Et ne pas pénaliser ses collègues
C’est l’un des secrets les mieux gardés : un omnipraticien qui, à l’approche de la retraite, veut diminuer ses activités cliniques peut le faire sans remords. À moyen et à long terme, il ne devrait pas pénaliser ses collègues. Pourquoi ? Parce que le Comité de gestion des effectifs médicaux (COGEM) MSSS-FMOQ tiendra compte de la réduction de son travail pour déterminer le nombre de médecins auquel sa région aura droit.
Certains médecins avancent en âge. D’autres ont de jeunes enfants. D’autres encore souffrent de problèmes de santé. Tous se sentent mal à l’aise de réduire leurs heures de pratique. Eux, comme leurs collègues, croient qu’un médecin à temps partiel prend la place d’un clinicien à temps plein. Ils ont raison… mais seulement à court terme.
Les méandres des calculs du COGEM recèlent d’intéressantes informations. Ainsi, pour fixer le nombre de médecins attribué à une région, le comité évalue d’abord les besoins en soins médicaux du territoire. Ensuite, il les compare aux services médicaux qui y sont rendus. Pour évaluer les soins donnés, il utilise les données de facturation des omnipraticiens de la région et convertit ces dernières en « équivalent temps plein » (ETP). Ainsi, quand un médecin réduit de moitié sa pratique, cela se reflète dans sa facturation et il n’est plus considéré comme un ETP complet.
À l’échelle régionale, cela peut faire une différence. Un territoire peut, par exemple, avoir besoin de 100 ETP en médecine familiale, mais, grâce aux données de facturation, on sait qu’il n’y a que 90 ETP. Il manquerait donc l’équivalent de 10 médecins travaillant à temps plein. « Si, tout à coup, 20 médecins décident de diminuer leur pratique de moitié, le nombre d’ETP sera de 80 et l’écart par rapport aux besoins sera non plus de 10, mais de 20 ETP », explique le Dr Serge Dulude, directeur de la Planification et de la Régionalisation à la FMOQ et membre du COGEM.
L’ennui c’est qu’il faut environ deux ans au COGEM pour corriger une situation dans un sens ou dans un autre. Prenons le cas du Dr Marchand qui commence à réduire sa pratique en janvier 2014. Ce n’est que le 31 décembre que les données d’une année complète d’activités seront accumulées. Le médecin doit ensuite faire sa facturation, recevoir ses forfaits et demander les ajustements nécessaires. La Régie de l’assurance maladie ne pourra donc pas envoyer les données au COGEM avant juin 2015. Et là, le comité préparera les PREM de 2016 dans lesquels la baisse d’activité du Dr Marchand pourrait paraître.
Le processus pourrait même être encore plus long, si le Dr Marchand décide de diminuer sa pratique en août. Seulement cinq mois d’activités réduites apparaîtront cette année-là dans sa facturation. Le plein effet de son ralentissement ne sera visible que l’année suivante.
Rien, par ailleurs, ne garantit que s’il y a un ETP de moins dans un territoire, celui-ci en récupérera un de plus l’année suivante. « Cela dépend des besoins des autres régions », précise le Dr Dulude. Bien des facteurs entrent dans l’équation. Entre autres, la pénurie régionale d’omnipraticiens. Dans les territoires les plus touchés, la baisse d’ETP a plus de chance d’être compensée.
Il n’existe actuellement pas de « demi-PREM » comme le réclament certains médecins. Et il n’y en aura pas non plus dans les prochaines années. Le Dr Dulude est formel. « Les avis de conformité sont attachés à un médecin. Le COGEM ne dispose pas de demi-médecin. » S’il fallait fractionner les omnipraticiens, la situation deviendrait ingérable. Comment desservir toutes les régions qui demanderaient des pourcentages de clinicien ? L’avis de conformité est donc accordé à un omnipraticien, qu’il travaille 10 ou 80 heures par semaine.
En fin de compte, malgré les aléas possibles de la répartition des effectifs médicaux, les omnipraticiens n’ont pas à se sentir coupables de réduire leurs activités à cause de l’âge, de la maternité ou de la maladie. D’autant plus que le nombre de jeunes omnipraticiens qui arrivent sur le marché du travail ne cesse de croître. De nouveaux médecins peuvent prendre la relève.
Cette liberté de moins travailler est aussi liée à une question de principe. « Nous avons droit à notre autonomie professionnelle, souligne le Dr Dulude. J’y crois beaucoup. » //