Une véritable institution
L’histoire de la Polyclinique médicale Concorde se mêle à celle de la première ligne de soins au Québec. Aujourd’hui prospère, la clinique a connu des débuts modestes, a dû affronter des conditions difficiles, mais a aussi bénéficié de périodes de croissance.
Située à Laval, la Polyclinique médicale Concorde est devenue, en quatre décennies, une véritable institution. Elle est l’une des cliniques les plus importantes du Québec. Depuis le tout début, elle sert de modèle à plusieurs regroupements de médecins.
L’an dernier, la polyclinique a fêté ses 40 ans d’existence au sein de l’édifice qu’elle occupe actuellement. En réalité, toutefois, elle a 46 ans. Parce que tout a vraiment commencé en 1968 alors que deux omnipraticiens, le Dr Alban Perrier et le Dr Pierre Vinet, ont décidé d’ouvrir une clinique à Laval. Véritables pionniers, ils voulaient créer quelque chose d’inédit et de communautaire dans un nouveau milieu, tout en demeurant très près des patients.
À cette époque, il n’y avait presque rien à Laval, que des champs. « On ne connaissait pas du tout la ville de Laval, raconte le Dr Perrier qui pratique toujours à la polyclinique. Deux dimanches de suite, on s’est donc rendu à Duvernay, un quartier de la ville de Laval. On a frappé aux portes et demandé aux gens s’ils désiraient avoir des médecins sur leur territoire. » Devant la réponse affirmative, les deux omnipraticiens se sont installés dans un petit local d’un centre commercial situé sur le boulevard de la Concorde Est.
Au début des années 1970, l’affluence des patients est telle que les lieux deviennent rapidement exigus. En 1972, le Dr Perrier décide donc de faire construire un immeuble pour abriter la jeune polyclinique. « Nous avons trouvé un architecte et contracté un emprunt », se souvient-il. La construction a débuté en décembre 1972, et l’ouverture a eu lieu le 1er mai 1973. Il y a 41 ans. Dès l’ouverture, l’établissement de soins comptait déjà six omnipraticiens et six spécialistes en plus des radiologistes, d’un laboratoire, de deux dentistes et d’un optométriste.
Tout allait bien à la Polyclinique médicale Concorde. Elle était très appréciée des patients. Tant et si bien, qu’en 1976, le nouvel édifice de 16 000 pieds carrés est devenu, lui aussi, trop petit. Il y a donc eu un deuxième, puis un troisième agrandissement. Le quatrième, qui a eu lieu en 2006, a coûté 1,5 million de dollars.
Le personnel médical s’est multiplié de façon impressionnante. De deux omnipraticiens au moment de la fondation en 1968, les effectifs médicaux sont passés à trente médecins de famille et cinquante spécialistes. Ces professionnels sont aujourd’hui épaulés par de nombreuses infirmières. On trouve, en outre, à la polyclinique cinquante-deux paramédicaux, dont des physiothérapeutes et des ergothérapeutes. Aujourd’hui, 197 personnes y travaillent.
La Polyclinique médicale Concorde fonctionne un peu comme un minihôpital. On y trouve la majorité des spécialités. Les omnipraticiens, de leur côté, en plus de suivre des patients, s’occupent des petites urgences, font des points de suture, posent des attelles temporaires, etc. La clinique ne comporte toutefois ni lits ni salle d’opération. Celle qui existait a disparu il y a quelques années à cause des coûts trop élevés. Néanmoins, la polyclinique a été le premier établissement privé du Canada à faire l’acquisition d’un appareil de tomographie. Elle possède également un appareil d’imagerie par résonance magnétique.
Depuis ses tout débuts, la polyclinique offre aux médecins des conditions d’exercice stimulantes. « Jeune omnipraticien, j’ai été attiré par l’organisation, le dynamisme et la possibilité d’avoir une pratique polyvalente », se rappelle le Dr Claude Saucier, qui s’est joint à l’équipe en janvier 1979.
Le Dr Saucier a connu les années d’abondance, mais aussi les périodes difficiles. Il se souvient de l’époque où les omnipraticiens de cabinet avaient la portion congrue dans le système de santé. « Jusqu’aux années 2000, les cabinets privés n’existaient pas dans le discours politique du ministère de la Santé et des Services sociaux », dit-il. Pendant des années, le gouvernement n’en avait que pour les CLSC. Il y investissait des sommes importantes au détriment des cliniques qui ne recevaient pas d’aide financière », estime l’ancien deuxième vice-président de la FMOQ.
Jusqu’à l’amélioration des conditions financières des médecins de cabinet, vers 2000, il était ardu d’attirer des omnipraticiens dans une clinique privée. Les frais de pratique étaient trop importants. Et ceux de la polyclinique Concorde étaient considérés comme les plus élevés, même si elle offrait plus de services. Mais en plus des frais de pratique, les professionnels de la santé qui voulaient travailler dans l’établissement devaient investir dans l’entreprise. « Cette contribution a été obligatoire, car on a connu des moments extrêmement difficiles », se remémore le Dr Perrier. De 1972 à 1975, les médecins qui voulaient devenir membres de la polyclinique devaient investir 5000 $ chacun. Puis, de 1975 à 1989, cet investissement est passé à 10 000 $. Les médecins récupéraient leur mise de fonds sous forme d’honoraires. L’achalandage de la clinique leur permettait d’avoir des revenus accrus. Cette participation financière a été abolie après 1989.
Aujourd’hui, les cliniques devenues des groupes de médecine de famille (GMF) ou des cliniques-réseau reçoivent un soutien de l’État. C’est le cas de la polyclinique Concorde qui est un GMF depuis sept ans et une clinique-réseau depuis trois ans. « À certains moments, il a fallu avoir une immense foi en la Polyclinique médicale Concorde pour la maintenir en vie », avoue le Dr Saucier.
Le Dr Jacques Beauchamp, président et directeur général de la Polyclinique médicale Concorde depuis 1989, estime pour sa part que certaines menaces planent encore sur les cabinets privés. « Les mesures gouvernementales ont pris et prennent encore de plus en plus de place dans l’encadrement de la pratique médicale, ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une perte d’autonomie supplémentaire qui pourrait toucher les cliniques, dit-il. Dans le passé, nous avons vu l’arrivée des plafonds d’honoraires, des activités médicales particulières et de plans régionaux d’effectifs médicaux, autant de mesures qui ont encadré la pratique et qui ont eu des répercussions sur le recrutement, la disponibilité et l’engagement des jeunes omnipraticiens. L’arrivée des conditions de pratique « sans-frais » ou avec « frais réduits » offertes par certaines pharmacies a aussi créé beaucoup de compétition. »
Presque un demi-siècle après sa création, la clinique Concorde fonctionne toujours bien. Peut-être même trop bien. « On est un peu victime de notre succès », affirme le Dr Saucier. En effet, les patients arrivent de partout, même de Montréal. Le service de consultation sans rendez-vous est d’ailleurs ouvert à tout le monde.
Le secret de la réussite actuelle de la polyclinique ? Le grand accès aux soins qu’elle offre. L’établissement est ouvert tous les jours, de 8 à 22 heures et les fins de semaine de 8 à 16 heures. « On n’a pas adopté l’Accès adapté, mais on s’organise pour voir tout le monde. Les délais d’attente varient cependant selon les médecins », indique le médecin de famille. La polyclinique Concorde prend encore de nouveaux patients, mais la porte n’est pas grande ouverte. Généralement, on y accepte les membres d’une même famille.
Selon le Dr Saucier, l’avenir de la médecine réside dans les polycliniques. À son avis, les médecins doivent absolument se regrouper afin d’offrir un meilleur service au patient. « La polyclinique Concorde l’avait déjà compris en 1970, et c’est encore plus vrai de nos jours. Même un petit regroupement comprenant de huit à douze médecins fait toute une différence. » //
Le projet « Objectif 73 »Pour la survie de la pratique en clinique Dans les années 1970, la construction de nouvelles cliniques est dans l’air du temps. La FMOQ, pour sa part, fait la promotion du regroupement des médecins de famille dans des cabinets privés. Elle apporte même son soutien aux omnipraticiens qui choisissent ce type de pratique plutôt que le travail en solo. |
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« Lorsque nous recevions une demande d’un groupe de médecins de famille, nous leur fixions un rendez-vous et arrivions en équipe si c’était nécessaire. S’il fallait réaménager les locaux, un architecte nous accompagnait. S’il y avait une question d’ordre juridique, c’était Me Raymond Duquette qui était présent. Nous réussissions à régler beaucoup de problèmes à nous trois », explique le Dr Guy Bonenfant, ancien président du comité de planification et ex-trésorier à la FMOQ. |
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La Fédération avait mis sur pied le projet « Objectif 73 ». Son but : empêcher que tous les omnipraticiens travaillent dans les CLSC. Le ministère de la Santé et des Services sociaux, qui venait de créer ces établissements de soins, voulait en faire la porte d’entrée du nouveau système de santé du Québec. Il désirait en outre transformer les médecins en salariés. Les enjeux étaient importants. « Un salarié dépend de son patron, explique le Dr Georges Boileau, ex-directeur général adjoint à la FMOQ et ancien directeur des Communications. Le médecin est un professionnel autonome. Il n’a de compte à rendre qu’à son patient. On se dirigeait vers la domination du médecin et la prise de contrôle de la médecine par les hauts fonctionnaires. » |
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La Fédération a donc contre-attaqué. Il fallait éviter que le système de santé devienne un grand réseau communautaire. La solution résidait dans le regroupement des médecins de famille et la création de cliniques. « J’avais convaincu le Dr Gérard Hamel, président de l’époque, que c’était la seule manière de réagir à l’apparition des CLSC, raconte le Dr Bonenfant. Depuis longtemps, je croyais en la médecine de groupe, précise-t-il. J’ai commencé à pratiquer en 1961, en solo, jusqu’en 1967. Je trouvais cela épouvantable sur le plan du travail, car c’était trop exigeant pour le médecin qui devait être disponible 24 heures sur 24. » |
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« Objectif 73 » proposait aussi aux omnipraticiens d’intervenir dans l’organisation des soins. Chaque association affiliée à la Fédération pouvait coordonner les soins en médecine générale dans différents sous-territoires. Ainsi, dans le cadre d’une pratique de groupe, un clinicien faisait des quarts de travail à l’urgence de l’hôpital, un autre se chargeait des consultations sans rendez-vous à la clinique, un troisième faisait la tournée des patients hospitalisés pendant une semaine, d’autres effectuaient le suivi des patients, etc. |
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Sans aucun doute, le programme a été déterminant pour l’avènement des cliniques et des polycliniques du Québec. S’étendant sur plusieurs années, il a entre autres permis à chaque région du Québec d’instaurer un plan d’organisation des soins. |