Nouvelles syndicales et professionnelles

Les coopératives de santé

un modèle intéressant

Francine Fiore  |  2014-12-23

Les coopératives de santé ont permis de sauver des cliniques dans des régions souffrant d’une importante pénurie de médecins. Après s’être ajustées aux critiques d’il y a quelques années, elles offrent maintenant divers avantages à la fois aux patients et aux omnipraticiens.

La coopérative de santé est-elle le meilleur modèle de soins de première ligne ? Pour plusieurs médecins, certainement. « Elle se veut un modèle original et performant en matière de santé de proximité », affirme le Dr Laurent Godbout, médecin de famille à Trois-Rivières. Cette formule, qu’il considère comme bien adaptée à son milieu, lui a permis de sauver la Clinique médicale de Pointe-du-Lac.

Au milieu des années 2000, à cause de la perte d’effectifs et des difficultés de recrutement, l’équipe de la clini­que du Dr Godbout était passée de cinq à deux professionnels, lui et la Dre Johanne Donati, sa conjointe, également médecin de famille. Plutôt que de fermer leurs portes, ils ont choisi d’essayer le modèle coopératif, déjà expérimenté au Québec.

Le Dr Godbout a donc sollicité sa collectivité pour conserver le point de services que représentait la clinique. La réponse a été très positive. Le 1er avril 2006, la Coopérative Solidarité Santé Pointe-du-Lac était inaugurée. « On a légué tout notre équipement et autres biens de la clinique à la coop », dit le médecin. Graduellement, de nouveaux cliniciens se sont ensuite joints aux deux omnipraticiens.

Aujourd’hui, la Coop Santé de Pointe-du-Lac rassemble 5800 membres et offre des services aux 7000 patients de la Clinique médicale de Pointe-du-Lac. Elle a attiré six médecins omnipraticiens et emploie deux infirmières auxiliaires de même que des secrétaires. Une infirmière praticienne spécialisée vient une journée par semaine, et une autre, à plein temps cette fois, la rejoindra bientôt.

Dr Pierre Martin

Le modèle coopératif, critiqué un temps, semble aujourd’hui avoir plusieurs avantages à offrir. Il pourrait peut-être même constituer une solution de rechange aux groupes de médecine de famille (GMF), affirme le Dr  Pierre Martin, président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Mauricie. « Le gouvernement n’est pas toujours à l’écoute des GMF. Il regarde simplement si ces derniers correspondent au cadre établi et, si ce n’est pas le cas, leur impose des restrictions, dont des coupes dans leur financement », dit-il.

Pour le Dr Martin, cette nouvelle formule est à considérer. « Il s’agit d’un modèle moins rigide que les GMF. De plus, il permet de miser sur l’inter­dis­ci­plinarité. » Différents types de pro­fessionnels de la santé peuvent ainsi être présents. C’est d’ailleurs le milieu qui détermine les besoins et les services offerts par la coopérative. Par exemple, s’il y a des pro­blèmes de diabète, d’obésité ou de santé mentale dans la collectivité, les res­pon­sa­bles engageront une nutrition­niste, un psy­chologue, etc. Le patient qui investit dans sa coopérative pose un geste pour maintenir sa santé, estime le Dr Martin.

La formule de la coopérative permet aussi d’assurer la pérennité du centre médical. « Ici, même après mon départ, la coopérative continuera de fonctionner, car elle appartient à ses membres qui ont la collaboration de l’équipe de médecins de famille », mentionne le Dr Godbout.

Les médecins, pour leur part, bénéficient d’une certaine liberté dans la coopérative. Contrairement aux GMF, leur clinique n’a pas à atteindre un nombre de patients inscrits ni à avoir une offre de services précise. Toutefois, ils doivent répondre aux besoins de leur collectivité. C’est cette dernière qui finance leur coopérative, et ils en tiennent compte. « Nos médecins pratiquent l’accès adapté, affirme la directrice de la coopérative, Mme Andrée Côté. Ils se gardent des plages horaires pour les cas urgents. Les patients adorent leur coopérative. »

Question d’argent

Environ 95 % du financement de la Coopérative Solidarité Santé Pointe-du-Lac provient des membres. La contri­bution d’un adulte se fait sous la forme d’une part de qualification de 50 $ payable à l’inscription et remboursable si le patient quitte la clinique. En outre, une contribution volontaire de 75 $ est demandée pour les services offerts, explique Mme Côté. Les parents n’ont pas à payer de part sociale pour leurs enfants, mais doivent verser une contribution annuelle de 50 $ pour chacun d’eux. À partir du troisième enfant, les services de la coopérative sont néanmoins gratuits.

Sur les quelque 7000 patients, seulement 12 % ne sont pas des membres actifs de la coop. Ils ont toutefois le même accès que les autres aux médecins. Les services des infirmières ne sont cependant pas gratuits pour eux contrairement aux membres qui peuvent en rencontrer une sans frais à la clinique. Pour les non-membres une injection, par exemple, leur coûtera 35 $.

Quant aux différents formulaires devant être remplis par les médecins, les frais sont en partie remboursés aux membres. Ainsi, un formulaire qui coûterait normalement 40 $ ne leur reviendrait qu’à 10 $. Les non-membres ne bénéficient pas de cet avantage. Bien sûr, certains patients choisissent de ne pas payer immédiatement la « part de qualification ». « Cependant, lorsqu’ils se rendent compte des avantages liés au fait d’être membres, plusieurs se rallient à la cause », ajoute Mme Côté.

 

Encadré 

Le Collège des médecins et les coopératives

Que pense le Collège des médecins du Québec (CMQ) des coopératives de santé ? S’il n’est pas contre, il n’appuie pas totalement ce mode de pratique. En fait, le CMQ demeure prudent. Il dénonce tout recours à ce modèle à d’autres fins que le bien-être du patient et l’accès à des soins équitables.

Selon le Dr Yves Robert, secrétaire général du Collège, les coopératives ne sont pas un mauvais modèle de distribution des soins. « Elles ont permis de régler le problème d’accès aux médecins dans certains endroits, dit-il. De plus, les médecins n’ont pas à s’occuper de l’administration. »

Cependant, certains dérapages ont eu lieu dans le passé. « Plusieurs polycliniques ont pris le nom de coopérative afin de réclamer des frais aux patients, indique le Dr Robert. Autrement dit, il y a eu de vraies et de fausses coopératives. »

Le secrétaire du Collège se pose aussi des questions sur la possibilité que les membres d’une coopérative puissent avoir un accès plus rapide aux médecins que les non-membres. « Cela serait contraire à la déontologie. Avant tout, le médecin doit tenir compte du réel besoin médical dans la priorité de l’offre de soins et ne pas considérer la participation financière du patient. » Le Dr Robert fait d’ailleurs une analogie entre une coopérative qui favoriserait ses membres et certaines cliniques privées qui exigent des patients un forfait pour une sorte d’abonnement devant accélérer l’accès aux médecins.  

Autres sources de revenus

La coopérative tire une partie de ses revenus des frais que paient les médecins qui y pratiquent. Ces derniers dé­boursent en moyenne quelque 2000 $ par mois pour cou­vrir leur part de loyer et de frais de clinique, dont les ser­vices des infirmières et du secrétariat. Ce tarif peut varier selon chaque médecin et le type de pratique.

Grâce à ses différentes sources de revenus, la coopérative de santé a pu engager les quatre secrétaires et les deux infirmières auxiliaires de la clinique, de même que la directrice de la coop et son adjointe. Les infirmières praticiennes, elles, sont rémunérées par le centre de la santé et des services sociaux.

La coopérative bénéficie également d’autres entrées d’argent. « On loue une salle de conférence pour certains événements ainsi que des bureaux à différents professionnels de la santé, explique Mme Côté. De plus, des espaces publicitaires sur un écran bien en vue dans la salle d’attente sont vendus aux commerces et autres organismes qui diffusent de la publicité à l’intention de nos membres. Ces revenus vont à la prévention en santé. »

De par sa mission, la coopérative doit faire de la prévention. Par conséquent, elle organise différentes activités auxquelles participent les membres, dont une journée santé, tenue annuellement en juin. Les recettes servent à rémunérer les professionnels de la santé qui présentent des ateliers d’information dans les locaux de la coop. Les prochaines activités porteront sur la nutrition et la neuropsychologie chez l’enfant. « On ne peut pas utiliser les contributions des membres pour faire de la prévention, car elles servent à faire fonctionner la clinique, précise Mme Côté. Quand on organise des activités, on fait appel à nos commanditaires. »

Potentiellement intéressant sur le plan financier

Dr Serge Dulude

Le grand intérêt du modèle coopératif est avant tout dans les avantages qu’il présente pour les patients, affirme le Dr Serge Dulude, directeur de la Planification et de la Régionalisation à la FMOQ. « Les coopératives se trouvent souvent dans de petits milieux ruraux où il y avait quelques médecins installés depuis un certain temps et où la relève n’était pas au rendez-vous. »

Le modèle coopératif peut, par ailleurs, être financièrement intéressant. Même comparé à un GMF. Un groupe de médecine de famille comptant 12 000 pa­tients inscrits bénéficie, par exemple, d’une subvention gouvernementale de quelque 300 000 $ pour l’informatique, le personnel de bureau et les services de deux infirmières. Un petit calcul rapide montre qu’une coop peut obtenir un financement encore plus généreux. « Si chacun des 12 000 patients d’un GMF versait 100 $, cela ferait un total de 1 200 000 $, soit quatre fois le montant de la subvention que reçoit le GMF, dit le Dr Dulude. Si la participation était de 50 $ par patient, le soutien financier serait de 600 000 $, ce qui est le double de la subvention. »

Cependant, le directeur de la Planification et de la Régionalisation se pose des questions sur le fait qu’une coopérative puisse demander une contribution initiale aux patients au moment de l’ouverture du dossier alors qu’une clinique ordinaire ne le peut pas.

Tristement célèbres

Les coopératives de santé sont apparues dans les années 1990. Mais elles n’ont pas toujours eu bonne presse. En 2010, l’émission La Facture, diffusée sur les ondes de Radio-Canada, braquait sur elles ses projecteurs. Son enquête journalistique remettait en question le bien-fondé de ce modèle de soins de première ligne qui exige des contributions de la part des patients.

Certaines coopératives ont d’ailleurs fait l’objet de plusieurs reproches. « Elles ont commis quelques maladresses, se souvient le Dr Martin. Par exemple, les loyers gratuits constituaient une entorse au Code de déon­to­lo­gie des médecins, mais cette question a été réglée. Il y a également eu de la turbulence, car le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) voulait s’assurer que le paiement de la cotisation n’était pas un préalable pour obtenir des soins. »

La Fédération des coopératives de services à domicile et de santé du Québec (FCSDSQ) a beaucoup travaillé avec la Régie de l’assurance maladie du Québec et le MSSS pour régler ces problèmes, affirme M. J. Benoît Caron, directeur général de l’organisme. « On a apporté des correctifs et donné aux coopératives des précisions sur la manière d’organiser les choses, ce qui a permis aux administrateurs d’adopter les bonnes pratiques, précise-t-il. Aujourd’hui, il y a une importante amélioration dans la réputation des coopératives de santé. Elles fonctionnent très bien et ne font l’objet d’aucune plainte. Elles offrent un lieu de pratique différent et intéressant pour des médecins qui ne souhaitent pas s’encombrer de la gestion administrative d’un cabinet médical traditionnel. »

La FCSDSQ a également fait beaucoup de formation auprès de ses membres. Elle a produit des outils, dont le Cadre de référence et le Processus de conformité que toutes les co­opé­ratives de santé ont en leur possession, même celles qui ne sont pas membres de la Fédération, indique M. Caron.

Maintenant, il est établi qu’une coopérative de santé doit accorder l’accès à ses services aux membres et aux non-membres sans discrimination. Elle appartient à ses mem­bres, soit les patients, qui la gèrent par l’entremise d’un conseil d’administration. Les membres doivent payer une part sociale une fois seulement, soit lors de leur inscription. Certaines coopératives proposent également une participation annuelle volontaire pour couvrir certains frais, dont les services non assurés.

Au début des années 2000, le nombre de coopératives a augmenté. En 2008, plusieurs se sont affiliées à la FCSDSQ, ce qui n’est pas obligatoire. Aujourd’hui, 34 coopératives de santé sont membres sur un total de 53.

La FCSDSQ a un certain droit de regard sur les coopératives. Par exemple, son conseil d’administration peut convoquer une assemblée générale de l’une d’entre elles. « Mais il s’agit du seul pouvoir que l’on a. On y a recours uniquement en cas de problèmes importants », souligne M. Caron. Selon lui, le vrai pouvoir de la Fédération est un pouvoir d’influence.

La coopérative Les Grès

 

Dr Patrick Houle

En 1993, à la fin de ses études, le Dr Patrick Houle a exercé dans l’armée. Dès qu’il a quitté les Forces, à l’été 1996, il s’est joint à la Coopérative de solidarité de santé Les Grès, ouverte six mois plus tôt. Il n’en est jamais reparti. Ce qui l’a motivé, c’est le contact avec des gens intéressants et le caractère innovateur de cette structure. « J’aime tout ce qui est nouveau », lance-t-il.

Entrée en fonction en décembre 1995, la coopérative de Saint-Étienne-des-Grès a été la toute première au Québec. Elle compte actuellement environ 12 000 patients inscrits, dont 40 % sont membres.

Pour les médecins, le fait de faire partie de la coopérative ne touche que la location des lieux. « Nous n’avons pas de réduction de loyer et aucun autre avantage que celui de participer à un effort collectif, précise le Dr Houle. Il y a d’au­tres coopératives où les membres paient une partie des frais de la clinique médicale. Pas chez nous. La participation des membres se fait sur une base volontaire afin d’aider l’administration de la coopérative. » À la clinique, les membres n’ont d’ailleurs droit à aucun service particulier ni à aucun privilège. Et tous les patients sont sur un pied d’égalité, affirme le médecin.

La clinique, qui compte douze médecins, n’est toutefois pas qu’une coopérative. Elle est aussi un groupe de médecine de famille. Elle fonctionne comme tous les autres GMF, indique le Dr Houle. « On y offre des consultations sans rendez-vous, l’accès adapté et des rendez-vous de suivi. Nous acceptons par ailleurs de nouveaux patients. »

La clinique et la coopérative sont deux entités différentes, explique Mme Danielle Carbonneau, présidente du conseil d’administration de la coopérative. La clinique paie son loyer à la coopérative. C’est le seul lien entre les deux. « Jamais nous n’intervenons dans la politique interne ou la gestion de la clinique, affirme Mme Carbonneau. La clinique est notre locataire et paie un loyer au pied carré comme les autres professionnels de la santé qui occupent l’immeuble. Ainsi, tous les locataires font partie de la coopérative. »

Là aussi, la part sociale du patient membre est de 50 $ payables une seule fois, soit à l’inscription. Ce dernier n’a cependant pas ensuite de cotisation annuelle à payer comme dans d’autres coopératives. Il n’a pas d’accès privilégié à un médecin, mais certains professionnels de la coopérative peuvent lui offrir des avantages. L’optométriste, par exemple, peut lui consentir des rabais.

Les patients qui deviennent membres le font par conviction. « Ils veulent avant tout participer au maintien des services de la coopérative. Ils savent que cet argent sert de capital afin que l’on puisse refinancer le service », dit Mme Carbonneau.

Les coopératives seraient-elles un modèle à considérer dans certaines circonstances ou dans certains milieux ? « Pos­si­blement. Sans être une panacée, c’est un modèle intéressant, estime le Dr Dulude, de la FMOQ. Il a permis de sauver des cliniques et offre à une population l’accès à des soins médicaux. Toutefois, il faut être prudent en ce qui concerne l’équité avec les autres cliniques et l’être encore plus pour ce qui est du libre accès des patients non membres aux médecins de la coop et au panier de services. » Une question demeure pour le Dr Dulude : « Pourquoi une clinique coop peut-elle facturer des frais d’adhésion et des frais récurrents annuels aux patients – même sur une base volontaire –, alors qu’une clinique non coop ne peut le faire ? » //