le Regroupement des médecins contre le projet de loi 20
Dans le monde virtuel, la résistance contre le projet de loi 20 s’est cristallisée dans la page Facebook du Regroupement des médecins omnipraticiens contre une dictature en santé. Plusieurs milliers de médecins s’y donnent rendez-vous pour agir.
Le 28 novembre dernier, le jour même où le projet de loi 20 était déposé, une nouvelle page Facebook est apparue : le Regroupement des médecins omnipraticiens contre une dictature en santé. À l’origine de cette initiative se trouvent deux jeunes omnipraticiennes indignées, la Dre Sofia El Kahel et la Dre Louise Lemay.
« J’ai créé la page vers 15 heures et je suis allée me recoucher. Je travaillais de nuit. Quand je suis revenue de ma garde, le lendemain matin, il y avait 800 membres ! », raconte la Dre El Kahel, qui pratique à l’Hôpital Pierre-Boucher, à Longueuil. Actuellement, la page compte plus de 3400 personnes. « On ne s’attendait vraiment pas à ce que cela prenne de l’ampleur aussi vite », indique la Dre Lemay, de l’Hôpital de Saint-Eustache, coconceptrice de la page.
La page Facebook du Regroupement est devenue le lieu de rassemblement virtuel de nombreux médecins en colère. C’est l’endroit où l’on se propose différents moyens pour lutter contre le projet de loi 20. On y trouve des plans d’action. Entre autres signer la pétition sur le site de l’Assemblée nationale, intervenir auprès des députés, répondre par lettre dans les médias. On peut y lire des réflexions sur les stratégies à choisir, des recommandations s’inspirant des autres professionnels de la santé. Plusieurs médecins présentent des textes qu’ils ont envoyés aux journaux. Certains posent des questions, lancent des débats, font part de leurs inquiétudes. Chaque fois, les réponses fusent, les commentaires s’entrecroisent, la conversation s’anime.
Certains membres du Regroupement ont frappé de grands coups. On leur doit, par exemple, la pétition contre le projet de loi 20 sur le site de l’Assemblée nationale. « La rédaction a été faite par un médecin de Chicoutimi, Jean-Philippe Blondeau. Le texte a été ensuite soumis au groupe pour approbation et correction », explique la Dre Lemay.
Des médecins du groupe ont aussi créé le carré « Paresseux », que certains cliniciens épinglent sur leurs vêtements par dérision. Des participants proposent également sur la page des lettres types à envoyer à un député. D’autres ont fait parallèlement un site Web : nonauprojetdeloi20.com. La Dre Lemay, pour sa part, a aussi créé la page publique Facebook Contre la loi 20 pour informer la population et communiquer avec elle. Certains de ses collègues ont conçu des outils comme ce graphique pour s’y retrouver dans la guerre des chiffres concernant les jours travaillés par les omnipraticiens (figure).
Au milieu de toutes ces informations stratégiques, on trouve aussi un joyeux mélimélo de caricatures drôles, de photomontages humoristiques et de réflexions rigolotes. On y lit aussi des tweets amusants : « Appliquons la même logique du #PL20 aux élus du @LiberalQuebec. Si , 80 % assiduité aux promesses élect = -30 % revenu. »
Les petites victoires sont également célébrées sur la page Facebook : « tel journaliste nous suit sur Twitter ! » « J’ai obtenu un rendez-vous avec mon député ! » « Ma lettre a été publiée dans tel quotidien ! »
« Notre principale action a lieu dans les médias sociaux et les médias traditionnels », explique la Dre Lemay. Le Regroupement répond ainsi activement aux articles et lettres ouvertes qui appuient le projet de loi 20. Et il est très présent sur Twitter. Un champ de bataille important.
« J’ai l’impression que les journalistes vont beaucoup sur Twitter. Le Dr Barrette répond sur Twitter alors qu’il ne le fait ni sur Facebook ni par son courriel de l’Assemblée nationale », souligne la Dre El Kahel. Le groupe twittait d’ailleurs depuis un certain temps quand, tout d’un coup, le ministre de la Santé a répondu à l’un des membres. « Depuis, c’est la ferveur pour Twitter. C’est l’action du moment. Les gens twittent à Gaétan Barrette, à Philippe Couillard, à leur député », affirme la Dre Lemay.
On voit d’ailleurs sur la page du Regroupement des tweets où des médecins croisent le fer avec le ministre de la Santé. Le Dr Barrette a ainsi lancé : « Connaissez-vous le concept rarement mis de l’avant dans ce débat : la population ? Peut-on parler d’elle d’abord, des MDs ensuite ? ». Il a toutefois reçu une réponse cinglante : « Je ne peux m’empêcher de remarquer que le PL10 comporte le mot «ministre» 107 fois et le mot «patient»… 0 fois ! » Une réplique que 189 membres ont aimée.
Très active, la page Facebook du Regroupement des médecins omnipraticiens contre une dictature en santé compte plus de 3400 médecins de famille, spécialistes, résidents et étudiants. |
Les médecins se donnent sur la page Facebook des idées de tweets et des conseils : qui il faut suivre, à qui il faut écrire. La page offre d’ailleurs un mode d’emploi pour les néophytes.
Au fil des événements, on sent battre le pouls de tout le groupe. À chaque nouveau développement, une avalanche de commentaires déferlent. « Je trouve cela beau de voir que le groupe roule par lui-même et que les gens organisent des choses d’eux-mêmes », dit la Dre Lemay.
La Dre Lemay se souvient du 28 novembre dernier. Elle suivait une formation à son unité de médecine familiale quand elle a reçu un message de son amie Sofia. « Va voir les nouvelles. Barrette a frappé. » En lisant la teneur du projet de loi 20, elle a un véritable choc. Elle répond à sa collègue. « On se texte, on s’écrit, on se dit qu’il faut faire quelque chose. »
« On était très fâchées, se souvient la Dre El Kahel. On s’est dit qu’on allait créer un groupe où l’on pourrait échanger et parler de nos frustrations. Ça allait être un forum de discussion. On a alors invité nos amis personnels médecins à se joindre à nous. »
L’invitation se propage de clinicien en clinicien. « Au début, cela a permis aux gens de se défouler et de parler de leur profil de pratique. Il y avait des histoires touchantes sur la vie personnelle des gens », se rappelle la Dre El Kahel.
Le Regroupement réunit des médecins de tous les coins du Québec. « Cela a permis aux gens qui étaient en région de ne pas se sentir seuls. On a reçu beaucoup de courriels qui disaient : “Cela fait du bien de savoir que tous les autres médecins partagent avec nous le sentiment qu’on a eu devant le projet de loi 20” », mentionne la Dre Lemay.
Au fil des semaines, le forum de discussion se transforme. « On a migré plus vers la colère et, actuellement, on est dans une phase productive, indique Sofia El Kahel. Les gens échangent leurs idées. Là, en ce moment, on est sur Twitter. »
Mais les deux conceptrices de la page Facebook veulent aller plus loin. « On essaie de s’orienter vers la réflexion. Il faut réfléchir au système de santé et à l’accessibilité en médecine. Il faut se mettre en mode solution parce que, oui, il y a un problème d’accessibilité en médecine et en première ligne. On est tous d’accord, mais je pense que la solution doit venir des médecins, et non être imposée par la coercition », dit la Dre Lemay. Le groupe a maintenant tellement grossi que les deux créatrices de la page sont, depuis un certain temps, épaulées par quatre autres administrateurs. //