Entrevues

Association de la Côte-Nord

l’importance de mieux épauler les médecins

Nathalie Vallerand  |  2024-04-29

Le président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Côte-Nord, le Dr Guillaume Lord, fait partie depuis peu du conseil d’administration de la FMOQ. Il souhaite notamment contribuer à améliorer l’organisation des soins et l’attractivité de la médecine familiale en région éloignée.

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M.Q. – Pourquoi avez-vous posé votre candidature au conseil d’administration de la FMOQ ?

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G.L. Nous sommes dans une période charnière pour l’organisation des soins de première ligne. Le modèle de prise en charge évolue. Le mode de rémunération des médecins aussi. C’est l’occasion d’adapter les soins aux réalités actuelles et de les déployer de manière plus efficace. Pour ma part, je m’engage à l’échelle locale depuis 17 ans. En devenant membre du CA de la FMOQ, je souhaite contribuer à l’organisation des soins au Québec. Je trouve aussi intéressant d’être aux premières loges des orientations et de ce qui se passe dans le réseau.

M.Q. – Quels dossiers souhaitez-vous promouvoir ?

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G.L. J’aimerais m’attaquer au manque de ressources qui compromet l’efficacité des médecins de famille. Le problème est particulièrement criant en établissement. Par exemple, des méde­cins sont contraints de faire des photocopies, faute de personnel. Dans les CLSC, il est fréquent que les médecins n’aient pas d’infirmière ni d’autres professionnels pour les épauler. Ils se retrou­vent donc à téléphoner à des patients pour leur donner les résultats de leurs tests ou à assurer les suivis de maladies chroniques, des activités qui pourraient être déléguées. Ils gaspillent ainsi un temps précieux qu’ils pourraient consacrer à des tâches qui nécessitent davantage leur expertise.

M.Q. – Avez-vous une solution à proposer ?

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G.L. Les décisions concernant l’octroi de ressources relèvent des établissements. La difficulté, c’est que ces derniers n’ont pas l’obligation d’en fournir aux médecins. Ils disent aussi qu’ils n’ont pas le budget nécessaire. Il faudrait donc déterminer ce dont les médecins ont besoin pour jouer pleinement leur rôle, puis s’entendre avec le ministère de la Santé et des Services sociaux pour que les établissements soient financés en conséquence. Évidemment, il faudrait aussi contraindre les établissements à accorder les ressources requises. Cela dit, la situation est meilleure en cabinet, mais les ententes concernant l’allocation des ressources ne sont pas toujours respectées. Il est courant que des infirmières soient retirées d’un GMF pour remplacer une collègue en congé de maternité à l’hôpital ou travailler dans une unité où il manque de personnel. La situation peut durer des mois, et on dirait que personne n’a de comptes à rendre. Il faut rendre obligatoire le respect des paramètres du programme des GMF. Actuellement, les GMF sont à la merci des établissements.

M.Q. – Y a-t-il d’autres améliorations que vous aimeriez voir ?

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G.L. Malgré la pénurie de médecins de famille, il faut trouver des moyens de répondre aux besoins de la population. On ne peut cependant plus continuer d’en demander davantage aux omnipraticiens sans leur offrir le soutien nécessaire. Heureusement, avec le Guichet d’accès à la première ligne et son triage par des infirmières, un changement de paradigme s’installe. Nous devons continuer dans cette voie et élargir le triage aux patients qui ont un médecin de famille. D’ailleurs, toutes les demandes de consultation doivent être triées. Si chaque médecin pouvait voir trois ou quatre patients de plus par jour grâce à une plus grande pertinence des visites médicales, imaginez l’effet sur l’accès aux soins !

M.Q. – Quelle est l’importance du CA de la FMOQ ?

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G.L. Plusieurs des décisions du CA ont des répercussions importantes sur la médecine familiale, les soins de première ligne et même sur la santé de la population, car une première ligne forte permet d’améliorer les déterminants de la santé. Malgré la taille de la FMOQ, le CA a par ailleurs réussi à préserver sa flexibilité afin de prendre des décisions rapidement dans un contexte changeant. Prenons l’exemple de l’entente sur l’accessibilité qui a été conclue avant mon arrivée. Il a fallu agir vite pour que l’information se rende sur le terrain afin que les médecins comprennent les nouvelles mesures et adaptent leur pratique. Et c’est un grand succès : le nombre de 500 000 patients inscrits collectivement, qui était un objectif initial déjà ambitieux, a maintenant presque doublé.

M.Q. – Vous faites partie du CA depuis décembre. Quels sont les défis avec lesquels vous devez personnellement composer ?

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G.L. Le principal défi, c’est la gestion du temps. Les réunions du CA ont lieu deux ou trois jours par mois. Et comme membre du conseil, je participe aussi aux réunions de la Commission des présidents et du Conseil des délégués. Je dois donc me libérer entre deux et cinq jours par mois. Ce n’est pas évident, d’autant plus que les déplacements sont longs puisque j’exerce aux Escoumins en Haute-Côte-Nord. Et puis, je veux aussi passer du temps avec ma famille. Ma seule option a été de diminuer mon nombre de gardes à l’urgence de l’hôpital. Mais ça demeure difficile parce que les besoins sont grands.

M.Q. – Si vous remettez votre chapeau de président de l’association de la Côte-Nord, quelles sont vos demandes pour le renouvellement de l’accord-cadre ?

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G.L. Notre association souhaite une bonification de l’Annexe XII qui n’a pas été revue depuis longtemps. Nous avons remarqué qu’au fil des années, plusieurs des ententes qui ont été négociées ont eu pour effet de rendre plus intéressantes les conditions de travail et de rémunération dans les grands centres. Même si ces accords ne désavantagent pas directement les régions éloignées, elles ont fait en sorte de réduire l’écart en leur faveur, notamment sur le plan financier. Par conséquent, le recrutement de médecins est de plus en plus difficile. Et il faut, malgré tout, renflouer les équipes. Pour assurer la permanence, des milieux n’ont même pas la moitié des effectifs prévus. Forestville, par exemple, compte trois médecins alors que son plan d’effectif en prévoit une dizaine. Améliorer l’Annexe XII aidera les régions éloignées comme la nôtre à être plus attrayantes. C’est mieux que d’instaurer des mesures coercitives !

M.Q. – D’autres demandes ?

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G.L. Le tarif horaire des médecins en CLSC n’a pas été indexé depuis des années. Il est temps d’y remédier. Les omnipraticiens rémunérés à l’heure sont en minorité, mais il faut penser à eux. Ce sont souvent des cliniciens qui ont une pratique particulière, comme d’offrir des soins en santé mentale à une clientèle aux prises avec des dépendances. Le tarif à l’acte n’est pas vraiment applicable parce que les consultations nécessitent beaucoup de temps.

M.Q. – Avez-vous une idée pour faciliter la vie des médecins en région éloignée ?

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G.L. Il y a une tendance en médecine familiale à se « spécialiser » dans deux ou trois domaines, comme l’urgence, l’obstétrique ou les soins palliatifs. En région éloignée, ce profil de pratique pose un défi particulier. Lorsqu’un médecin part plusieurs mois en congé de maladie ou en congé parental, les autres ne peuvent pas nécessairement le remplacer dans tous les secteurs. Ce n’est pas comme dans un grand milieu où il y a davantage de médecins pour prendre le relais. Une solution serait de créer un service de médecins remplaçants pour les absences prolongées. Ça se fait ailleurs dans le monde. Je pense que ce type de pratique pourrait plaire à certains médecins. »

M.Q. – Une dernière chose à ajouter ?

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G.L. Le fait de composer avec des équipes réduites crée une grande solidarité entre les professionnels de la santé. Ici, tout le monde se serre les coudes. Des équipes réussissent à faire fonctionner un hôpital avec quelques soignants seulement. C’est beau à voir. Et malgré les difficultés, nous trouvons du plaisir à travailler.