vers un nécessaire changement de culture
Certains procès fortement médiatisés font régulièrement émerger dans l’actualité le rôle joué par l’expert dans l’instance judiciaire. Depuis plusieurs années, ce sujet suscite beaucoup de questions, de débats et même parfois de controverses dans notre société. Manque d’intégrité, manque d’indépendance et manque de rigueur scientifique figurent au nombre des reproches que l’on adresse à l'occasion aux experts.
De tels commentaires minent la confiance du public envers le système de justice, confiance qui doit être rétablie. Plusieurs juristes se sont penchés sur cette question au cours des dernières années. Des débats de substance se sont engagés sur les solutions existantes, dont la possibilité d’imposer un expert unique aux parties en litige. Le législateur vient de trancher : il maintiendra l’expert choisi par les parties, mais va néanmoins encadrer plus étroitement le travail de ce dernier.
Me Christiane Larouche, avocate, travaille au Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Depuis quelques années, on note une inquiétante désaffection des citoyens à l’égard du système judiciaire. Plusieurs raisons ont été nommées pour expliquer ce phénomène, dont principalement le coût des litiges, la longueur des délais, la complexité de la procédure, l’incertitude du droit et la perception des citoyens quant à la manière de régler leurs problèmes.
Dans ce contexte, le ministre de la Justice du Québec a proposé, en 2002, une réforme du Code de procédure civile pour « établir une justice civile plus rapide, plus efficace et moins coûteuse, susceptible d’améliorer l’accès à la justice et d’accroître la confiance du citoyen dans le système de justice1 ».
Une première phase de la réforme de la procédure civile est ainsi entrée en vigueur en janvier 2003. Elle visait principalement à resserrer les délais accordés pour rendre une cause en état d’être entendue par le tribunal et elle introduisait l’application d’une règle de proportionnalité pour assurer un meilleur équilibre des coûts et des délais associés au litige, notamment quant aux experts. La réforme visait de plus à responsabiliser les parties dans le déroulement de l’instance de même qu’à donner plus de pouvoirs d’intervention au juge. Pour l’essentiel, la réforme de 2003 demeurait cependant mineure quant aux experts.
Depuis lors, le régime de procédure judiciaire a continué de faire l’objet de travaux par divers comités de juristes dans le but de soumettre des recommandations visant à développer une nouvelle culture judiciaire, notamment quant au recours à des experts.
L’un des plus fervents partisans d’une réforme du régime des témoins experts a été feu l’honorable Michel Proulx. Cet ancien juge en chef de la Cour d’appel du Québec a prononcé plusieurs conférences sur le sujet dans un langage non équivoque. Voici ses constats :
Un comité d’éminents juristes issus de la magistrature, du ministère de la Justice et du Barreau du Québec (nommé sous-comité Magistrature-Justice-Barreau sur les expertises) a reçu le mandat d’analyser la seule et unique question des expertises judiciaires au Québec. Ce comité s’est penché sur le rôle de l’expert en matière de droit civil, familial et de la jeunesse. À l’issue de ses travaux, il a conclu, dans un rapport détaillé produit en 2007, que les expertises étaient pertinentes à la résolution de nombreux litiges. Toutefois, le comité s’est dit préoccupé par les coûts importants des expertises et les délais qu’elles entraînent sur la mise en état des dossiers et le déroulement des procès. Tout en convenant que le recours à l’expert unique pouvait grandement contribuer à résoudre une partie des problèmes, le comité a reconnu être divisé sur la question de l’imposition par le tribunal. Le Barreau du Québec n’y était pas favorable, car l’expert unique ne peut convenir à tous les litiges dans le cadre de notre système de justice contradictoire. Le comité s’est cependant entendu sur plusieurs autres principes devant être à la base de toute réforme en matière d’expertise3.
Après des années de travail, la deuxième phase de l’importante réforme des règles de procédure civile a finalement été sanctionnée par le législateur le 21 février 2014. Cette réforme jette les bases d’une culture générale de la justice civile plus axée sur la communication, la collaboration et la négociation. Elle témoigne notamment de la volonté du législateur d’encadrer davantage le travail des experts. Les dispositions de la Loi instituant le nouveau Code de procédure civile ne seront toutefois pas en vigueur avant l’automne 2015.
Les grandes lignes de la réforme touchant les experts sont les suivantes :
Parallèlement aux travaux de réforme de la procédure civile du Québec, le Collège a entamé une révision de son Guide d’exercice sur la médecine d’expertise. À cette fin, il a créé un groupe de travail à l’été 2013 et a invité des membres du Barreau du Québec à travailler avec lui.
Comme le Barreau, le Collège souhaite définir des solutions pour mieux encadrer le travail des experts dans le cadre du système contradictoire de justice. Bien entendu, les travaux du Collège devront s’inscrire dans le prolongement des nouvelles règles de procédure civile sur les témoins.
Le Collège allègue un nombre croissant de demandes d’enquêtes liées au rôle joué par le médecin expert. Les plaignants déploreraient notamment l’existence de discordances entre l’opinion émise par le médecin expert dans son rapport et celle de leur médecin traitant. D’autres personnes remettraient par ailleurs en cause la qualité objective de l’anamnèse et de l’examen physique ou mental effectués par le médecin expert.
À la lumière de ce qui précède, le comité du Collège a pour mandat de :
La FMOQ aura la chance de faire valoir ses commentaires, notamment sur le rôle incontournable du médecin de famille dans le domaine de l’expertise.
L’expert a un rôle important à jouer dans la plupart des cas où l’on sollicite son opinion. On l’a dit et redit, l’expert ne décide pas. Son rôle est d’aider et d’éclairer les avocats, les juges ou les autres personnes appelées à rendre des décisions sur des questions cliniques, scientifiques ou techniques qui dépassent leurs connaissances habituelles.
Son devoir d’objectivité et d’impartialité envers le tribunal ou le décideur doit avoir préséance sur toute autre obligation. La déclaration de l’expert qui sera jointe au rapport d’expertise devant les tribunaux judiciaires selon les nouvelles règles de procédure l’attestera. Une question se pose cependant : ne devrait-on pas exiger de tout médecin expert une telle déclaration solennelle avec son rapport d’expertise, quel que soit le forum concerné ?
La « recette » d’une expertise de qualité est déjà bien décrite dans le guide d’exercice du Collège des médecins du Québec sur la médecine d’expertise4. Il suffit de respecter les règles déontologiques et les pratiques professionnelles mentionnées dans ce guide pour éviter les écueils.
Au premier chef, l’expert doit faire preuve d’une grande rigueur et de sérieux dans sa démarche. Ses conclusions devraient toujours s’appuyer sur des bases scientifiques et des éléments probants. L’expert devrait toujours utiliser un langage clair, compréhensible et sobre pour qu’un juge ou un décideur puisse le comprendre. Il devrait de surcroît faire preuve d’objectivité et de pondération. L’ensemble de son rapport et de son témoignage devrait traduire son impartialité et son indépendance.
D’une façon générale, le rapport doit être aussi bref que possible, mais complet et précis. On note en effet des lacunes à ce sujet, notamment dans les expertises portant sur des évaluations physiques où l’on observe une description insuffisante des examens effectués. La présentation du rapport devrait être bien structurée et conforme aux recommandations du guide.
En conclusion, il convient de rappeler à l’expert toute l’importance de l’éthique dans sa conduite dans le but d’éclairer adéquatement les décideurs, car il en va de l’intégrité de notre système de justice. //