Entrevue avec la Dre Christiane Simard
Présidente de l’Association des médecins omnipraticiens du Sud-Ouest, la Dre Christiane Simard s’intéresse à la question de l’aide médicale à mourir. Elle offre des soins palliatifs à l’hôpital où elle pratique et en donne à domicile à des patients qu’elle suit depuis longtemps.
M.Q. — Que pensez-vous de la nouvelle Loi concernant les soins de fin de vie qui a été adoptée au début de juin ? |
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C.S. — En lisant la Loi, je me disais qu’elle va surtout s’appliquer à des cas exceptionnels. Cela fait vingt-quatre ans que je suis médecin et seulement deux fois des patients m’ont demandé d’avoir une injection pour mourir. En fait, la première fois il s’agissait plutôt de sédation palliative. Au début de ma carrière, j’ai eu une patiente qui voulait mourir à la maison. Elle m’avait dit : « Je veux que vous soyez là quand cela va se produire. » J’étais très proche d’elle et de sa famille. La patiente m’avait même demandé de choisir avec elle les vêtements qu’elle porterait dans son cercueil. Puis, sa famille m’a appelée pour me dire qu’elle n’allait vraiment pas bien. Quand je suis arrivée, elle était encore consciente. Je lui avais promis qu’elle ne souffrirait pas et que j’allais m’occuper d’elle. Je lui ai donné de la morphine devant la famille. Tout le monde savait qu’elle était en train de mourir. Elle est décédée deux heures après. Ce que j’ai fait était une sédation palliative terminale. Avec la nouvelle loi, il y a peut-être des médecins qui vont voir un patient pour la première fois quand ils vont l’accompagner dans la mort. Moi, par contre, mes patients je les connais. On a fait un long chemin ensemble. J’étais là dès le début. Mes patients n’étaient d’abord pas malades, puis le sont devenus. On a fait le diagnostic, le traitement. Dans ma tête, ce continuum-là est important. |
M.Q. — Que pensez-vous de l’aide médicale à mourir ? |
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C.S. — En règle générale, on est relativement capable de soulager la douleur. Cependant, si un patient demande de l’aide à mourir parce qu’il souffre trop, je pense que je me sentirais à l’aise de l’aider en ayant les balises prévues par la Loi. Je pense que la première fois que je vais le faire, je ne l’oublierai jamais.Un de mes collègues a déjà eu à aider à mourir un de ses patients qui souffrait de la sclérose latérale amyotrophique. Ce dernier allait mourir étouffé dans les semaines suivantes. Le médecin a longuement discuté avec lui. Il voulait être sûr que le patient comprenne que dès qu’il commencerait le processus, la mort s’ensuivrait. Pendant les vingt-quatre premières heures où le patient a été sur la morphine, il était un peu euphorique. Parfois c’est ce que ce médicament produit. Le malade a dit à mon confrère que c’était la plus belle journée de sa vie. Il avait toute sa famille auprès de lui, c’était le temps des Fêtes. Il était soulagé. Il savait qu’il ne décéderait pas par étouffement. |
M.Q. — Avez-vous des appréhensions ? |
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C.S. — L’aide à mourir est un geste qui va à l’encontre de notre formation. Néanmoins, la mort ne devrait pas nous faire peur comme médecins, parce qu’elle fait partie du continuum de la vie. Par ailleurs, le patient qui fait une demande d’aide va bientôt mourir de toute façon. Personnellement, je serais capable d’offrir ce soin à une personne qui va décéder sous peu, qui souffre de manière insoutenable et que moi, comme médecin, je peux aider. On a beaucoup de ressources pour prolonger la vie du patient et l’aider. Pourquoi, quand il arrive en fin de vie, n’utiliserait-on plus aucun moyen alors qu’on en a ? |
M.Q. — La Loi impose beaucoup de balises. |
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C.S. — Je trouve que c’est bien qu’il y ait plusieurs formes de contrôle. Maintenant qu’il y a des balises claires, les médecins pourront s’en parler. Dans le fond, on a tous fait de la sédation terminale. |
M.Q. — Est-ce difficile psychologiquement d’apporter une aide à mourir ou de donner une sédation palliative ? |
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C.S. — Si c’est fait dans la sérénité avec le patient, la famille, on en sort grandi. Cela repose sur les liens qu’on a tissés avec ces gens-là. Offrir des soins palliatifs, c’est aussi se questionner sur sa propre existence. |
M.Q. — Pensez-vous qu’il va y avoir beaucoup de demandes d’aide à mourir étant donné que ce soin va dorénavant être |
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C.S. — Je ne le pense pas, parce que les patients ne veulent pas mourir ; ils veulent être soulagés, accompagnés. En fin de vie, il y a beaucoup de déni. On n’arrive pas à une demande d’aide médicale à mourir d’un coup. C’est un cheminement. J’ai récemment admis à l’hôpital un patient qui était en phase terminale. Je savais qu’il allait mourir et lui aussi le savait. Cependant, il ne voulait pas mourir : il n’avait que 55 ans. Quand je l’ai revu un mois plus tard, son état s’était dégradé, mais psychologiquement il n’avait pas avancé. J’ai essayé de le voir seul dans le courant de la semaine pour l’aider à faire le point sur sa situation. Je ne lui ai pas parlé de soins palliatifs, parce que tout le monde lui en avait déjà parlé au cours des semaines précédentes. Le dimanche, il me dit : « Là, Dre Simard, c’est correct. Je peux m’en aller aux soins palliatifs. Mais vous me promettez que si je vais mieux, je pourrai aller chez ma sœur ». Je lui ai répondu : « Oui, je vous le promets. » |
M.Q. — Est-ce que la demande vient parfois des familles ? |
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C.S. — Il arrive que des familles trouvent l’agonie trop longue. Moi, cela me passe vingt pieds par-dessus la tête que ce soit trop long pour elles. Je me suis déjà fait dire : « Mais je n’ai pas de gardienne demain ! » Ce sont des cas qui marquent à jamais. La Loi fait en sorte que le médecin doit être complètement imperméable à ces pressions-là. C’est la volonté du patient qui compte. |
M.Q. — Sur le plan pratique, vous voyez des difficultés à offrir une aide à mourir ? |
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C.S. — Il faut demander l’avis d’un second médecin qui confirme le respect de toutes les conditions prévues par la Loi. Si c’est un dimanche matin, qui va être ce médecin ? Est-ce que ça va être un expert ? Un spécialiste ? Un omnipraticien ? |
M.Q. — La Loi prévoit également que l’on puisse avoir des directives médicales anticipées. |
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C.S. — Je trouve ça très important de réfléchir au niveau de soins que l’on veut avoir. Avant de demander de l’aide à mourir, il faut demander de l’aide pour la période où l’on est encore vivant. Je dois me demander ce que je veux comme intervention quand je vais tomber malade. Si j’ai un accident vasculaire cérébral, est-ce que je veux qu’on m’intube ? La réponse est non. Est-ce que je veux être gavée si je suis incapable de manger ? La réponse est non. Ce seront mes choix personnels. Et quand je vais arriver à la fin de ma vie, je n’aurai pas besoin de demander de l’aide à mourir, parce que je vais mourir tout simplement. |
M.Q. — Certains médecins sont contre l’aide médicale à mourir. |
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C.S. — Ces médecins parlent de mort prématurée, alors qu’on n’abrège la vie que de quelques jours, et ce, parce que le patient souffre trop. Est-ce qu’on peut remettre les choses en perspective ? C’est sûr qu’il faut investir pour qu’il y ait plus de soins palliatifs. Mais une fois que l’on a dit ça, qu’est-ce que l’on fait pour les patients que l’on est incapable de soulager ? Parce que cela existe. |
M.Q. — La Loi concernant les soins de fin de vie devrait entrer en vigueur au plus tard le 10 décembre 2015. D'ici-là, beaucoup de travail reste à faire. Les hôpitaux, notamment, devront adopter des protocoles concernant l'aide à mourir. |
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C.S. — La Loi stipule que dans les dix jours suivant l’administration d’une aide médicale à mourir, le médecin devra transmettre certains renseignements au Collège des médecins du Québec ou à son conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, ainsi qu’à la future Commission sur les soins de fin de vie. Il va falloir que les médecins reçoivent des directives. Par ailleurs, à mon avis, il était nécessaire d’avoir cette Loi pour mettre des balises. J’aimerais qu’elle permette de réfléchir non seulement à la fin de vie, mais aussi à la santé, à la mort et de voir comment on intègre tout cela. // |