quand commencer la prévention ?
Il faut commencer à prévenir l’obésité chez les enfants tôt. Avant même la naissance. Dès la grossesse et les premiers mois de vie, certains facteurs augmentent déjà le risque de l’enfant d’avoir un excès de poids.
Chez les enfants, les signes précurseurs de l’obésité apparaissent souvent tôt. Très tôt. Déjà, à 5 ans, un premier facteur est souvent présent chez bien des petits : le surpoids. Il quadruple leur risque d’être obèses à 14 ans, vient de montrer une étude publiée dans le New England Journal of Medicine1.
Des chercheurs d’Atlanta, la Pre Solveig Cunningham et ses collaborateurs, se sont intéressés à une cohorte de 7738 enfants qui ont été suivis de l’âge de 5 à 14 ans. Parmi ceux qui sont devenus obèses pendant ces neuf ans, presque la moitié avait un excès de poids à la maternelle. Mais déjà, à la naissance, plus de 36 % étaient de gros bébés (encadré).
Quand alors faut-il commencer la prévention de l’obésité ? Très précocement, affirment certains spécialistes. Avant la naissance. Et même… avant la conception. Les premiers facteurs de risque sont alors déjà présents.
La Pre Karin Bammann, d’Allemagne, et son équipe estiment qu’il faut d’abord s’intéresser aux parents. Ils ont effectué une étude cas-témoins sur 1024 enfants de 2 à 9 ans dans huit pays européens2. « Dans notre recherche, les facteurs de risque clés de l’obésité chez les enfants sont l’indice de masse corporelle (IMC) des parents et le gain de poids pendant la grossesse. Par conséquent, les approches de prévention devraient cibler non seulement les enfants, mais aussi les adultes », analysent les auteurs. Ils insistent en particulier sur la surveillance du poids pendant la gestation. Ce facteur serait crucial dans la prévention précoce de l’obésité chez les enfants.
C’est ce que pensent aussi les Drs Matthew Gillman et David Ludwig, médecins et chercheurs à l’université Harvard. Inquiets, ils soulignent que parmi les femmes en âge de concevoir, une forte proportion a un surpoids ou est obèse. « Ces femmes qui auront probablement un gain de poids excessif pendant leur grossesse, vont avoir plus de difficultés après l’accouchement à revenir à leur poids antérieur. Le fait de conserver cet excès de poids non seulement laisse présager une hausse du risque de complications liées à l’obésité, mais aussi augmente l’IMC au début des grossesses suivantes », écrivent-ils dans un éditorial publié dans le New England Journal of Medicine3.
L’enfant pourrait aussi subir les répercussions de cette trop grande prise de poids. « Durant la grossesse, un gain de poids excessif, associé à d’autres facteurs comme le diabète de grossesse, peut altérer la croissance et le métabolisme du fœtus, ce qui conduit à une adiposité plus importante chez les enfants », écrivent les deux médecins américains.
Actuellement, plusieurs essais cliniques contrôlés à répartition aléatoire ciblent le gain de poids excessif pendant la grossesse. Il faut prouver de manière irréfutable que de le réduire diminuera le risque d’obésité chez les enfants.
Agir avant la naissance
Ce qu’il faut surtout éviter : l’apparition de l’obésité chez l’enfant. L’atteinte du 95e percentile de l’IMC. Une fois présent, le problème est difficile à soigner. Dès le départ, certains facteurs pourraient être déterminants. Dans les modèles animaux, les perturbations alimentaires, hormonales, mécaniques et autres qui surviennent durant la période prénatale et la petite enfance produisent des dérangements souvent irréversibles dans les tissus adipeux et le métabolisme de la progéniture, indiquent les Drs Gillman et Ludwig. « Par conséquent, une intervention au bon moment pendant les phases précoces et plastiques du développement – contrairement aux efforts correctifs faits plus tard dans la vie – peut mener à une amélioration de la santé qui durera toute la vie. »
Avec la venue d’un nouvel enfant s’ouvre, par ailleurs, une fenêtre pour agir. « Certaines caractéristiques de la grossesse et de la petite enfance rendent les périodes prénatales et postnatales favorables à des modifications de comportement pour réduire les risques d’obésité et ses complications », estiment les chercheurs.
Cette ouverture facilite les interventions. À l’Hôpital général Juif, à Montréal, le Dr Haim Abenhaim, obstétricien-gynécologue spécialisé en médecine fœtomaternelle, voit de plus en plus de patientes souffrant d’embonpoint. « En Amérique du Nord, environ 30 % des patientes sont obèses dès le début de la grossesse. Il faut cependant se concentrer moins sur la prise de poids pendant la gestation que sur l’obésité en tant que telle, estime le médecin. On doit s’assurer que les patientes sont suivies par une diététiste et qu’un test pour le diabète de grossesse est fait. La personne obèse a une façon de se nourrir qui est différente. Cependant, si elle est bien encadrée par une équipe comprenant une diététiste et un médecin qui la suit, elle va mieux manger et ne pas prendre trop de poids. C’est ce qu’on voit dans la pratique. »
Il existe déjà des recommandations pour les gains de poids selon l’IMC initial de la future mère. « Les femmes obèses ne doivent pas prendre plus de 10 kg pendant la grossesse. Celles qui ont une obésité morbide doivent même perdre du poids », précise le Dr Abenhaim.
À quel âge l’obésité apparaît-elle chez les jeunes ? Pour le savoir, la Pre Solveig Cunningham et son équipe de l’Université Emory, à Atlanta, ont analysé les données de la cohorte Early Childhood Longitudinal Study, un échantillon représentatif de 7738 enfants qui fréquentaient la maternelle aux États-Unis en 19811.
À 5 ans, 12,4 % des enfants étaient déjà obèses (IMC au 95e percentile) et 14,9 % avaient un surpoids (85e percentile). Les 6807 enfants qui ne présentaient pas d’obésité à leur entrée à la maternelle ont été suivis jusqu’à 14 ans. Une fois cet âge atteint, 20,8 % étaient dorénavant obèses. Les données montrent que l’obésité apparaît surtout à un jeune âge. L’incidence annuelle était ainsi de 5,4 % pendant l’année de maternelle et a ralenti pour atteindre 1,7 % entre 11 ans et 14 ans.
L’embonpoint à un jeune âge joue un rôle déterminant dans la survenue de l’obésité. Parmi les sujets qui présentaient un surplus de poids à leur entrée à la maternelle, 31,8 % étaient obèses à 14 ans. À l’opposé, seulement 7,9 % de ceux qui avaient un poids normal à 5 ans étaient atteints d’obésité neuf ans plus tard.
Le poids à la naissance est également un élément important. Parmi les sujets qui pesaient 4 kg ou plus à la naissance, 22,5 % étaient obèses à 5 ans et 31,2 % à 14 ans. Cependant, le cours de l’obésité pourrait peut-être être infléchi. Les enfants qui pesaient plus de 4 kg à la naissance et avaient un surplus de poids à 5 ans couraient cinq fois plus de risque de devenir obèses durant les neuf années suivantes que ceux qui avaient un poids élevé à la naissance, mais normal à 5 ans.
Le statut socioéconomique est par ailleurs un facteur clé. À l’âge de 14 ans, la prévalence de l’obésité était de 11,4 % chez les enfants des milieux les plus aisés et de 24,1 % dans les plus pauvres. Cet écart apparaissait déjà à la maternelle.
Outre le gain de poids excessif pendant la grossesse, d’autres facteurs modifiables accroîtraient précocement les risques d’obésité chez l’enfant. Certaines études ont fait ressortir le tabagisme chez la femme enceinte, un allaitement au sein de courte durée et des périodes de sommeil insuffisantes chez le bébé.
À la lumière de leurs travaux, les Drs Gillman et Ludwig affirment que, combinés, ces différents facteurs pourraient accroître davantage le risque d’obésité. Dans une cohorte de 1110 d’enfants suivis du début de la grossesse jusqu’à 7-10 ans, ils ont découvert que les sujets dont la mère n’avait pas fumé ni pris trop de poids pendant la grossesse, qui avaient été nourris au sein pendant au moins douze mois et qui avaient dormi douze heures et plus par jour quand ils étaient bébés avaient un risque d’obésité de 4 %3,4. À l’opposé, ceux chez qui les quatre facteurs de risque étaient présents avaient une probabilité de 28 % de devenir obèses.
Les données ont été ajustées en fonction du degré de scolarité de la mère, de son IMC, du revenu familial et du groupe ethnique de l’enfant. Néanmoins, il se pourrait quand même que les femmes qui ne fumaient pas, n’avaient pas pris trop de poids durant la grossesse, avaient longtemps allaité et dont le bébé avait dormi longtemps étaient différentes de celles qui n’avaient aucune de ces caractéristiques. C’est ce que croit le Dr Laurent Legault, pédiatre-endocrinologue et responsable de la Clinique poids santé, à l’Hôpital de Montréal pour enfants. « J’ai l’impression que la présence de ces quatre facteurs de risque est surtout le reflet du milieu dans lequel ces familles évoluent. L’obésité a une forte tendance à se retrouver dans les environnements socioéconomiquement défavorisés. Les quatre éléments pourraient être des marqueurs de milieux obésogènes, et pas nécessairement des facteurs de causalité. Dans ces cas-là, les interventions peuvent être ciblées sur ce qu’il est possible de modifier dans ce cadre. »
L’étude des deux chercheurs comporte par ailleurs une importante faiblesse. Elle manque de puissance. Quand on analyse individuellement les facteurs de risque, seule la durée du sommeil se révèle significative. Cette donnée, toutefois, s’avère très intéressante.
« Le manque de sommeil a été associé de façon répétée au risque de surpoids. Tous les experts qui s’intéressent à l’obésité de façon sérieuse essaient de comprendre ce qui se passe sur ce plan, que ce soit chez l’adulte ou l’enfant. L’étude américaine, elle, a mis en lumière un nouveau facteur qui n’a pas été systématiquement exploré dans la petite enfance. »
Bien des recherches sont encore nécessaires dans ce domaine. « La question est de savoir si la réduction des heures de sommeil est le reflet d’une situation familiale ou environnementale difficile ou si elle est intrinsèquement liée à l’enfant. Peut-on supposer, comme c’est le cas chez les enfants plus âgés, que si le bébé dort moins, il a plus d’occasions d’être alimenté ? Est-ce que ses heures de sommeil sont réduites parce qu’il y a plusieurs enfants dans la famille ou que le logement est petit et mal insonorisé ? Ce sont des éléments qui doivent être explorés. »
Mais même si l’étude des Drs Gillman et Ludwig n’a pas vraiment prouvé que la combinaison des quatre facteurs de risque avait un effet significatif, il faut néanmoins tenir compte de chacun d’entre eux. « Les recommandations faites par l’équipe de recherche ne sont pas nouvelles en soi et ont toujours été prônées », fait remarquer le Dr Legault.
Parmi les facteurs de risque d’obésité infantile, on trouve aussi l’introduction prématurée d’aliments solides. La Société canadienne de pédiatrie, recommande le début de la nourriture consistante vers l’âge de 6 mois.
Les liens entre obésité et recours trop précoce aux aliments solides apparaissent clairement dans une étude menée par la Dre Susanna Huh, de Boston, et son équipe5. Les chercheurs ont suivi 847 enfants de la première visite prénatale jusqu’à 3 ans. Arrivés à cet âge, 9 % des bambins étaient obèses.
Durant les quatre premiers mois de vie, 67 % des bébés avaient été nourris au sein et 32 % avec du lait maternisé. Chez les sujets allaités, le moment de l’introduction des aliments solides n’était pas lié à la prise excessive de poids. Par contre, chez les enfants nourris au biberon ou sevrés tôt, la prise d’aliments avant l’âge de 4 mois était très fortement associée au risque d’obésité à 3 ans.
Ce facteur de risque mérite d’être approfondi, estime le Dr Legault. « Il faut voir les raisons pour lesquelles certaines familles choisissent de donner des solides avant l’âge de 4 mois. Est-ce une préférence familiale ? Est-ce par tradition ? Est-ce dû à la perception que l’enfant n’est pas rassasié par le lait ? Parfois, les familles moins expérimentées ne vont expliquer les pleurs de l’enfant que par la faim. » Dans sa pratique, le pédiatre a rarement vu de cas où la prise d’aliments consistants était nécessaire avant l’âge de 4 mois. « Par contre, si l’enfant est trop nourri à cause de la prise de solides, le résultat est prévisible : le surpoids. Le nombre de calories ingurgitées devient nettement supérieur à celui qui est métabolisé. Le bébé ne fait pratiquement que dormir ou manger à cet âge. »
L’enseignement aux familles est donc important. Principalement auprès des nouveaux parents. Surtout si l’un des deux est obèse. « On peut leur dire que ce serait bien de prolonger l’allaitement le plus longtemps possible et de retarder l’introduction des solides. Mais il faut un suivi. Souvent les familles ne sont rencontrées qu’une ou deux semaines après l’accouchement et, à moins qu’il y ait un problème, il est difficile de discuter avec elles de l’alimentation de l’enfant en dehors des rendez-vous fixés. L’influence familiale peut par ailleurs être très forte », indique le Dr Legault.
Dans le monde de l’obésité, une nouvelle hypothèse est par ailleurs en train d’émerger : la piste de la flore intestinale. Chez les rongeurs, certaines modifications du nombre et du type de micro-organismes durant la petite enfance sont associées à un excès de gain de poids. Y aurait-il le même phénomène chez les êtres humains ? « Les intestins des bébés sont normalement colonisés durant le passage à travers le canal vaginal, ce qui pourrait être une raison pour laquelle les enfants nés par césarienne semblent avoir un risque plus élevé de devenir obèses », mentionnent les Drs Gillman et Ludwig dans leur éditorial.
C’est une voie à surveiller. « Cette hypothèse n’est pas encore clairement établie. Cependant, il y a actuellement quelques études qui tentent de la confirmer », estime le pédiatre.
Pour les Drs Gillman et Ludwig, il est maintenant temps d’interrompre le cycle de l’obésité qui se répète d’une génération à l’autre. Le moment privilégié de la grossesse et puis de l’arrivée du bébé constitue d’ailleurs une conjoncture favorable pour y parvenir. « Premièrement, pendant ces périodes, les femmes semblent particulièrement désireuses de modifier leur comportement pour le bien de leur enfant. Ensuite, comme les femmes enceintes et leurs enfants reçoivent des soins médicaux fréquents, les interventions nécessitant une prestation de soins avancée ont un grand potentiel. Troisièmement, ces périodes sont relativement brèves et l’on sait que les interventions pour changer un comportement réussissent habituellement mieux à court terme. Quatrièmement, si on commence des interventions efficaces pendant la grossesse et qu’on les poursuit après la naissance, on réduira le risque d’obésité maternelle pour les prochaines grossesses. On aidera ainsi à interrompre le cycle intergénérationnel. »
Toutefois, beaucoup d’hypothèses restent encore à vérifier pour prévenir efficacement l’obésité chez l’enfant. Mais en attendant, certaines mesures peuvent être adoptées. Elles sont déjà bénéfiques pour d’autres aspects de la santé, indiquent les deux chercheurs. Ainsi, il est devenu évident que les femmes enceintes ne devraient pas fumer. Le diabète de grossesse, lui, doit être traité. Cela permet entre autres de réduire le risque de macrosomie à la naissance, même si l’on n’a pas prouvé qu’on diminuait ainsi le risque d’obésité. La réduction du taux de césarienne, par ailleurs, est déjà un objectif de santé publique. En ce qui concerne le sommeil, une bonne hygiène est toujours recommandable, même chez les bébés. Et l’âge idéal pour commencer la nourriture solide semble être de 4 à 6 mois pour éviter les allergies. « D’autres recherches pourraient montrer que cela est aussi utile pour prévenir l’obésité. »
Pour le Dr Legault, il est important de cibler d’emblée les familles à risque sur le plan génétique. « Durant toute la grossesse, il faut vraiment insister auprès de la femme enceinte sur les éléments qui permettront de réduire la probabilité d’obésité chez l’enfant. Ces messages ne sont pas nouveaux. Ce qu’il faut, c’est travailler davantage à les faire accepter et à favoriser la mise en œuvre des modifications des habitudes de vie. » //