Nouvelles syndicales et professionnelles

Les « scribes médicaux »

Une innovation pour augmenter l’efficacité des médecins ?

Emmanuèle Garnier  |  2014-02-26

Aux États-Unis, la venue du dossier médical électronique a entraîné l’apparition d’un nouvel assistant : « le scribe médical ». Il permet au médecin d’être plus efficace en le déchargeant entre autres de toute la saisie des données.

les scribes médicaux

Dans leur clinique informatisée, certains médecins rêvent de ne plus saisir de données dans un dossier médical électronique. Pendant la consultation, ils ne se consacreraient qu’à leur patient. Toutes les notes seraient inscrites sans qu’ils aient à s’en occuper.

Ce rêve peut se réaliser. Il s’appelle un « scribe médical ». Aux États-Unis, ce nouveau type d’assistant aurait commencé à apparaître il y a une dizaine d’années. Sa fonction : améliorer l’efficacité du médecin. Muni de son ordinateur, le scribe suit le clinicien jusque dans la salle d’examen. Pendant la consultation, il note dans le dossier médical électronique les informations que lui dicte le praticien. Antécédents médicaux, éléments clés de l’examen physique, plan de traitement, prescription, etc. Le scribe peut aussi donner au moment opportun un résultat d’imagerie, faire le suivi des tests de laboratoire ou rédiger une ordonnance que signera le médecin. Le clinicien n’a ainsi aucune donnée à saisir, aucune note à prendre.

Aux États-Unis, il y aurait presque 10 000 scribes médicaux, selon certaines estimations. Ce sont souvent des étudiants qui veulent se diriger plus tard dans le domaine médical. Généralement, ils sont engagés directement par les médecins qui veulent se libérer des tâches liées au dossier électronique. Parfois, c’est l’hôpital qui les embauche. Les employeurs peuvent recruter et former leurs scribes ou encore recourir à des agences comme PhysAssist Scribe, ScribeAmerica ou Medical Scribe Systems.

Utiles dans une clinique de cardiologie

Plusieurs recherches ont montré l’utilité des scribes. Au Minnesota, des cardiologues ont récemment mené une étude prospective et contrôlée sur le recours à ce type d’assistant dans leur clinique1. Ils ont comparé les données de quatre spécialistes qui ont vu 210 patients avec un scribe et 129 sans.

Le scribe choisi était expérimenté : il avait travaillé six ans dans une urgence. Il arrivait une heure avant les consultations pour revoir les dossiers et rédiger des notes préliminaires. Il ressortait du dossier médical électronique la liste des problèmes, des antécédents médicaux et chirurgicaux, des médicaments, etc. Il rédigeait également un résumé des consultations antérieures pertinentes, des hospitalisations et des faits importants du passé médical du patient. Ensuite, au moment de la consultation, il prenait des notes et, au besoin, cherchait les informations médicales dont avait besoin le cardiologue. Une fois le patient sorti, le cardiologue révisait les notes du scribe, y apportait les modifications nécessaires et inscrivait ses nouvelles demandes.

Grâce à la collaboration du scribe, les quatre médecins ont vu 59 % plus de patients : 3,5 personnes par heure au lieu de 2,2 (P 0,001). Les consultations étaient plus courtes : 15,5 minutes à la place de 24,7 minutes. Toutefois, la période d’interaction médecin-patient sans ordinateur était quatre fois plus longue : elle est passée de 1,5 minute à 6,7 minutes (P 0,01). La qualité de l’interaction médecin-patient était également significativement meilleure (P  0,01).

Qu’en ont pensé les patients ? Leur degré de satisfaction, qui était élevé dès le départ, n’a pas changé. « La grande majorité des patients étaient soit neutres, soit favorables au système de scribes, selon les commentaires écrits ou verbaux. Un certain nombre ont parlé au personnel de la clinique de l’avantage d’avoir toute l’attention du médecin sans qu’il y ait de distraction venant de l’ordinateur », écrivent les chercheurs.

Les cardiologues, eux, se sentaient cependant pressés. C’est ce qu’ils ont révélé par la suite aux chercheurs. « C’était probablement un trop grand changement en trop peu de temps. Nous comptons ajuster les horaires pour augmenter la productivité de 10 % à 30 % une fois que la clinique et les médecins se seront adaptés au système de scribes », affirment les auteurs de la recherche.

Financièrement, le recours au scribe était rentable. Cet assistant, qui venait d’une agence, coûtait 25 $ US l’heure, ce qui revenait à quelque 9 $ US par visite de suivi et à 20 $ US pour la prise en charge d’un nouveau patient. Il a permis de voir quatre-vingt-un patients de plus, ce qui a rapporté 205 740 $ US de plus en revenus directs et indirects. À la suite de cette expérience, la clinique a engagé six scribes.

Important aux urgences

Les scribes sont également utiles dans les urgences. C’est probablement là qu’on les trouve le plus souvent. En 2010, des chercheurs ont analysé rétrospectivement 243 quarts de travail effectués par treize médecins dans une urgence pendant dix-huit mois2. Ils ont comparé les périodes de travail où les cliniciens disposaient de l’aide à temps plein d’un scribe avec celles où ce dernier les accompagnait pendant moins de quatre heures.

Les résultats sont intéressants. « Si un mé­decin de notre département passe de 0 % des patients vus avec un scribe à 100 %, il peut évaluer 0,8 patient additionnel par heure pendant un quart de dix heures », écrivent les chercheurs. Un total de huit patients de plus par période de travail.

Grâce à la collaboration du scribe, les médecins ont vu 59 % plus de patients : 3,5 personnes par heure au lieu de 2,2.

Les chercheurs ont calculé qu’il devrait être rentable pour un hôpital d’engager des scribes. Ils permettent à l’établissement de facturer 91 $ de plus l’heure si l’on se base sur les tarifs de Medicare en 2008. Les scribes, de leur côté, étaient payés de 16 $ à 19 $ l’heure dans l’hôpital étudié. Il faut néanmoins ajouter à leur salaire le coût de la formation et des avantages sociaux.

Les scribes virtuels

Il existe non seulement des scribes présents sur les lieux, mais aussi des scribes virtuels. Ce sont des assistants qui travaillent d’un autre endroit. Comment cela se passe-t-il ? Pour commencer, l’infirmière amène le patient dans la salle d’examen. Puis elle note ses antécédents médicaux et ses signes vitaux dans le dossier médical électronique. Le scribe virtuel se connecte ensuite par un lien sécurisé et revoit le dossier du patient. Quand le médecin arrive, il est prêt. Pendant l’examen, le scribe écoute et note les informations essentielles. Il inscrit également les codes de facturation. À la fin de la journée, le médecin revoit les dossiers avec le scribe et peut lui demander de rédiger des lettres ou de remplir d’autres tâches.

Les scribes virtuels seraient plus économiques que les scribes sur place, soutiennent les Drs Kevin Brady et Afser Shariff, respectivement président et fondateur de Physicians Angels, une agence qui fournit ce type d’employés3. Les assistants virtuels coûtent de 12 $ US à 14 $ US l’heure tandis que les scribes habituels sont payés en moyenne 16 $ US l’heure, taux auquel il faut ajouter de 8 $ US à 12 $ US l’heure pour les frais additionnels (taxes, avantages sociaux, ordinateur, etc.) « Au bout d’un an, un scribe médical virtuel à temps plein coûtera 23 000 $ US à une clinique, tandis que le scribe sur place lui reviendra à 49 000 $ », écrivent les médecins dans un article récent3.

Après les dossiers médicaux électroniques, la prochaine étape sera-t-elle l’arrivée de scribes réels ou virtuels ? Cet éventuel changement demandera une adaptation : une présence additionnelle dans la salle d’examen, de nouveaux processus cliniques et un accroissement du rythme de travail. //

Références

  • 1. Bank AJ, Obetz C, Konrardy A et coll. Impact of scribes on patient interaction, productivity, and revenue in a cardiology clinic: a prospective study. Clinicoecon Outcomes Res 2013 : 3 ; 399-406.
  • 2. Arya R, Salovich DM, Ohman-Strickland P et coll. Impact of scribes on performance indicators in the emergency department. Acad Emerg Med 2010 ;17 (5) : 490-4.
  • 3. Brady K, Shariff A. Virtual medical scribes: making electronic medical records work for you. J Med Pract Manage 2013 ; 29 (2) :133-6.