Dossiers spéciaux

Enquête sur l’adoption, l’utilisation et les effets du DME

les avantages croissent avec l’usage

Emmanuèle Garnier  |  2014-01-10

Certains médecins profitent davantage du dossier médical électronique (DME) que d’autres. Qui sont-ils ? Quels avantages supplémentaires en tirent-ils ? Une nouvelle étude de HEC Montréal dévoile des données à ce sujet.

Les médecins qui le connaissent le mieux l’apprécient le plus. Le dossier médical électronique (DME) présente de nombreux avantages, mais ils n’apparaissent aux yeux des cliniciens qu’au fil du temps, avec l’usage, vient de montrer une nouvelle étude.

« Ce phénomène n’est pas propre au DME. On le voit pour la plupart des technologies de l’information », indi­que le Pr Guy Paré, de HEC Montréal qui, avec son équipe, a mené une enquête sur l’adoption, l’utilisation et les effets du DME dans les cliniques médicales du Québec1.

Pour parvenir à un emploi optimal de l’outil, tout un travail d’apprivoisement est nécessaire. « Il faut prendre le temps d’apprendre la logique sous-jacente au DME, de voir comment y recourir pour rendre la pratique plus efficace et connaître les gains qui peuvent en être tirés pour la clinique dans son ensemble », explique le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en technologies de l’information dans le secteur de la santé.

Les ardents partisans du DME

Le Pr Paré et ses collaborateurs ont fait un sondage, avec la collaboration de la FMOQ, auprès des 4845 omnipraticiens qui pratiquaient en première ligne et possédaient une adresse courriel. Les médecins ont reçu en avril 2013 une lettre électronique contenant un hyperlien les dirigeant vers un questionnaire en ligne.

Parmi les médecins joints, 780 ont répondu, soit 16 % du total. Dans ce groupe, 331 utilisaient un DME (42 %). Certains, 111 omnipraticiens, évaluaient favorablement les effets de cet outil. Ils estimaient que le dossier électronique avait amélioré la sécurité des soins qu’ils donnaient, réduit le temps consacré aux notes cliniques, facilité le travail d’équipe, etc. D’autres répondants, 147, avaient par contre une vision plutôt neutre des bienfaits du DME. Et un petit groupe, 73, n’y voyait que peu d’avantages.

Qu’est-ce qui différencie les ardents partisans du DME de ceux qu’il laisse froids ? Pour commencer, les médecins qui voient de grands avantages au dossier électronique ont en moyenne cinq ans d’expérience avec cet outil alors que ceux qui se montrent peu enthousiastes n’en ont que deux en moyenne. La différence est statistiquement significative (P < 0,05).

Ensuite, les utilisateurs ayant une perception très favorable du DME connaissent un plus grand nombre de fonctionnalités que ceux qui en ont une vision moins enthousiaste. Par exemple, dans le domaine clinique, les premiers affirment que leur dossier électronique possède 75 % des principales fonctionnalités existantes par rapport à 57 % pour les médecins qui sont peu emballés (voir la liste des fonctionnalités dans le tableau) (P < 0,05). « C’est en lien avec le phénomène de l’appropriation. Au fur et à mesure que le médecin découvre l’outil, il s’aperçoit qu’il lui permet de faire telle opération ou a telle fonctionnalité », précise le Pr Paré.

Mais pour bien apprécier les avantages du DME, il faut non seulement en connaître les diverses fonctionnalités, mais aussi y recourir. Ainsi, les fervents adeptes du dossier électronique se servent de 69 % des fonctionnalités cliniques qu’ils connaissent alors que les cliniciens plus réticents en emploient seulement 44 %. Les utilisateurs expérimentés apprécient également davantage les diverses fonc­tions de leur DME. Dans le domaine clinique, leur taux de satisfaction est de 4 sur 5 alors qu’il est de 3 sur 5 pour les débutants (P < 0,05).

Les fonctionnalités les plus utiles

De quels DME disposaient les cliniciens interrogés ? Les trois principaux étaient Kinlogix de Telus Santé (50 %), Clinique médicale virtuelle d’OmniMed (19 %) et Purkinje-Dossier de Purkinje (14 %). « Les fonctionnalités des divers outils existant sur le marché sont très similaires », mentionne le Pr Paré.

Sur le plan clinique, les omnipraticiens re­cou-raient beaucoup aux fonctionnalités de base : les antécédents personnels et familiaux des patients, les notes cliniques, la prescription électronique des médicaments et la consultation des résultats des tests de laboratoire.

Bien des médecins n’avaient toutefois pas encore découvert certaines fonctions pratiques. C’est le cas du suivi des examens de laboratoire, à partir de la demande jusqu’à la réception des résultats. Même si la majorité des DME possèdent cette fonction, seulement 46 % des répondants savaient qu’elle était présente dans le leur. Cependant, parmi ceux qui l’avaient découverte, 91 % s’en servaient.

Certaines fonctionnalités utiles ne sont toutefois pas comprises dans bien des DME. C’est le cas du signalement des résultats anormaux. Le problème vient du fait que la majorité des dossiers électroniques ont un handicap : ils ne peuvent accueillir de données « granulaires », c’est-à-dire qu’ils ne permettent ni la saisie de données individuelles dans des champs réservés à cette fin, ni leur classement, ni leur analyse. Les résultats de laboratoire, par exemple, apparaissent comme des images et ne peuvent être extraits d’une banque de données. Des fonctionnalités telles que le suivi des patients atteints de maladies chroniques ne peuvent donc elles non plus être employées. « Il faut qu’il y ait au moins un certain nombre de paramètres cliniques saisis de façon granulaire pour qu’un tel suivi puisse être possible », précise le chercheur.

Les DME possèdent par contre des fonctions très pra-tiques sur le plan de la communication. La plus appré-ciée est l’accès au dossier à distance. « Les médecins peuvent, par exemple, procéder au renouvellement des médicaments à partir de leur domicile. Cela peut énormément accélérer le processus, et c’est le patient qui en bénéficie. »

Le dossier électronique est également très apprécié dans le domaine administratif. Environ 90 % des médecins y ont recours pour gérer leur horaire de rendez-vous et saisir les données de base des patients.

Devenir plus efficace

Quels sont les avantages de recourir à un DME ? Il y a d’abord l’accroissement de l’efficacité. Le dossier électronique réduit le temps consacré aux notes cliniques, en améliore la qualité et accélère la saisie des ordonnances, selon quelque 55 % des répondants. Il influe également sur la qualité des soins médicaux. Il en augmente la sécurité – par exemple, grâce aux alertes liées aux interactions médicamenteuses –, d’après presque la moitié des médecins interrogés. Et il a un effet bienfaisant sur la satisfaction au travail. Soixante pour cent des cliniciens affirmaient qu’il l’avait accrue.

Le dossier médical électronique présente de nombreux avantages, mais ils n’apparaissent aux yeux des cliniciens qu’au fil du temps, avec l’usage.

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Le DME n’est cependant pas une panacée pour bien des omnipraticiens. La moitié des répondants jugeaient qu’il ne permet pas de suivre plus de patients ni de réduire la durée moyenne des consultations. Très peu ont également estimé que le dossier électronique facilitait la prise de décision clinique. Mais cela peut venir des limites de leur propre DME. « Pour améliorer la prise de décision clinique, il faut manipuler des données granulaires », précise le Pr Paré.

Le DME a aussi des effets bénéfiques sur le personnel de la clinique. La majorité des praticiens sondés ont indiqué qu’il a amélioré l’efficacité des employés, le travail d'équipe et la satisfaction du personnel et des médecins. Fait intéressant, il a aussi facilité le recrutement de jeunes médecins, ont estimé 44 % des répondants.

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Et sur le plan financier ? Peu de cliniciens jugeaient que le DME avait amélioré la situation financière de leur clinique. Il n’a pas baissé les coûts d’exploitation – par exemple, en réduisant les frais d’administration – ni augmenté les revenus – par exemple, en améliorant la facturation. « On a cependant remarqué une corrélation entre la perception de gains financiers et le nombre d’années d’utilisation du DME. » Le dossier électronique peut effectivement permettre des économies en diminuant l’espace d’archivage, le personnel affecté à la saisie de données, etc.

Le Pr Paré estime que l’emploi du DME n’a pas encore atteint son plein potentiel. Dans quelques années, la satisfaction des médecins à l’égard de cet outil sera encore plus élevée. « Je dirais qu’on en est vraiment aux balbutiements. On va certainement voir une hausse non seulement de l’utilisation, mais aussi de la perception de ses avantages. » (encadré 1).

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Les irréductibles et les hésitants

Parmi les médecins interrogés dans l’étude, 431 pratiquaient dans des cliniques sans DME. Pourquoi ces dernières ne s’étaient-elles pas dotées de cet outil ? Quels freins les en avaient empêchées ?

La moitié des non-utilisateurs de DME jugeait qu’ils n’avaient ni le temps ni l’expertise pour gérer les changements liés à cet outil. Leur équipe manquait de ressources et de compétences pour prendre les nombreuses décisions concernant la sélection, l’adoption, l’implantation et l’utilisation de cet instrument. Le tiers des médecins évaluait par ailleurs que le coût du dossier électronique était supérieur aux avantages potentiels qu’ils pourraient en tirer.

La numérisation des dossiers papier constituait également un obstacle majeur, selon 51 % des répondants. Le processus était trop cher, trop complexe. « C’est une barrière qui ressort clairement aussi dans l’ensemble des études que j’ai consultées sur ce sujet-là », indique le Pr Paré.

Certains répondants étaient des non-utilisateurs irréductibles : 20 % ont affirmé que leur clinique n’avait aucunement l’intention d’investir dans un DME. Ni à court, ni à moyen, ni à long terme. Toutefois, un pourcentage important de praticiens étaient beaucoup plus ouverts : 27 % ont indiqué que leur clinique avait commencé le processus de sélection d’un dossier électronique et 22 %, qu’elle avait l’intention de le faire dans les douze prochains mois, même si aucune démarche n’avait été amorcée.

Il y a ainsi de l’espoir. D’autant plus que les efforts vont dans la bonne direction. « Ce qu’on voit, c’est que les interventions des auto­rités ministérielles et des associations professionnelles, comme la FMOQ, s’attaquent directement aux principaux freins qui ont été indiqués par les médecins eux-mêmes », a constaté le chercheur (encadré 2).

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Deux aspects à perfectionner

Que faudrait-il pour rendre le dossier médical plus séduisant ? Le produit, pour commencer, est perfectible. La plupart des fournisseurs devront parfaire leur DME pour permettre le recours aux données granulaires.

Les médecins qui voient de grands avantages au dossier électronique ont en moyenne cinq ans d’expérience avec cet outil alors que ceux qui se montrent peu enthousiastes n’en ont que deux en moyenne.

Mais il y a aussi un autre obstacle à surmonter : l’interopérabilité. Le DME doit pouvoir communiquer avec les dossiers cliniques informatisés (DCI) des hôpitaux et le Dossier Santé Québec (DSQ). Certaines fonctionnalités capitales, comme le transfert des résultats d’examens de laboratoire ou l’accès aux dossiers médicaux des hôpitaux en dépendent. « Le manque d’interopérabilité réduit l’importance des avantages qu’on peut tirer du dossier médical électronique. Les fournisseurs de DME ont une part de responsabilité, mais il y a aussi des améliorations à apporter du côté du DSQ et des DCI », précise le professeur de HEC Montréal.

Les nouvelles règles d’homologation des DME devraient régler une partie des problèmes. « Ce processus, qui est sous l’autorité du ministère de la Santé et des Services sociaux, doit faire en sorte que les systèmes retenus sont inter­opérables et permettent éventuellement un échange de données granulaires. »

Quant aux praticiens, le secret de la réussite est dans la persévérance. « Nous invitons les médecins à prendre conscience que les bénéfices associés à l’utilisation d’un DME, comme c’est le cas avec la grande majorité des systèmes d’information clinique, ne se matérialisent pas au lendemain de son déploiement. Ceux qui l’adoptent doivent faire preuve de patience, car l’appropriation d’un DME peut prendre plusieurs mois, voire quelques années, selon les médecins », indique le rapport.

Cela semble en valoir la peine. Plusieurs omnipraticiens âgés sont tellement emballés par leur DME qu’ils sont prêts à repousser le moment de leur retraite, ont-ils confié à la fin du questionnaire. De manière globale, l’évolution de l’informatisation des médecins québécois est encourageante. Le taux d’adoption du DME, qui était de 15 % en 2007, a grimpé à 42 % en 2013. //