Entrevues

Entrevue avec le président de l’association de la Côte-Nord

Diminution de 23 % de l’achalandage à l’urgence

Emmanuèle Garnier  |  2014-05-28

À Port-Cartier, où pratique le Dr Pierre Gosselin, président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Côte-Nord, l’achalandage de l’urgence a diminué de 23 % grâce à trois mesures : l’Accès adapté, l’augmentation des heures du « service de santé courant » et la création d’un service de consultation externe sans rendez-vous.

M.Q. – Sur la Côte-Nord, plusieurs cliniques ont récemment adopté l’Accès adapté. Qu’est-ce que cela a changé ?

  P.G. – Le groupe de médecine de famille (GMF) de Sept-Îles, celui de Port-Cartier et l’unité de médecine familiale de Baie-Comeau ont mis en place ce système. Chez nous, à Port-Cartier, les patients sont beaucoup plus satisfaits depuis que l’on a changé notre mode de fonctionnement. Ils trouvent que c’est bien plus facile d’avoir un rendez-vous. De plus, ils viennent nous voir quand ils ont des problèmes de santé, et non pas juste pour leurs examens habituels. Quand ils ont besoin d’un rendez-vous rapide, on les voit dans les jours qui suivent.

M.Q. – Est-ce que cela a eu des répercussions visibles sur le service d’urgence de votre CSSS ?

  P.G. – Oui. Le CSSS de Port-Cartier compile des données annuelles de consultation à l’urgence. L’Accès adapté a été mis en place en octobre 2013. On a constaté que du début d’avril 2013 jusqu’au début de novembre de la même année, il y a eu en moyenne 370 visites à l’urgence par semaine. À partir de novembre – donc juste après l’adoption de l’Accès adapté – et jusqu’à la fin mars 2014, les visites hebdomadaires ont totalisé 284. Cela représente donc 86 patients de moins par semaine.

M.Q. – Est-ce uniquement grâce à la mise en place de l’Accès adapté que le nombre de visites à l’urgence a diminué ?

  P.G. – Nous avons mis en œuvre plusieurs mesures. Toutefois, personnellement, je pense que c’est l’Accès adapté qui a eu l’effet le plus important sur l’achalandage de l’urgence. Maintenant, au lieu d’aller à l’urgence, les patients appellent à la clinique et, généralement, ont un rendez-vous dans les 24 h à 48 h.
Deux autres mesures pourraient aussi avoir contribué à réduire l’achalandage de l’urgence. En décembre 2013, nous avons accru les heures d’ouverture du « service de santé courant » au CLSC. Avant, il n’était ouvert que du lundi au vendredi, maintenant il l’est sept jours sur sept. On y voit tous les cas où il y a des pansements, des suivis de pansements, des antibiotiques par voie intraveineuse, des choses comme ça. Avant, ces patients étaient vus à l’urgence.
En janvier 2014, nous avons aussi mis sur pied un service de consultation externe sans rendez-vous ouvert deux demi-journées par semaine, soit le lundi et le jeudi après-midi. Pendant ces deux journées-là, l’infirmière au triage à l’urgence propose aux patients, surtout s’ils ont été classés P4 ou P5, de s’inscrire à la clinique externe pour avoir un rendez-vous au cours de l’après-midi. Ils n’attendent donc pas toute la journée. La salle d’attente de l’urgence est maintenant beaucoup moins remplie. Les jours précédant les lundis et les jeudis sont aussi moins chargés. Les gens ont compris qu’au lieu de venir le mercredi à l’urgence, il vaut mieux aller au service de consultation externe le jeudi.

M.Q. – Quel est l’effet sur les médecins ?

  P.G. – On a l’impression de se sentir moins accablé par notre travail. Si on voit qu’il y a deux personnes au lieu de vingt qui attendent, on se sent plus détendus. On se sent moins pris. On reçoit également des commentaires vraiment très positifs de la population.

M.Q. – Dans le dernier accord-cadre, les médecins des régions éloignées avaient obtenu certaines bonifications concernant la rémunération différenciée. Elles ne sont cependant toujours pas en vigueur, n’est-ce pas ?

  P.G. – Non. Il s’agit de l’harmonisation de la rémunération différenciée du travail en cabinet avec celle de la pratique en établissement. Actuellement, un jeune médecin qui commence à exercer sur la Côte-Nord a une rémunération de 130 % en établissement, mais de 120 % en cabinet. Dans ce dernier cas, il gagne 10 % de moins et doit payer en plus des frais de cabinet. Ce n’est pas un très bon incitatif. Déjà les nouveaux omnipraticiens préfèrent travailler à l’hôpital, il est donc difficile de les intéresser à la pratique dans une clinique. Les médecins de la Côte-Nord attendent l’harmonisation de la rémunération différenciée depuis 2010 et souhaitent son entrée en vigueur le plus rapidement possible.

M.Q. – Certains GMF de votre région ont par ailleurs des problèmes parce qu’ils ne répondent pas aux critères requis.

  P.G. – C’est le cas de deux des quatre GMF de la Côte-Nord : celui de Port-Cartier, qui est le mien, et celui de Havre-Saint-Pierre. Dans le cadre de gestion actuel, il faut avoir un minimum de 9000 inscriptions, mais aucun des deux GMF ne l’atteint. À Havre-Saint-Pierre, la population de la ville ne compte même pas 4000 habitants. Avec le nouveau cadre de gestion, il ne faudra que 6000 inscriptions, mais le problème restera le même. On n’aura donc pas droit à certains avantages, tels qu’une secrétaire ou des infirmières comme les autres GMF. On ignore ce que l’on recevra.

M.Q. – Recourez-vous aux médecins dépanneurs pour vous aider ?

  P.G. –  La Côte-Nord a recours aux médecins dépanneurs depuis le début des années 1980. Récemment, on s’est rendu compte que le Centre national Médecins-Québec (CNMQ) accorde de moins en moins de médecins dépanneurs. On demande cette aide pour éviter que nos omnipraticiens ne fassent trop de quarts de travail et pour leur permettre de faire un peu de prise en charge et de suivi. Le CNMQ a consenti à nous donner des dépanneurs, mais en deçà du nombre nécessaire. On nous dit : « Ah non ! Vos médecins faisaient déjà tant de quarts de garde, il faut qu’ils continuent à en faire autant. Ils ne peuvent pas en diminuer le nombre ! » Pour ma part, j’essaie d’intéresser les médecins à faire un peu de prise en charge et de suivi, mais ça bloque sur ce plan. Cela devient impossible. On nous dit : « Vous ne pouvez pas avoir de dépanneurs, il faut cependant que vous soyez en deuxième ligne à l’urgence et à l’hospitalisation, mais il faut que vous soyez aussi au GMF et il doit être ouvert tout le temps ». Eh bien, cela ne marche pas.

M.Q. – Le dépannage est donc primordial pour votre région.

  P.G. – Le recours au dépannage permettrait à nos omnipraticiens d’avoir une pratique plus polyvalente et plus intéressante. S’ils ont trop de gardes par mois, ils n’ont plus le temps de faire autre chose. On sait que s’ils en font trop, ils finissent par se lasser et s’en vont.
À Port-Cartier, on essaie d’exiger moins de quarts de garde pour permettre aux médecins de pratiquer au moins dans un cabinet ou de s’engager dans d’autres activités, que ce soit des programmes communautaires, des soins à domicile ou des visites en milieu scolaire. Ils ne doivent pas exercer uniquement à l’urgence. Je sais que pour les responsables du ministère de la Santé, c’est la priorité. D’un autre côté, ils disent que les GMF doivent être ouverts et que les médecins qui y travaillent devraient prendre plus de patients. Mais on ne peut pas faire les deux. Si on est à l’urgence, on n’est pas au cabinet !
Les médecins dépanneurs permettraient donc aux omnipraticiens de la Côte-Nord de ne pas être étouffés. S’ils ont l’impression de ne pas voir la lumière au bout du tunnel, si la charge de travail est trop importante ou qu’ils veulent pratiquer plus en clinique, mais ne le peuvent pas, ils finissent par partir. Cela accroît la pénurie. À part les nouveaux facturants, très peu de médecins viennent s’installer chez nous.