Une intervention pour réduire la détresse
L’un des graves problèmes de la médecine moderne ? La détresse des médecins, affirment des chercheurs de la Clinique Mayo, à Rochester. Aux États-Unis, l’épuisement professionnel touche près de la moitié des étudiants en médecine, des résidents et des médecins. Les symptômes de dépression sévissent également parmi les cliniciens.
« Ces problèmes sont importants parce qu’ils peuvent avoir des conséquences sérieuses sur le traitement des patients, le professionnalisme, le soin que prennent d’eux-mêmes les médecins, leur sécurité et la viabilité du système de santé », écrivent le Dr West Colin de la Clinique Mayo et ses collaborateurs, dans le Journal of the American Medical Association dans lequel ils publient une étude inusitée1.
Les chercheurs ont réussi à montrer, dans un essai clinique avec répartition aléatoire et groupe témoin, qu’un programme d’enseignement par petits groupes permet d’améliorer l’engagement professionnel des médecins et la signification qu’a le travail pour eux ainsi que de réduire la dépersonnalisation, l’une des trois composantes de l’épuisement professionnel.
L’expérience s’est déroulée à la Clinique Mayo. Parmi les 565 médecins qui y pratiquent, 74 ont accepté de participer à la recherche. Ils ont été distribués au hasard en deux groupes en tenant compte de leur sexe et de leur spécialité. Tous les sujets ont eu droit à des heures payées par la clinique pour collaborer à l’étude. Aux yeux des chercheurs, tant l’employeur que les médecins doivent faire des efforts pour améliorer le bien-être des praticiens.
Les trente-sept sujets du groupe témoin disposaient donc d’une heure qu’ils pouvaient utiliser à leur guise de manière bimensuelle. Les personnes du groupe expérimental, elles, bénéficiaient d’un programme d’enseignement réparti en dix-neuf ateliers d’une heure qui avaient lieu toutes les deux semaines pendant neuf mois.
Fondés sur la littérature, les ateliers comprenaient des discussions de groupe et reposaient sur des concepts comme la pleine conscience, la réflexion sur soi-même et le partage d’expériences. Pour promouvoir la collégialité et l’esprit de communauté au travail, les participants avaient été divisés en quatre petits groupes.
Les sujets abordés pendant les séances étaient répartis en trois modules : soi-même, le patient et l’équilibre. Le module sur soi traitait de questions comme le bien-être physique et psychologique du médecin, sa détresse de guérisseur blessé et la signification qu’avait pour lui sa pratique. Il y était également question des ressources internes de chaque personne, comme la résilience et la pleine conscience, ainsi que des ressources externes, comme la spiritualité, la religion, l’amitié et les activités.
Le deuxième module, lui, abordait des sujets comme le lien avec le patient, les erreurs médicales ainsi que les effets de la souffrance et de la mort sur les praticiens. Les ateliers sur l’équilibre, quant à eux, permettaient de mettre en perspective la vie personnelle et professionnelle.
Comment se déroulaient les séances ? Au cours du premier atelier du module soi-même, par exemple, l’animateur commençait par présenter des données sur la santé des médecins, puis invitait les participants à réfléchir à la manière dont ils prennent soin d’eux. Il amorçait ensuite une discussion de groupe, puis proposait aux médecins des solutions, des ressources et des stratégies pour améliorer leur bien-être.
Des résultats significatifs
Les résultats ? Trois mois après le cours, le sentiment d’emprise sur le travail et l’engagement professionnel avaient augmenté dans le groupe expérimental (P = 0,04), mais diminué dans le groupe témoin. Au bout d’un an, l’effet de l’intervention était toujours visible (P = 0,03).
Les ateliers avaient également eu un effet bénéfique sur le taux de dépersonnalisation : il avait baissé de 15,5 % dans le groupe qui avait suivi la formation et augmenté de 0,8 % dans le groupe témoin (P = 0,004) après trois mois. La différence était encore présente un an plus tard (P = 0,02).
Le programme n’avait cependant pas permis de réduire significativement le stress et les symptômes de dépression, ni d’accroître la qualité de vie globale et la satisfaction professionnelle.
Les médecins de la Clinique Mayo ont, par ailleurs, tous eu à remplir un questionnaire sur certains aspects de leur bien-être. En comparant les résultats des participants de l’étude à ceux des non-participants, les chercheurs se sont aperçus que la proportion des médecins pour qui le travail avait une grande signification avait augmenté de 6,3 % dans le groupe expérimental, diminué de 6,3 % dans le groupe témoin et baissé de 13,4 % dans la cohorte non participante (P = 0,04).
Le taux de dépersonnalisation, d’épuisement émotif et d’épuisement professionnel avait par ailleurs substantiellement baissé dans le groupe expérimental et légèrement dans le groupe témoin, mais avait augmenté parmi les médecins ne faisant pas partie de l’étude.
« Étant donné que la responsabilité de promouvoir le bien-être des cliniciens est partagée entre les médecins et les organismes de soins de santé, il faudra probablement, pour obtenir le maximum d’effets, coupler les approches de l’établissement (à la fois les efforts individuels appuyés par l’organisme et la restructuration de l’environnement de travail) avec les stratégies individuelles destinées à promouvoir le mieux-être, telles que l’entraînement à la pleine conscience et à la résilience. Une telle approche globale a le potentiel de remplacer la culture de détresse que l’on trouve parmi les médecins par une culture d’épanouissement. » //
1. West CP, Dyrbye LN, Rabatin JT et coll. Intervention to promote physician well-being, job satisfaction, and professionalism: A randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2014. doi : 10.1001/jamainternmed.2013.14387. Publié en ligne le 10 février 2014.