Dossiers spéciaux

Pratiquer dans une nouvelle clinique

Être propriétaire ou locataire ?

Francine Fiore  |  2014-02-13

Pour un médecin, exercer dans une clinique neuve conçue pour répondre à ses propres besoins est particulièrement stimulant. Mais vaut-il mieux en être le locataire ou le propriétaire ? Les deux choix ont leurs avantages.

Le 3 juillet 2012, à Drummondville, la Clinique médicale de la Marconi ouvrait ses portes. Le vaste édifice de briques rouges et de blocs gris s’étendait sur deux étages. Pour les trois jeunes omnipraticiennes qui en étaient les propriétaires, c’était un rêve qui se matérialisait enfin. Elles avaient étudié ensemble à l’université et pourraient désormais pratiquer dans un lieu conçu par elles et pour elles.

Pour la Dre Amélie Fiset, cette spacieuse clinique allait lui permettre de travailler plus facilement avec son infirmière. Pratiquant alors depuis six ans, elle avait de la difficulté à être aussi accessible qu’elle le voulait pour sa clientèle. « Ma pratique obstétricale avait pris de l’ampleur, et je manquais de temps pour voir mes patients de médecine générale. J’ai donc commencé à travailler avec une infirmière qui m’assistait au cours des rendez-vous de grossesse et me permettait de rattraper un peu de retard. »

Ses deux collègues, les Dres Valérie Camiré et Marie-Claude Cayouette, avaient des problèmes similaires. Il leur fallait plus d’espace pour organiser leur pratique. « Nous voulions être un groupe de médecins ayant une vision commune de l’importance de l’accès pour les patients à leur médecin », précise la Dre Fiset.

Bien sûr, les trois omnipraticiennes avaient éprouvé certaines craintes devant l’énorme projet. L’emprunt nécessaire leur avait un peu donné le vertige. Cependant, elles avaient la chance d’avoir dans leur entourage des personnes connaissant bien le milieu des affaires. « Nos proches nous ont démontré que la construction d’une nouvelle clinique pourrait être rentable, indique pour sa part la Dre Camiré. Nous avons été bien soutenues et conseillées. Je ne crois pas que ce projet aurait pu voir le jour sans l’aide dont nous avons bénéficié, particulièrement celle de nos conjoints. »

Le compagnon de vie de la Dre Fiset, un gestionnaire de projets d’affaires, a présenté aux trois omnipraticiennes un projet de bâtiment dans lequel leur clinique serait intégrée. Le conjoint de la Dre Camiré, en tant qu’informaticien, les a aidées à gérer l’informatisation de leur centre médical et à créer un site Web. Quant à l’amoureux de la Dre Cayouette, il a été consulté sur les questions de génie du bâtiment, qui est son domaine. « C’est ainsi que nous avons choisi de faire le grand saut », dit la Dre Fiset.

valerie-camire

Pour la conception de la clinique, les trois omnipraticiennes savaient exactement ce qu’elles voulaient. Avec la collaboration de l’architecte, elles ont déterminé le nombre et le type de cabinets nécessaires pour leurs différents services. « Nous avions l’avantage d’être dans un édifice neuf où nous pouvions créer de toute pièce ce qu’il nous fallait plutôt que d’utiliser des locaux déjà existants et de devoir composer avec des divisions parfois imparfaites », raconte la Dre Fiset.

La Clinique médicale de la Marconi, qui est affiliée au groupe de médecine familiale (GMF) Saint-Nicéphore, compte actuellement six médecins, toutes des femmes. Il y a donc six cabinets occupés par les omnipraticiennes, trois salles pour la miniurgence et trois locaux pour les suivis de grossesse. Au centre de ces trois salles se trouve le bureau de l’infirmière. La présence de cette dernière permet à la clinicienne de gagner beaucoup de temps.

« Je vois deux fois plus de patients qu’auparavant, affirme la Dre Fiset. Avant la consultation, l’infirmière a déjà vérifié les signes vitaux du patient, effectué l’anamnèse et même déshabillé le bébé, ce qui me fait gagner énormément de temps. Ainsi, au lieu de voir les bébés vingt minutes, je les vois dix minutes, car l’infirmière a fait le reste. S’il s’agit d’un examen gynécologique, la patiente a déjà enfilé la chemise d’examen lorsqu’elle me rencontre. »

En plus de la clinique médicale, l’immeuble accueille une pharmacie, une clinique de physiothérapie et une clinique d’orthèses et de prothèses. Au sein de leurs propres locaux, les trois omnipraticiennes louent aussi un espace à une clinique d’injection de médicaments anti-inflammatoires. « La location est un aspect fondamental de la rentabilité de l’entreprise », affirme l’omnipraticienne.

Quelles conclusions tirer de cette expérience en entrepreneuriat ? « C’est agréable, mais ce n’est pas si évident d’être médecin et femme d’affaires, parce qu’on n’a pas de formation et qu’il faut aménager notre horaire de pratique pour se garder du temps pour la gestion, indique la Dre Fiset. On apprend un peu sur le tas, entre autres, la gestion des ressources humaines ou les relations avec les organismes gouvernementaux. »

De propriétaire à locataire

Si certains médecins décident d’être propriétaires de leur clinique et de l’immeuble qui l’abrite, d’autres font exactement l’inverse. À Granby, le Dr Jacques Bergeron et ses collègues sont récemment passés du statut de propriétaires à celui de locataires. « Nous ne regrettons pas du tout notre transaction, lance joyeusement le Dr Bergeron. Nous avons l’avantage de bénéficier de locaux modernes, au goût du jour, sans les aspects administratifs. »

L’ancienne clinique du Dr Bergeron et de ses associés a été vendue, démolie et rebâtie au même endroit. Envi­ron la moitié des médecins exerçant dans l’ancienne clinique avaient plus de 50 ans. Ils avaient donc entrepris une profonde réflexion afin d’évaluer s’ils étaient prêts, à l’aube de la soixantaine, à devenir des médecins action­naires. Ils ont finalement décidé de vendre l’édifice à un promoteur. Les plans de la nouvelle clinique ont été conçus selon leurs besoins et leurs indications. Puis, ils en sont devenus locataires. La clinique est multifonctionnelle et permet aux médecins de travailler plus efficacement, notamment grâce aux installations et à la planification de l’espace.

Au rez-de-chaussée se trouve la petite urgence, c’est-à-dire le service de consultation sans rendez-vous. Il y a également des cabinets pour des médecins spécialistes ainsi que des salles pour les prélèvements sanguins et des bureaux pour l’administration.

À l’étage ont été installés les cabinets des médecins de famille et celui du pédiatre. Des salles y sont réservées aux infirmières. « Sans conteste, un médecin qui travaille avec une infirmière à temps plein augmente le nombre de patients qu’il voit au quotidien, fait remarquer le Dr Bergeron. Pour l’instant, je suis le seul à employer une assistante, mais cela fait une grande différence dans ma pratique. Quand on prend nos affaires en main, cela va bien », affirme le médecin. Le DrBergeron, qui exerce la médecine de­puis plus de 33 ans, a plus de plaisir que jamais à pratiquer.

Le médecin est très satisfait de son nouvel environnement de travail. « La clinique répond vraiment à nos besoins, dit-il. Nous nous sommes dit que si nous voulions attirer de nouveaux médecins chez nous, il fallait un endroit agréable pour les accueillir. » Actuellement, la clinique compte dix médecins de famille et en attend un onzième. Une dizaine de spécialistes y travaillent aussi à temps partiel.

Maîtres chez nous

À Trois-Rivières, quand on avance sur le boulevard Thibeau, on voit apparaître la nouvelle silhouette en L de la Polyclinique du Cap. L’immeuble, maintenant gris et noir, a doublé de superficie. Le coût de l’agrandissement : quelque 2,25 millions dollars.

Le but initial des médecins de la clinique était de devenir un groupe de médecine de famille. Mais pour cela, ils devaient être plus nombreux. « Dans nos anciens locaux, on aurait été incapables d’accueillir de nouveaux omnipraticiens par manque d’espace », explique le Dr Pierre Martin, l’un des propriétaires de la clinique.

Les médecins ont réussi à intéresser de jeunes collègues à leur projet de GMF. C’était une condition indispensable. « À l’automne 2012, elles ont visité notre ancienne clinique. Nous leur avons dit que si elles décidaient de pratiquer avec nous, ce ne serait pas dans ces locaux. Nous leur avons montré les plans de la nouvelle clinique et de quoi elle aurait l’air. Plusieurs de ces jeunes omnipraticiennes ont signé une sorte de promesse d’engagement. Cela nous a aidés à obtenir les prêts nécessaires auprès des banques. »

Le Dr Martin et les autres actionnaires de la clinique ont par ailleurs fait une offre intéressante à leurs futures collaboratrices. Si elles le désiraient, elles pourraient, pendant la première année, devenir actionnaires de la clinique en acquérant des actions au prix fixé au début de la construction.

jacques-bergeron

Est-ce un placement rentable ? « Notre comptable nous a indiqué que le taux de rendement serait excellent et nettement concurrentiel par rapport au marché de l’immobilier dans notre région. »

En plus, de la clinique médicale comme telle, l’immeuble ren­ferme une pharmacie, les cabinets d’un optométriste, d’un dentiste et d’un podiatre ainsi que des cliniques de massokinésithérapie, d’inhalothérapie, de chiropratique de réadaptation ainsi qu’un centre de recherche clinique.

La nouvelle section qui a été ajoutée à l’immeuble compte deux étages et loge les cabinets des médecins et ceux des infirmières. Au rez-de-chaussée se trouvent la petite urgence, des salles de prises de sang, les bureaux de l’administration et une clinique de désensibilisation. L’étage du haut est divisé en une dizaine de locaux permettant aux médecins de travailler avec une assistante, dont des infirmières. Se consacrant particulièrement aux allergies, la Polyclinique du Cap peut dorénavant traiter plus d’une centaine de personnes par jour dans un environnement de travail beaucoup mieux adapté qu’auparavant à ce genre d’activité à grand volume.

pierre-martin

Le centre médical accueille aussi des spécialistes. Au-delà de l’aspect financier, le Dr Martin apprécie d’avoir des consul­tants à ses côtés. « Cela nous donne beaucoup d’autonomie professionnelle sur le plan de l’offre de services. Nous sommes ainsi autonomes en dermatologie, en neurologie et en maladies respiratoires. On veut aussi développer une expertise dans différents domaines, tels que le diabète et la santé sexuelle. »

La nouvelle clinique a également un aspect original : elle offre à des médecins âgés qui exercent seuls dans leur cabinet la possibilité d’une transition en douceur vers la retraite. « On leur propose de pratiquer dans notre clinique, dit le Dr Martin. On va les jumeler avec de jeunes médecins qui peu à peu s’occuperont de leurs patients. Cela se fera progressivement, c’est ce que l’on appelle une clinique intergénérationnelle ! » Un omnipraticien de plus de 70 ans a justement profité de cette offre. La crainte de devoir abandonner ses patients l’empêchait de dormir la nuit. Il s’est donc installé dans la Polyclinique du Cap et transfère graduellement sa clientèle aux jeunes omnipraticiennes et aux infirmières praticiennes spécialisées.

Avoir une pratique moderne

En 2012, après avoir travaillé pendant dix-huit ans en Gaspésie, le DrSamer Daher est venu s’installer à Montréal. Il voulait pratiquer à nouveau dans une clinique médicale qui lui appartenait. « Être actionnaire nous motive toujours à être rigoureux dans notre gestion, à être prudents dans la prestation de services, à ne pas couper dans les dépenses essentielles pour maintenir la qualité des soins. On devient un gestionnaire efficace et averti », indique le coactionnaire de La Cité Médicale Montréal.

Située dans un grand édifice du centre-ville de Montréal, la nouvelle clinique du Dr Daher est moderne. Elle est dotée, notamment, de bornes où les patients peuvent s’inscrire à leur arrivée, comme à l’aéroport. Ils n’ont ainsi ni à attendre au secrétariat ni dans la salle d’attente.

La pratique médicale y est aussi moderne. Le Dr Daher ne pouvait concevoir d'exercer selon l’ancien modèle où le médecin pratiquait seul sans soutien. « Ce modèle-là a prouvé son inefficacité. Même si les services rendus dans ce système sont excellents, l’accès au médecin y reste un problème. Je voulais appliquer mon modèle de pratique clinique et mon modèle de gestion pour montrer que le système public peut très bien fonctionner, mais avec une vision différente. »

Le modèle mis en place par le Dr Daher repose entre autres sur le dossier médical électronique, la pratique en tandem avec une infirmière auxiliaire et la gestion proactive des rendez-vous (Accès adapté). Une infirmière clinicienne a également été engagée pour s’occuper de la clientèle vulnérable. « Le médecin a ainsi tout le soutien nécessaire. Il est très efficace et fait uniquement le travail relevant de la médecine. »

Quatorze, bientôt quinze médecins exercent à la Cité Mé­di­cale de Montréal, dont sept omnipraticiens et huit spécialistes. La clinique compte également des diététistes, des psychologues, des massothérapeutes et des kinésithérapeutes.

Devenir un médecin entrepreneur ?

samer-daher

L’entrepreneuriat médical n’est pas forcément pour tous les médecins. « Il faut avoir le goût de l’organisation et de l’administration pour le faire. Il faut aussi être bien entouré. Chez nous, on a un administrateur qui nous aide », indique le Dr Daher.

Le Dr Pierre Martin partage cette opinion. Lui-même a pu compter sur de bons collaborateurs. « On est privilégiés, parce que l’on a des médecins qui sont de très bons argentiers dans notre équipe. L’un de nos médecins est également très fort en construction et en informatique. Nous col­laborons par ailleurs avec un comptable qui s’occupe de la gestion des papiers. »

polyclinique du cap trois-rivières

La construction d’une clinique peut être une bonne affaire. « Pour moi, l’entrepreneuriat médical fait partie des possibilités qui s’offrent aux médecins. Il faut qu’ils le voient et en profitent selon leurs capacités », dit le Dr Martin. Président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Mauricie, il est d’ailleurs prêt à aider de jeunes confrères qui veulent se lancer dans l’aventure. Pour lui, cela vaut la peine d’avoir sa propre clinique. « C’est le même principe que d’être propriétaire ou locataire d’un appartement. On a la liberté de prendre nos décisions. On a les coudées franches quand vient le moment d’embaucher du personnel ou de donner priorité à certaines modifications ou activités. » //