Droit au but

Les nouvelles activités des pharmaciens – II

Christiane Larouche  |  2015-11-25

En vigueur depuis le 20 juin 2015, la Loi modifiant la Loi sur la pharmacie (ancien projet de loi no 41) permet désormais aux pharmaciens d’exercer certaines activités médicales jusqu’alors réservées aux médecins. Dans notre article d’octobre dernier, nous avons résumé ces nouvelles activités.

Me Christiane Larouche, avocate, travaille au Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Nous répondrons maintenant à certaines de vos questions concernant les rôles et les responsabilités des médecins et des pharmaciens concernant le partage de ces activités professionnelles. Nous tenterons plus particulièrement de clarifier le rôle et les responsabilités du médecin de famille lorsqu’il est informé que le pharmacien a fait une intervention auprès d’un de ses patients, comme renouveler ou ajuster une ordonnance ou demander des analyses de laboratoire.

Nouvelles activités des pharmaciens

Le pharmacien peut désormais exercer les activités suivantes en respectant certaines conditions :

h prolonger l’ordonnance d’un médecin ;

h prescrire des analyses de laboratoire ;

h prescrire un médicament lorsqu’aucun diagnostic n’est requis ;

h prescrire des médicaments pour certains problèmes bénins ;

h ajuster l’ordonnance d’un médecin ;

h substituer un médicament en cas de rupture d’approvisionnement ;

h administrer un médicament afin d’en démontrer l’usage approprié.

Les nouvelles activités du pharmacien vont-elles favoriser les pratiques en silo et créer de la confusion quant au suivi des patients ?

Un encadrement et des balises sévères ont été mis en place par l’Ordre des pharmaciens du Québec et le Collège des médecins du Québec pour éviter que les nouvelles activités des pharmaciens se réalisent en silo, sans lien avec le suivi du patient par son médecin traitant. Les principes encadrant la prestation des nouvelles activités prévoient donc que le pharmacien doit prioriser l’intérêt du patient, favoriser la continuité des soins et collaborer avec les autres professionnels, notamment en communiquant avec le médecin traitant. Des outils de communication ont de plus été créés pour assurer le respect de ces principes par le pharmacien.

Les nouvelles activités permettent-elles au pharmacien de poser des diagnostics ?

Le diagnostic des maladies demeure une activité réservée uniquement au médecin. Le pharmacien ne peut donc pas poser de diagnostic ni effectuer les nouvelles activités dans le but de poser un diagnostic1. Cependant, le pharmacien peut procéder à des évaluations dans les limites de son champ d’exercice et en tirer certaines conclusions. C’est notamment ce qui lui permet de prescrire des médicaments pour des situations ne nécessitant aucun diagnostic préalable et qui sont spécifiquement nommés dans le règlement, comme la supplémentation vitaminique en périnatalité ou la contraception orale d’urgence. Par ailleurs, le pharmacien est formé pour surveiller le traitement médicamenteux. C’est dans ce cadre qu’il peut prescrire des analyses de laboratoire.

Est-ce que tous les pharmaciens peuvent exercer ces nouvelles activités ?

L’encadrement légal prévoit l’ensemble des conditions et des modalités d’exercice de ces nouvelles activités afin qu’elles ne soient exercées que si le pharmacien possède la formation, les compétences et les connaissances nécessaires. Le pharmacien doit donc satisfaire à toutes ces conditions et modalités pour pouvoir exercer une activité réservée. Et il est seul responsable de ses actes à cet égard.

Certaines activités exigent une formation préalable et d’autres pas. Les activités qui ne demandent aucune formation préalable sont les suivantes :

h la prolongation d’une ordonnance ;

h la prescription d’une ordonnance lorsqu’aucun diagnostic n’est requis ;

h la prescription des analyses de laboratoire aux fins de la surveillance du traitement médicamenteux.

Le pharmacien est-il entièrement autonome et responsable lors de l’exécution de ces nouvelles activités réservées ?

Le pharmacien est entièrement responsable d’exercer ces nouvelles activités dans le respect des normes de pratique reconnues par sa profession et conformément aux conditions et modalités associées à l’exercice de ces nouvelles activités1.

Suivant son code de déontologie2, le pharmacien possède les devoirs suivants :

h inscrire au dossier du patient les actes qu’il a accomplis dans le cadre des services rendus et qui requièrent un suivi de sa part (article no 41), notamment lors de la prescription d’un examen de laboratoire ou d’un ajustement d’ordonnance ;

h exercer ses activités avec compétence et selon les données scientifiquement acceptables et les normes professionnelles reconnues (article no 34) ;

h se comporter avec dignité, courtoisie, respect et intégrité dans ses rapports professionnels. À cette fin, il doit notamment collaborer avec les membres des autres ordres professionnels, ainsi que chercher à établir et à maintenir des relations harmonieuses (article no 86).

Le pharmacien qui ne respecterait pas les normes de pratique généralement reconnues par ses pairs ou les règles et modalités associées à l’exercice des nouvelles activités par voie réglementaire pourrait de plus engager sa responsabilité professionnelle.

Quelles sont les responsabilités du médecin face à l’exercice de ces nouvelles activités ?

Le médecin n’est pas responsable de la conduite professionnelle du pharmacien. Il est cependant entièrement imputable de sa propre conduite par rapport à l’exercice des nouvelles activités du pharmacien3. Il est donc essentiel qu’il comprenne le cadre entourant l’exercice des nouvelles activités du pharmacien pour savoir où se situent ses pro­pres obligations professionnelles. Comme nous le verrons avec les questions qui suivent, les obligations du médecin portent essentiellement sur sa gestion des formulaires de communications reçues du pharmacien et la qualité de ses interventions, le cas échéant.

Quand le pharmacien doit-il informer le médecin d’une intervention concernant son patient ?

Le médecin devrait, la plupart du temps, être informé des interventions du pharmacien, soit parce que ce dernier a l’obligation de le faire, soit parce que cette communication lui est fortement recommandée par les deux ordres professionnels pour assurer la continuité du suivi du patient.

Ainsi, le pharmacien a l’obligation d’informer le médecin traitant ou l’IPS responsable du suivi clinique qu’il a effectué l’une ou l’autre des activités suivantes :

h prescription d’un médicament pour un problème bénin prévu par règlement ;

h prescription et interprétation d’une analyse de laboratoire en pharmacie de quartier ;

h prolongation d’une ordonnance faite par un médecin ;

h modification de la dose d’un médicament prescrit par le médecin ;

h substitution d’un médicament par un autre en cas de rupture d’approvisionnement.

Le pharmacien est, par ailleurs, fortement encouragé à informer le médecin traitant qu’il a réalisé l’une ou l’autre des activités suivantes :

h prescription d’un médicament pour une situation n’exigeant pas de diagnostic ;

h modification de la forme, de la quantité ou de la posologie d’un médicament prescrit par le médecin.

L’administration d’un médicament pour en démontrer l’usage approprié est en fait la seule des sept nouvelles activités du pharmacien pour laquelle le médecin ne recevra aucune communication.

Comment le pharmacien doit-il informer le médecin de son intervention auprès d’un de ses patients ?

Le pharmacien doit utiliser l’un des deux formulaires de communication créés par le Collège et par son ordre pour faciliter les communications, soit le formulaire de communication pour information ou le formulaire de communication pour attention requise4. Ne pas les utiliser serait inacceptable.

Quand le pharmacien doit-il utiliser le formulaire de communication pour information ?

Le pharmacien doit utiliser ce formulaire quand il veut simplement informer le médecin traitant ou l’infirmière praticienne spécialisée qu’il est intervenu auprès d’un de leurs patients, soit parce qu’il a prolongé une ordonnance, substitué un médicament à un autre (rupture d’approvisionnement), prescrit une analyse de laboratoire pour assurer la surveillance du traitement médicamenteux, prescrit un médicament pour un problème bénin ou modifié la forme, la posologie ou la durée du traitement sous ordonnance.

Que doit faire le médecin lorsqu’il reçoit un formulaire de communication pour information ?

Le médecin doit noter la réception et la prise de connaissance du formulaire. Il doit ensuite classer le formulaire dans le dossier de son patient, comme il le ferait, par exemple, pour le résultat d’un examen paraclinique qui ne dénote aucun problème.

Que doit faire le médecin s’il constate un problème ?

Si le médecin est d’avis que les informations que lui a transmises le pharmacien par le formulaire révèlent une anomalie ou une erreur ou encore si une intervention du pharmacien n’est pas indiquée à la lumière du problème du patient, le médecin devra prendre les mesures nécessaires pour protéger le patient3.

Selon les circonstances, le médecin pourrait communiquer avec le pharmacien ou le patient, ou même revoir le patient pour procéder à une évaluation médicale ou à un examen paraclinique, au besoin.

En bref, le médecin sera responsable de ses actions s’il voit un problème qui justifie une intervention de sa part lors de la réception du formulaire.

Le médecin a-t-il une obligation de suivi face au patient après la réception d’un formulaire de communication pour information ?

Le pharmacien est seul responsable du suivi du patient associé à son intervention. Le médecin n’a donc pas à revoir le patient avant le moment déjà prévu, sauf si un problème justifie une intervention de sa part.

Quand le pharmacien doit-il utiliser le formulaire de communication pour attention requise ?

Le pharmacien doit utiliser ce formulaire dans certaines circonstances afin d’attirer rapidement l’attention du médecin sur un élément de son intervention auprès du patient qui nécessite une évaluation médicale ou une intervention du médecin auprès du patient.

Le pharmacien utilisera ce formulaire dans les cas suivants :

h il n’a pas été en mesure de traiter un problème bénin à la demande du patient ;

h il n’a pas été en mesure de prolonger une ordonnance à la demande d’un patient ;

h il a procédé à un ajustement de la dose d’une ordonnance faite par le médecin dans un contexte de sécurité ou d’atteinte de cibles thérapeutiques ;

h il a prescrit une analyse de laboratoire dans le cadre de la surveillance médicamenteuse, dont le résultat nécessite une opinion médicale.

Sans égard aux circonstances ayant justifié l’envoi de ce formulaire, le pharmacien demeure responsable d’assurer le suivi du patient tant et aussi longtemps qu’il n’est pas pris en charge par son médecin traitant ou un autre professionnel compétent1.

Que doit faire le médecin traitant qui reçoit un formulaire de communication pour intervention ?

Le médecin doit prendre connaissance des informations transmises et décider du suivi requis dans le contexte. Le médecin devra donc généralement revoir le dossier du patient pour évaluer adéquatement les informations transmises par le pharmacien et le suivi qu’il convient de faire selon les circonstances, soit :

h communiquer avec le pharmacien s’il a des questions ;

h faire connaître au pharmacien son opinion médicale et ses recommandations (ex. : en lien avec la surveillance d’un traitement médicamenteux) ;

h conclure à la nécessité d’une évaluation médicale du patient et prévoir un rendez-vous à cette fin ;

h prescrire d’emblée des tests complémentaires et prévoir ensuite une évaluation médicale, etc.

Bref, le médecin doit poser un jugement clinique sur la situation soumise par le pharmacien et établir la conduite à tenir, par lui ou par le pharmacien, selon les circonstances.

Le médecin est-il tenu de confirmer qu’il accepte ou refuse d’assurer la prise en charge du patient ?

Oui. Comme le pharmacien demeure responsable du suivi après l’envoi du formulaire, il doit obtenir l’assurance, verbalement ou par écrit, que le médecin assurera le suivi des informations communiquées. Si un médecin traitant ne peut assurer le suivi parce qu’il est absent ou refuse de confirmer par écrit qu’il assurera le suivi, le pharmacien devra trouver un autre médecin acceptant de le faire.

Rappelons que le médecin, tout comme le pharmacien, a l’obligation de collaborer avec les autres professionnels « dans le cadre de la prestation des soins de santé à un patient »5.

Comment gérer adéquatement, dans un milieu de pratique, la réception et le suivi des formulaires transmis par le pharmacien ?

Dans le guide d’exercice conjoint du Collège et de l’Ordre des pharmaciens sur les nouvelles activités des pharmaciens, il est recommandé que chaque milieu d’exercice prévoit un mécanisme de suivi des formulaires de communication « afin de donner suite de façon appropriée et en temps opportun à ces communications1 ».

Le mécanisme devrait s’inspirer des normes contenues dans le Cadre de gestion pour le suivi sécuritaire des résultats d’investigation ou de dépistage6. Les médecins devraient ainsi formaliser de façon claire et explicite les modalités entourant la réception, l’analyse, le suivi et le classement de ces formulaires. Des modalités de couverture à l’intérieur d’un GMF ou d’une clinique où les médecins exercent en groupe devraient de plus être définies.

La mise en œuvre des nouvelles activités

Les deux ordres vont assurer conjointement une surveillance par l’entremise d’un comité de vigie interordres, dont le mandat sera de soutenir la mise en œuvre de ces nouvelles pratiques, de répondre aux questions des médecins, des pharmaciens et des autres professionnels et de favoriser la collaboration « optimale » des professionnels concernés. Ce comité peut également intervenir directement afin de résoudre les situations problématiques qui vont émerger au quotidien.

En résumé, le pharmacien et le médecin ont des obligations qui leur sont propres dans le cadre de l’exercice des nouvelles activités du pharmacien.

Le médecin est responsable d’assurer le suivi des formulaires de communication en provenance du pharmacien de façon adéquate et diligente. Il devra noter la réception et la prise de connaissance de chaque formulaire de communication transmis à son attention par le pharmacien. De plus, concernant les formulaires de communication pour information, il devra prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger son patient s’il constate qu’une situation peut lui causer du tort. Concernant les formulaires de communication pour intervention, le médecin devra, pour chaque formulaire, porter un jugement clinique sur la manière la plus appropriée de donner suite aux informations que le pharmacien lui aura communiquées.

En toutes circonstances, le médecin devra noter dans le dossier toute intervention ou communication de sa part et devra collaborer avec le pharmacien en priorisant l’intérêt de son patient conformément à ses obligations déontologiques. La qualité des communications entre pharmacien et médecin sera donc déterminante pour réduire au minimum les risques associés à l’exercice de ces nouvelles activités des pharmaciens. //

Bibliographie

1. Collège des médecins du Québec et Ordre des pharmaciens du Québec. Loi 41. Guide d’exercice. Les activités réservées aux pharmaciens. Montréal : le Collège et l’Ordre : 2015 ; p. 1-46.

2. Québec. Code de déontologie des pharmaciens. LRQ, chapitre P-10, r. 7, à jour au 1er septembre 2015. Québec : Éditeur officiel du Québec ; 2015.

3. L’Association canadienne de protection médicale. La communication avec les pharmaciens : Optimiser la thérapie médicamenteuse. Ottawa : l’Association ; 2014.

4. Collège des médecins du Québec. Activités partagées avec les pharmaciens. Montréal : le Collège ; 2015.

5. Québec. Code de déontologie des médecins, LRQ, chapitre M-9, r. 17, article 112.1, à jour au 1er septembre 2015. Québec : Éditeur officiel du Québec ; 2015.

6. Billard M, Derome D, Lacasse LA et coll. Cadre de gestion pour le suivi des résultats d’investigation ou de dépistage. Montréal : l’AQESSS, l’ACMDP, le CMQ ; 2012.