Dossiers spéciaux

Une fin de congrès sur une note inhabituelle

Claudine Hébert  |  2018-06-29

Comme si les organisateurs du XIXe congrès syndical de la FMOQ avaient voulu garder le meilleur pour la fin, l’événement s’est terminé sur une note plutôt inhabituelle. Tour à tour ont défilé sur la scène une experte en relations industrielles, un chroniqueur à La Presse+ et un psychologue organisationnel qui a complètement déstabilisé l’auditoire. Compte rendu de trois conférences originales et rafraîchissantes.

Melanie Laroche

Où en est le syndicalisme au Québec ?

Le syndicalisme a déjà connu de meilleurs moments, a fait savoir d’entrée de jeu Mélanie Laroche, professeure agrégée à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal. Invitée à présenter l’état du syndicalisme au Québec, cette experte en relations industrielles a dressé un bilan plutôt sombre de ce mouvement. « Crise économique, crise des institutions, changements démographiques... l’action syndicale évolue actuellement sur un fond de crise. »

Si la présence syndicale parvient à se maintenir au Québec, c’est principalement en raison du secteur public, a-t-elle soutenu. Dans le secteur privé, cette présence a fondu d’au moins 15 % en 20 ans. Et l’hémorragie ne semble pas terminée. L’accroissement de la mobilité du capital a pour effet d’augmenter le pouvoir des entreprises face au gouvernement et aux syndicats. « Devant des entreprises qui font des menaces de délocalisation, les syndicats n’ont pas le choix de faire des concessions pour garder les emplois », a expliqué la professeure.

Mme Laroche a d’ailleurs profité de sa tribune pour présenter les résultats d’un sondage mené auprès de 401 professionnels à l’été 2016 sur leur opinion à l’égard du syndicalisme. Dans l’ensemble, 61 % des répondants sondés ont estimé que les syndicats améliorent les salaires et les conditions de travail de leurs membres. Toutefois, a-t-elle fait remarquer, la moitié de ces mêmes répondants croit que les chefs syndicaux agissent dans leurs intérêts à eux plutôt que dans l’intérêt de leurs membres. Une mauvaise perception qui n’aide pas le mouvement syndical. Les résultats du sondage révèlent également que les professionnels font preuve d’une faible propension à la syndicalisation.

La professeure a également partagé des résultats d’autres études qui montrent que des solutions sont à la portée des organisations syndicales. Pour que l’action collective puisse réellement s’enraciner (que les membres ne quittent pas les rangs syndicaux une fois leurs problèmes résolus), il est important que cette action réponde aux besoins qui ont suscité le désir des travailleurs de se syndiquer. « Les efforts ne doivent donc pas se concentrer uniquement sur le recrutement syndical. Un travail en profondeur sur les pratiques internes est nécessaire en ce qui a trait aux enjeux identitaires, à la sociali­sation à l’interne et aux pratiques démocratiques. Et à ce propos, elle recommande aux organisations de favoriser des prati­ques internes susceptibles de créer une solidarité entre les mem­bres et de favoriser la création d’une forte identité collective.

Alain Dufour

L’opinion du chroniqueur

Qu’ils soient omnipraticiens ou spécialistes, les médecins se font malmener dans les médias. À qui la faute ? « Une multiplicité de causes explique ce qu’on peut appeler ici une tempête parfaite », a énoncé Alain Dubuc, le chroniqueur du quotidien La Presse +, invité à commenter l’actuel contexte politique et médiatique à l’égard de la profession médicale.

Sans détour ni gants blancs, l’économiste de formation a présenté sa vision de la situation. Il a mis la table en commençant par aborder le contexte social pessimiste, la montée du populisme et le rejet des élites. « Les juges, les éditorialistes, le clergé... tout le monde y passe », a-t-il notifié. Il a aussi pointé du doigt l’éclatement des lieux de débats (qui ne sont plus limités qu’à la politique traditionnelle), l’affaiblissement des structures sociales et le poids des baby-boomers ainsi que des autres générations alimentées par la culture du moi, l’individualisme et la revendication.

« Il faut également composer avec l’arrivée des médias sociaux, les mauvaises expériences dans le réseau de santé qui peuvent faire les manchettes, l’effet Google et la libération de parole qui entraîne désormais la diffusion de propos, parfois gorgés de bêtise et d’ignorance, à l’aide de puissants canaux de communication », a mentionné le conférencier Dubuc.

À ces facteurs, s’ajoutent la charge émotive, la complexité des enjeux et la perte de confiance envers les décideurs, sans oublier tous les éléments liés à la crise financière. « Les politiques d’austérité du gouvernement Couillard ont marqué les esprits, tout comme les dernières ententes salariales du gouvernement avec la FMOQ et la FMSQ. Même si ces ententes sont essentiellement l’actualisation de négociations antérieures, elles ne pouvaient pas arriver sur la place publique à un pire moment », a déclaré M. Dubuc.

Et comme si ce n’était pas suffisant, tout coïncide avec le temps d’attente à l’urgence, l’épuisement de certaines catégories de personnel, les progrès réels, mais incomplets de l’accès à un médecin. Tous des signes qui véhiculent le message d’un système de santé au bout du rouleau, a-t-il poursuivi.

« Personnellement, nous allons frapper un mur. Le statu quo ne sera pas possible », a-t-il insisté. « Les médecins doivent maintenant rétablir le lien de confiance. Et attention, ce que les Québécois aiment, ce ne sont pas « les » médecins, mais « leur » médecin. Et cette sympathie pour le praticien ne se transforme pas nécessairement en sympathie pour ses batailles collectives », a-t-il averti.

L’approche de la FMOQ

La FMOQ, a-t-il signalé, a plus d’une fois paru perdante lorsqu’elle était sur la défensive face à un adversaire sans cesse sur le mode attaque. C’était le cas lors de l’abolition des frais accessoires où la stratégie du ministre a réussi à faire paraître les omnipraticiens comme hostiles ou réticents à une réforme. « Cependant, on voit le vent tourner. Le ministre Barrette, perçu comme un pilier du gouvernement, est devenu un boulet, écarté des négociations, affaibli dans son approche intransigeante. Sa méthode forte a fini par déplaire aux Québécois. »

Comme au hockey, la meilleure défense, c’est l’attaque, a-t-il imagé. La FMOQ peut marquer des points en innovant. Son rôle dans le développement de l’accès adapté constitue un bel exemple. « En fait, la FMOQ pourrait faire davantage en produisant ses propres données, mesures et indices sur la prise en charge et l’accès à un médecin de famille.

« Quand on sait que la rémunération à l’acte comporte des limites, pourquoi ne prendriez-vous pas les devants ? Pourquoi la FMOQ ne serait-elle pas l’initiatrice d’une réflexion éclairée et équilibrée sur cet enjeu ? Les moments difficiles qu’a connus le monde de la santé ne sont pas terminés, a-t-il conclu. Il y aura d’autres turbulences. Et pour mieux y faire face, la profession médicale n’aura d’autres choix que de jouer un rôle constructif dans ce processus. »

Lancez-vous des pelles à vos patients?

Comment mieux influencer les individus, en l’occurrence vos patients, pour qu’ils adoptent de meilleures habitudes de vie ? Le psychologue organisationnel Dominique Morneau, qui avait la tâche de conclure le congrès syndical de la FMOQ, a fait part de ses techniques. Des stratégies qu’il a partagées sur un ton à la fois humoristique, étonnant, et parfois même déstabilisant.

« Quelle est la relation la plus forte ? Est-ce que les pensées influencent les agissements ou est-ce que ce sont plutôt les agissements qui influencent les pensées ? », a d’abord demandé le psychologue dès son entrée en scène. Inspiré par ses anecdotes de voyage, sa rencontre avec sa conjointe vietnamienne, la rédaction de sa thèse de doctorat, sa relation père-fils, son rôle de formateur et ses nombreuses lectures sur le sujet, le psychologue Morneau a montré que les agissements vont davantage influencer les pensées que le contraire.

« C’est ce qu’on appelle la théorie de la perception de soi », a-t-il souligné. « Parce que nous sommes incertains de nos états intérieurs, nous les interprétons en effectuant des interférences à partir de nos propres agissements. Prenez, a-t-il dit, un sondage effectué juste avant une élection. Si vos réponses révèlent une opinion positive envers le parti qui commande cette étude, il y a de fortes chances qu’on vous demande si vous irez voter lors de l’élection. Cette stratégie simple, qui a été éprouvée, permet d’augmenter de 25 % les probabilités que vous alliez voter », a expliqué le psychologue Morneau.

Dominique morneau

Cette influence exercée par les agissements sur les pensées aura, entre autres, contribué à expliquer l’infidélité de mon ami envers sa femme, a-t-il glissé, sans avertissement, dans sa présentation devant un auditoire surpris par cet exemple. Son ami n’avait pas cessé de lui énumérer les raisons l’ayant poussé à être infidèle. Ma femme fait ci, ma femme fait ça. Elle est comme ci, elle est comme ça. Il lui cherchait des défauts sans doute pour se déculpabiliser ? Quoi qu’il en soit, cet ami a fini par regretter son geste... et à se faire mettre à la porte par sa conjointe.

Il faut savoir que le langage contribue à construire la réalité. Cette approche, a précisé le psychologue Morneau, c’est de ne pas emprisonner ses interlocuteurs. Il devient ainsi dangereux de chercher à trop comprendre les causes à l’origine du désespoir de nos interlocuteurs, car la réponse obtenue pourrait alors contribuer à nourrir leur désespoir. Pour justement illustrer son propos, Dominique Morneau a utilisé l’histoire d’une personne tombée dans un trou et qui appelle à l’aide. « Alors qu’on s’attend à ce que le secouriste lui lance une échelle, voilà qu’il lui lance des pelles. De quoi assommer la personne en détresse. »

Dr Godin

Quand on a compris ce qu’il faut éviter de faire, on peut mieux comprendre ce qu’on peut faire pour favoriser le changement, a poursuivi le conférencier. Une fois de plus, il a utilisé un exemple concret pour appuyer son propos, soit une publicité antitabac présentée en Thaïlande. On y voit des jeunes d’à peine douze ans fumer la cigarette. Ces mêmes jeunes reçoivent, de la part d’adultes filmés à leur insu, un tas d’avertissements sur les méfaits du tabac sur la santé. Or, ces mêmes adultes sont, quelques moments plus tard, pris à fumer.

« Notre capacité d’influence, a-t-il enchaîné, peut donc être évaluée à partir de notre succès à atteindre notre cible. En fait, c’est simple. Au lieu de dire ce que vous pensez à vos patients, à vos employés, à vos collègues, formulez plutôt des questions ouvertes qui permettront à vos interlocuteurs de les énoncer eux-mêmes. » Autrement dit, au lieu de leur lancer des pelles, demandez-leur plutôt : Qu’est-ce que vous avez à perdre si vous ne changez pas ? Qu’est-ce que vous pourriez gagner à changer ? Qu’est-ce qui vous laisse croire que vous pourriez changer ? Quel plus petit pas seriez-vous prêt à faire pour y parvenir ?

« C’est ce qu’on appelle le discours-changement de la part de l’interlocuteur », a-t-il conclu chaudement applaudi par les participants qui lui ont réservé une ovation debout. //

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