Entrevue avec Dr Sylvain Dion
Le président de l’Association des médecins de CLSC du Québec est heureux que les CLSC fassent l’objet de propositions au cours de la campagne électorale. À ses yeux, certaines des idées lancées méritent d’être retenues et bonifiées pour améliorer le système de santé.
M.Q. – Quel est l’avenir des CLSC ? |
|
S.D. – Je suis préoccupé par ce sujet. J’ai récemment rencontré la directrice générale adjointe de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESS) pour lui parler de la survie des services médicaux en CLSC. Elle m’a clairement dit que les CSSS ont abandonné l’idée de développer la pratique médicale en CLSC. Il y a des établissements où cette pratique survit, mais l’AQESS n'a aucune volonté d’en faire la promotion. Cela ne fait même pas partie de ses discussions internes ni de ses préoccupations. La directrice générale adjointe me disait que, derrière tout cela, il y a un grand scepticisme sur la valeur de la contribution des services médicaux en CLSC sur le plan de l’offre de services en première ligne. Il y a un préjugé concernant la non-productivité de cette pratique-là. |
M.Q. – Avez-vous un plan pour assurer l’avenir de la pratique médicale dans les CLSC ? |
|
S.D. – Les programmes en CLSC, comme les soins palliatifs, le maintien à domicile, la santé mentale, le planning et autres constituent l’axe sur lequel on travaille actuellement. Ce volet-là représente une pratique médicale propre aux CLSC. Par contre, l’autre volet, la prise en charge et le suivi des patients se retrouvent également dans les cabinets et les GMF. Dans ce domaine, les CLSC sont moins concurrentiels, parce que les conditions d’exercice y sont moins favorables. Je pense donc qu’il faut pousser la réflexion en ce qui concerne les programmes. Je crois qu’ils demeurent un incitatif pour attirer les omnipraticiens dans les CLSC. |
M.Q. – Avez-vous de la difficulté à assurer la relève ? |
|
S.D. – Dans les zones urbaines, comme Montréal et Laval, où il y a des masses critiques plus importantes, les CLSC sont encore capables d’attirer de jeunes médecins. En général, cependant, les jeunes connaissent mal la pratique médicale en CLSC. Depuis trois ans, l’Association est donc présente au Salon carrière des résidents qui a lieu à l’automne. |
M.Q. – Quelles seront les répercussions du manque de relève ? |
|
S.D. – Je crains entre autres l’abandon des services auprès de clientèles particulières. Je pense plus précisément au maintien à domicile, aux soins palliatifs à domicile et à la santé mentale. Ce sont des secteurs où l’on risque de se retrouver avec des crises importantes. À court ou à moyen terme, certaines clientèles vulnérables ne seront plus desservies. |
M.Q. – Quels changements seraient nécessaires pour maximiser le travail des omnipraticiens qui restent ? |
|
S.D. – Il faudrait d’abord que les médecins de CLSC soient mis à contribution pour leur expertise médicale. Une omnipraticienne qui pratiquait dans le secteur du maintien à domicile me disait qu’elle passait beaucoup de temps au domicile de chaque patient, faute d’un ergothérapeute et d’autres professionnels. Elle ne pouvait donc voir qu’une ou deux personnes par demi-journée. Le médecin doit avoir une équipe derrière lui pour être efficace. |
M.Q. – Réévaluez-vous aussi le rôle du médecin dans ces programmes ? |
|
S.D. – Oui. Aujourd’hui, contrairement à il y a trente ans, un médecin ne pratique plus à temps plein dans un domaine comme la santé mentale. Il faut donc redéfinir sa contribution. L’omnipraticien de CLSC qui exerce une ou deux journées en santé mentale, toutefois, ne peut suivre tous les cas de troubles psychotiques ou de troubles de la personnalité du territoire. Est-ce qu’il doit devenir une personne-ressource pour les médecins de cabinet qui continuent à suivre leurs patients ? C’est peut-être le modèle vers lequel on doit aller. Un de nos comités a commencé à se pencher sur cette question. |
M.Q. – Vous êtes donc en train de redéfinir le rôle du médecin de CLSC. |
|
S.D. – Oui. Cependant, il faut toujours garder en tête que notre objectif est que le médecin à temps plein en CLSC ait, autant que possible, une pratique polyvalente. Il peut avoir une expertise dans un domaine, mais il demeure un médecin de famille qui voit des patients de 0 à 99 ans. |
M.Q. – Au cours de la campagne électorale, il a été question du rôle accru que les CLSC pourraient jouer dans le système de santé. Qu’en pensez-vous ? |
|
S.D. – C’est intéressant que Québec Solidaire ait choisi de miser sur les CLSC pour améliorer les services de première ligne. Cependant, il faut être réaliste. Il y a des CLSC dont les équipes médicales sont suffisamment importantes pour pouvoir prendre en charge plus de patients, mais il y en a d’autres dont le personnel est trop restreint. Pour ma part, je pense que c’est par le partenariat que l’on va améliorer l’accès à la première ligne. Il faut accroître la collaboration des médecins de CLSC avec les autres professionnels de la santé et avec leurs collègues des cabinets médicaux. |
M.Q. – Québec Solidaire a proposé de renforcer les CLSC et d’en faire le pivot du réseau de soins. |
|
S.D. – Théoriquement, ce serait la mission des CLSC. Ils sont rattachés aux centres de santé et de services sociaux (CSSS) qui ont une responsabilité populationnelle. Toutefois, il ne faut pas se le cacher, ce sont les groupes de médecine de famille (GMF) qui, actuellement, constituent le pivot du système de santé. Les CLSC doivent donc collaborer avec eux. |
M.Q. – Est-ce réaliste d’étendre les heures d’ouverture de bien des CSLC de 7 h à 23 h, sept jours sur sept, comme l’a suggéré le parti de Mme Françoise David ? |
|
S.D. – Est-ce que la population a vraiment besoin d’avoir un accès aussi étendu à la première ligne de soins ? Il ne faut pas que l’on ait des professionnels qui se tournent les pouces. Par ailleurs, si ce sont des médecins qui doivent assurer cette couverture, il n’y en a pas suffisamment dans les CLSC. La FMOQ, pour sa part, a proposé la création d’unités d’accès populationnel (UAP) ouvertes de 8 h à 20 h la semaine et de 8 h à 16 h la fin de semaine. Cela nous paraît suffisant pour répondre aux besoins des gens et éviter qu’ils se retrouvent à l’urgence. Il faut aussi tenir compte de l’existence des cliniques-réseau, dont certaines pourraient devenir des UAP. |
M.Q. – Québec solidaire a suggéré d’embaucher 800 professionnels de la santé dans les CLSC. |
|
S.D. – C’est beaucoup. Où les aurions-nous pris ? Toutefois, ce qui serait intéressant, si l’on recrute plus de professionnels dans le réseau, c’est qu’ils soient rattachés aux CLSC. Cela pourrait favoriser une certaine harmonisation dans le système de soins et permettre un enrichissement. L’ergothérapeute ou l’inhalothérapeute qui travaille dans une clinique pourrait rencontrer, grâce au CLSC, ses collègues qui exercent dans une autre clinique. Ils pourraient mettre en commun ce qu’ils font. On découvrirait ainsi les meilleures façons de desservir la population. |
M.Q. – Au cours de la campagne électorale, certains ont souligné que la rémunération des médecins a connu une augmentation très rapide au cours des dernières années, mais pas les services qu’ils offrent. |
|
S.D. – Je pense que c’est beaucoup trop simpliste de faire une règle de trois avec les sommes versées et les actes faits. Il y a trop de variables. Par ailleurs, il faut savoir que les hausses que les médecins ont eues au cours des dernières années ne visaient pas vraiment à augmenter leur productivité, mais constituaient un redressement de leur rétribution par rapport à celle de leurs collègues du reste du Canada. Néanmoins, je pense que les gens sentiraient davantage qu’ils en ont pour leur argent si on parvenait à faire en sorte qu’ils puissent voir leur médecin de famille dans un court laps de temps. On doit travailler pour aider les omnipraticiens à changer leur façon de pratiquer. Il faut qu’ils transforment un peu leur pratique pour se rendre plus accessibles. Leurs patients doivent pouvoir les voir au moment où ils en ont besoin. // |