Éditorial

Les études douteuses

Dr Louis Godin  |  2014-06-25

Depuis quelque temps, des théoriciens de notre système de santé semblent se transformer subitement en mauvais étudiants lorsque vient le temps d’analyser les raisons sous-jacentes aux difficultés d’accès aux soins de première ligne. Certains prennent cependant des raccourcis inexcusables qui méritent d’être dénoncés.

Le plus récent exemple est une étude faite par l’ex-ministre des Affaires sociales (1973-76) Claude Forget, pour le compte de l’Institut C.D. Howe. La conclusion ? En gros, que les médecins de famille québécois travailleraient moins d’heures en première ligne que leurs collègues du reste du Canada et que le mode de rémunération à l’acte doit être remplacé. À la lecture de l’étude, on constate que l’auteur passe pratiquement sous silence la tâche particulière des omnipraticiens en milieu hospitalier pour s’attarder uniquement à celle en cabinet. Quarante pour cent de l’activité clinique des médecins de famille du Québec s’effectue en établissement, un fait unique au Canada. Cependant, l’auteur ne semble pas vouloir tenir compte de cette charge de travail dans l’offre de soins directs aux patients, se limitant aux soins offerts en cabinet ! Pourtant, cette particularité explique bien pourquoi les médecins de famille québécois ne peuvent consacrer autant de temps au suivi en cabinet que leurs collègues ailleurs au pays et permettrait surtout d’invalider les résultats de « l’étude » de M. Forget.

Même tendance à ignorer la réalité actuelle dans la proposition de remplacer le mode de rémunération à l’acte alors que d’autres modes existent déjà. Actuellement, en clinique médicale, 60 % de la rémunération provient des paiements à l’acte et 40 % de sommes forfaitaires alors qu’en établissement, la proportion est de 65 % sous forme forfaitaire et de 35 % à l’acte. L’auteur propose donc une solution... qui est déjà une réalité concrète ! Il est vraiment désolant de voir une institution comme C.D. Howe reprendre sur son site Web les conclusions d’une telle étude.

D’ailleurs, si on veut comparer des pommes avec des pommes, il faut consulter la seule source crédible en ce qui a trait aux heures travaillées, soit le sondage national des médecins. Et que nous dit cette source ? Qu’en 2013, les médecins de famille du Québec ont travaillé en moyenne le même nombre de semaines que l’ensemble des omnipraticiens canadiens (44,5 semaines au Québec contre 44,8 au Canada) et un nombre d’heures hebdomadaires comparable à la moyenne canadienne (50 heures au Québec contre 52,1 au Canada) et qu’ils ont consacré une moyenne d’heures de soins directs aux patients, toujours sur une base hebdomadaire, encore une fois semblable à celle de l’ensemble des omnipraticiens canadiens (32 heures au Québec contre 33,8 au Canada). À noter qu’en plus, les données sur les heures travaillées excluent le temps de garde et que les omnipraticiens québécois, étant donné leurs responsabilités en établissement, sont inévitablement des leaders à ce chapitre. Dans ce contexte, à moins d’être de mauvaise foi, on ne peut que constater que les médecins de famille du Québec travaillent autant, voire davantage, que leurs collègues canadiens.

Une autre théorie douteuse est reprise dans certaines autres « grandes études » : les médecins travailleraient nécessairement moins puisqu’ils facturent moins d’actes. Pour quiconque ayant suivi l’évolution de la pratique médicale en première ligne, une telle conclusion est ridiculement simpliste. Pourquoi ? D’abord aujourd’hui, dans le cadre de la collaboration interprofessionnelle, particulièrement en GMF, les médecins délèguent de plus en plus de problèmes bénins aux infirmières, tout en effectuant un suivi continu avec ces dernières pour les cas plus lourds. Cela nécessite autant, sinon davantage de temps, mais moins d’actes facturables. Aussi, l’arrivée du nouvel acte d’intervention clinique en 2012 a permis de remplacer deux services facturés dans plus de la moitié des cas. Ensuite, l’inscription constante d’une clientèle toujours plus vulnérable amène à la fois un lot de travail médicoadministratif supplémentaire et évidemment des soins médicaux exigeant plus de temps. Enfin, le vieillissement de la population, naturellement et indéniablement, alourdit la charge de travail et allonge la durée moyenne des consultations en médecine familiale. Ne pas tenir compte de ces données incontestables relève à nos yeux de la mauvaise foi, et aucun chercheur digne de ce nom ne devrait pouvoir le faire. //

 

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Le président, Dr Louis Godin