Entrevues

Entrevue avec le Dr Sylvain Dion, président de l’Association des médecins de CLSC du Québec

quel est le bilan des interventions de la FMOQ ?

Emmanuèle Garnier  |  2015-04-09

Deuxième vice-président de la FMOQ et président de l’Association des médecins de CLSC du Québec, le Dr Sylvain Dion fait le point sur la lutte que mène la Fédération contre le projet de loi no 20. Il raconte également son expérience dans le tournage de la vidéo Traitement 20.

M.Q. — Pour contrer le projet de loi no 20, la Fédération a fait de grandes assemblées, des campagnes de publicité, une vidéo, un mémoire et a participé à la commission parlementaire. Est-ce que tous ces efforts en valaient la peine ?

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S.D. — Cela en valait certainement la peine. La Fédération se devait de mener différentes actions pour combattre le projet de loi. En parallèle, on assistait à une mobilisation sans précédent des médecins, entre autres dans les médias sociaux. Ce mouvement va peut-être ébranler le ministre qui ne s’attendait pas à ça. À tout le moins, il a eu une influence sur les médias.

M.Q. — Quel effet a eu, pour sa part, la FMOQ sur les médias ?

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S.D. — Je crois qu’on a été capable de faire passer de bons messages. Autant plusieurs représentants des médias ont applaudi à l’intention du ministre de mettre au pas les médecins lors du dépôt du projet de loi, autant ces mêmes faiseurs d’opinion ont pu constater que le ministre Gaétan Barrette ne détenait pas la vérité. Ils ont appris que les chiffres sur le nombre de jours travaillés par les médecins avaient été maquillés. Les journalistes et le public se sont ainsi rendu compte que le ministre pouvait errer. Des gens dans la population ont également compris l’effet que pouvaient avoir les quotas et l’approche mathématique du ministre sur la qualité des services. Est-ce qu’on a été capable d’obtenir l’appui de la majorité de la population ? Je ne saurais le dire pour l’instant, mais à tout le moins on sent maintenant qu’on a davantage le soutien des gens.

M.Q. — Quelles répercussions ont eues vos initiatives sur les médecins ?

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S.D. — Je pense qu’on a amené nos membres en mode solution. On savait très bien que l’on ne pouvait pas seulement critiquer le projet de loi, car le problème d’accès à la première ligne est bien réel. Il fallait donc trouver des solutions. Les médecins ont accueilli favorablement celles que l’on a présentées lors des assemblées de mars. Je pense que cela a été mobilisateur.

M.Q. — Que peut-on s’attendre du ministre de la Santé ?

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S.D. — Il est évident que le ministre persiste et signe dans son approche rigide et autocratique. Dans les discussions informelles, il semble peut-être plus ouvert. Il nous envoie un message clair qu’il est prêt à explorer une autre voie que le projet de loi no 20 pour améliorer l’accessibilité. Néanmoins, il ne se gêne pas à l’occasion pour remettre de l’huile sur le feu. Le discours public du ministre amène beaucoup d’inquiétudes chez nos membres au sujet de l’avenir de leur pratique. On craint un bâillon comme avec le projet de loi no 10.

M.Q. — Que se passera-t-il si le projet de loi no 20 est retiré ?

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S.D. — Si les choses tournent favorablement, on va collaborer avec le ministère de la Santé pour améliorer l’accès de la population à la première ligne à partir de notre plan d’accessibilité. Au cours de la tournée qu’il a faite en mars, le président, le Dr Louis Godin, a rencontré près de 2000 omnipraticiens qui ont donné leur appui aux solutions qu’il leur a présentées. Donc si le ministre se montre ouvert, on va collaborer avec lui pour améliorer dans une période de 24 à 30 mois l’accès des patients à leur médecin de famille ou au moins à un omnipraticien.

M.Q. — Et si le projet de loi est adopté ?

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S.D. — Il est évident que les médecins vont réagir. La Fédération planche sur des actions pour faire entendre raison au ministre. Bien entendu, il y aura un jeu de pressions politiques. Il y a le ministre de la Santé, mais il y a également un premier ministre. Si le gouvernement demeure inflexible, il devra s’attendre à des perturbations importantes sur le plan de l’organisation de la première ligne.
Il pourrait, par ailleurs, y avoir un exode de certains médecins vers l’Ontario, le Nouveau-Brunswick ou d’autres provinces canadiennes. D’autres omnipraticiens vont cependant décider d’assumer la pénalité de 30 %. En contrepartie, je crois que cela va en être terminé de la collaboration des médecins pour améliorer l’accessibilité. Tout plan que le ministre pourrait déposer risque de se buter à l’opposition des médecins. On se rappellera qu’il veut mettre sur pied des supercliniques. Ce n’est certainement pas en adoptant le projet de loi no 20 qu’il va obtenir la coopération des omnipraticiens.

M.Q. — Quelle relation a actuellement la Fédération avec le ministre ?

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S.D. — Pour l’instant, la FMOQ collabore avec lui. Je pense qu’il faut respecter les étapes du processus de recherche de solution. Notre patience ne sera toutefois pas éternelle. À un moment donné, on devra mettre le poing sur la table et dire au ministre : « Écoutez, vous embarquez avec nous ou non ? »
Les moyens de pression auxquels les médecins de famille peuvent recourir sont cependant limités, eu égard à notre code de déontologie et à la Loi sur les services essentiels. Pour le moment, le message de la Fédération aux médecins reste : « Faites bien votre travail. Occupez-vous bien de vos patients. » Cependant la FMOQ est prête à aller plus loin. Sans mettre nos membres dans une situation illégale, on est cependant capable de faire certaines actions qui feront réfléchir le gouvernement.

M.Q. — Vous apparaissez dans la vidéo Traitement 20. Quel message vouliez-vous transmettre en tant que médecin ?

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S.D. — Le premier message, c’est que malgré tout ce qui arrive depuis novembre dernier, le mépris du ministre, son arrogance, je demeure fier d’être un médecin de famille. Quand j’ai reçu l’équipe de production pour le tournage, j’étais fier de montrer ce qu’est mon quotidien quand je rencontre mes patients. Dans la vidéo, on voit la fierté des médecins. Nous sommes fiers de faire un travail dans lequel la relation avec le patient est primordiale. En même temps, on voulait aussi attirer l’attention de la population et du ministre sur nos solutions pour améliorer l’accès à la première ligne.

M.Q. — Comment s’est déroulé le tournage ?

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S.D. — L’équipe de production venait dans notre milieu de travail. Dans mon cas, elle est d’abord arrivée au CLSC de Lac-Etchemin. Le matin, j’avais sept ou huit patients à voir en consultation. Bien entendu, on a demandé aux gens si on pouvait les filmer. La majorité a accepté. Dans le cabinet, je n’étais plus tout seul avec mes patients. Il y avait le caméraman, le preneur de son, la réalisatrice et un de ses adjoints. Ce qui est étonnant, c’est que malgré la présence de tout ce monde, à mon de point de vue, la relation médecin-patient n’était pas du tout modifiée. Les gens restaient naturels.
L’après-midi, on avait planifié une visite à un patient dans un CHSLD et une autre à domicile. Pour ces consultations, j’avais averti les patients à l’avance. Il y a ensuite eu une entrevue de quelques heures avec la réalisatrice où on parlait entre autres de notre travail de médecin de famille. Qu’est-ce qui nous avait amenés à cela ? Qu’est-ce que je faisais ? Et la deuxième partie portait sur les solutions que l’on voyait pour améliorer l’accessibilité.

M.Q. — Quel bilan faites-vous des actions de la FMOQ ?

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S.D. — Je crois qu’on a été capable de canaliser la mobilisation spontanée qu’il y a eu sur le terrain à la fin de l’année 2014. On a aussi réussi à faire des propositions réalistes au ministre et on a pu lui dire, grâce à la tournée, qu’on a l’appui de nos membres. Je crois qu’on a fait le bout de chemin qui devait être fait. Notre plan de communication nous a par ailleurs permis d’être présents dans les médias. La campagne de pub a été complétée par une vidéo qui présente vraiment bien notre vision des solutions. Il faut maintenant que l’on soit capable d’obtenir rapidement du ministre et du gouvernement un engagement à travailler avec nous.