tenir pour acquis que vous serez payé. Le principe du consentement éclairé exige d’informer votre client du coût de vos services et d’obtenir son aval au préalable.

 

Lorsque vous êtes contraints de témoigner dans une cause touchant un de vos patients, ne vous attendez pas à ce que l’avocat qui vous convoque se sente obligé de négocier une rémunération pour votre présence.

Espérons que ces rappels vous éviteront surprises et déceptions. Qui sait ! Peut-être vous donneront-ils le goût de relire nos anciens articles sur le sujet. À la prochaine !