Entrevues

Association de Richelieu–Saint-Laurent

une nouvelle présidente et ses idées

Nathalie Vallerand  |  2024-04-02

La Dre Caroline Delisle, présidente de l’Association des médecins omnipraticiens de Richelieu–Saint-Laurent, désire que l’on soutienne les chefs de GMF dans leur rôle de gestionnaire. Elle a aussi des suggestions pour rendre la pratique plus efficace.

Delisle

M.Q. – Vous vous intéressez particulièrement à la question de la gestion des cliniques médicales.

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C.D. Oui. Il faut soutenir davantage les médecins qui gèrent les cliniques. C’est un rôle qui peut faire peur, car notre formation en médecine ne nous y prépare pas. De plus, les femmes ont tendance à se faire moins confiance que les hommes pour diriger une clinique, alors qu’elles sont maintenant majoritaires dans la profession. Elles ont pourtant toutes les qualités nécessaires. Pour que les cliniques demeurent entre les mains des médecins, il est important d’appuyer les omnipraticiens gestionnaires. Comme je gère un GMF depuis des années, je peux dire qu’un cabinet constitue une dépense, et non une façon de faire de l’argent. Cependant, lorsqu’une clinique appartient à une entreprise privée, l’objectif est plus de faire des profits que d’offrir des services de santé à la population.

M.Q. – Avez-vous une solution à proposer ?

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C.D. Notre association travaille à l’organisation d’une journée de formation et de réseau­tage pour les chefs de GMF de notre région. Nous sommes encore en train d’évaluer les besoins, mais l’idée est de donner de la formation en gestion et de partager les bons coups qui pourraient être utiles aux autres cliniques. Est-ce que des médecins expérimentés en gestion pourraient offrir du mentorat ? C’est aussi une avenue à explorer. Cette formule existe pour le rôle de médecin, mais pas pour celui de gestionnaire. Il y a de l’entraide oui, mais je pense qu’il est possible de faire plus pour outiller les médecins en gestion et attirer la relève. Ce sont souvent des médecins assez âgés qui dirigent les cliniques. Il faut de la relève si on veut éviter que ces dernières passent dans les mains du privé.

M.Q. – Quels sont les autres dossiers importants pour vous ?

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C.D. Je tiens à préserver notre autonomie de pratique. Plus il y a de règles, plus les médecins se sentent coincés. Par exemple, modifier sa pratique est plus difficile qu’avant. C’est dommage parce que ce qui est intéressant dans la médecine familiale, c’est la possibilité d’avoir diverses pratiques dans différents milieux et de changer en cours de route. Je ne veux pas perdre cette flexibilité. Déjà que depuis l’ère Barrette, les ententes concernant les GMF sont toutes pareilles au lieu d’être adaptées aux caractéristiques régionales. De plus, je souhaite que les médecins de GMF aient leur mot à dire dans la sélection des infirmières qui viennent travailler dans leur clinique. Lorsqu’un professionnel n’est pas sur la même longueur d’onde que le reste de l’équipe, la collaboration interprofessionnelle s’en ressent. J’espère par ailleurs que dans le nouvel accord-cadre la notion du « lui-même » sera abandonnée, ce qui favoriserait une vraie collaboration et nous permettrait de gagner en efficacité.

M.Q. – Justement, avez-vous des suggestions concernant l’efficacité et l’organisation de la pratique ?

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C.D. Pour commencer, j’ai des doléances. Il faut saupoudrer moins de services un peu partout et mieux les coordonner. On a confié des responsabilités liées au dépistage et au diagnostic à plusieurs intervenants du réseau de la santé. Un même service peut ainsi être offert en cabinet, au CLSC ou dans une clinique d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS). Cette situation crée de la confusion tant pour les patients que pour les médecins. Il y a de belles idées, mais elles ne mènent nulle part lorsque la coordination fait défaut.

M.Q. – Pouvez-vous donner un exemple ?

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C.D. Il est maintenant recommandé de suggérer aux adolescentes le stérilet comme moyen de contraception, avant la pilule. Mais où doivent-elles cogner ? Ce service est offert à plusieurs endroits. Si une jeune fille va voir son médecin de famille et que ce dernier ne pose pas de stérilet, il peut avoir le réflexe de faire une demande au centre de répartition des demandes de service (CRDS). Il ne sait peut-être pas que le CLSC et la clinique d’IPS offrent ce service ni que d’autres omnipraticiens de son territoire pourraient l’aider. Au CRDS, la patiente va attendre deux ans. Elle risque alors de tomber enceinte et de se faire avorter. Cette situation pourrait être évitée avec une meilleure coordination.

M.Q. – Quelles autres améliorations souhaitez-vous ?

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C.D. Il faut enfin donner aux médecins de famille en cabinet l’accès à un plateau technique sept jours par semaine, comme à l’hôpital. Actuellement, il faut parfois des mois avant que mes patients passent les tests. Pendant ce temps-là, ils me consultent plusieurs fois parce qu’ils vont mal, qu’ils sont désemparés. Si je pouvais faire faire les tests rapidement, cela éviterait des consultations inutiles. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a un projet en ce sens dans ma région, mais il en faudrait partout. Pour les patients hospitalisés, je pense qu’il est important de mieux préparer leur sortie de l’hôpital. Il faudrait peut-être avoir des protocoles à cette fin. Les gens qui ont subi une intervention chirurgicale ne devraient pas se retrouver dans le cabinet de leur médecin de famille ni à l’urgence lorsqu’ils ont une complication une fois à la maison. Même chose pour les personnes qui ont été hospitalisées en cardiologie ou dans une autre spécialité. Il n’y a qu’en oncologie où les patients ont accès à une infirmière pivot. Pour le reste, les problèmes retombent toujours dans la cour de la première ligne.

M.Q. – Comme présidente, quels sont vos projets pour l’association ?

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C.D. Je souhaite favoriser la communication entre les membres et l’association, mais aussi entre les médecins. Nous avons d’ailleurs organisé en février dernier une journée de formation et d’information pour les omnipraticiens comptant moins de cinq ans de pratique, qu’ils soient membres ou non de l’association. La formation portait sur la facturation et sur les exigences en matière de formation professionnelle continue. Ensuite, il y a eu un 5 à 7 au cours duquel nous avons transmis de l’information syndicale de manière ludique.

M.Q. – Comptez-vous répéter l’expérience ?

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C.D. Nous espérons en faire un événement annuel. Les jeunes médecins sont tellement pris par les difficultés du début de pratique qu’ils ont souvent une connaissance limitée du rôle de la FMOQ et de ses associations. Une telle journée permet de leur faire connaître l’association, tout en les outillant. Je pense aussi que cela peut contribuer au développement d’un sentiment d’appartenance. L’humain est un être social. Or, avec la formation continue qui se donne de plus en plus par webinaire, même les médecins d’une même région ne se connaissent pas. Oui, on gagne du temps à tout faire devant un écran, mais ce n’est pas ainsi qu’on crée un véritable sentiment d’appartenance.

M.Q. – Un mot pour conclure ?

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C.D. Le site de la Montérégie de la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke va bientôt commencer un projet de recherche sur la valorisation de la médecine familiale dès le début des études de médecine. L’objectif est de rendre la profession plus attirante. C’est tellement important ! J’espère qu’un jour, la médecine familiale sera le premier choix des étudiants en médecine. Et aussi qu’on dira aux étudiants : « Tu es tellement bon. Tu connais tout dans tout. Tes notes sont excellentes. Tu devrais devenir médecin de famille. »