Nouvelles syndicales et professionnelles

Diminution de la rémunération des médecins

collusion entre les provinces

Émmanuèle Garnier  |  2015-06-25

Depuis 2013, Québec tente de réduire la rémunération des médecins. L’an dernier, il est finalement parvenu à imposer aux omnipraticiens un étalement de leurs augmentations. La FMOQ a-t-elle tout à coup perdu son pouvoir de négociation ? Le gouvernement a-t-il été pris d’un courage soudain ?

Dans les deux cas, la réponse est non, affirme M. Denis Blanchette, directeur des Affaires économiques à la Fédération. Ce qui s’est passé au Québec s’est aussi produit dans les autres provinces. « Il y a eu une collusion entre les dix premiers ministres des provinces pour diminuer les coûts en santé », a révélé l’économiste dans sa conférence.

Tout commence en 2011. « Le gouvernement Harper annonce qu’il va unilatéralement modifier l’entente sur les transferts canadiens en matière de santé en 2017-2018 », a expliqué M. Blanchette. À partir de cette date, la hausse annuelle des versements aux provinces ne sera plus de 6 %, mais de seulement 3 %.

Les provinces sont inquiètes. Les coûts du système de santé ne cessent de croître. Les premiers ministres provinciaux regardent alors du côté des médecins qui, année après année, bénéficient d’importantes augmentations.

En mai 2012, le premier ministre ontarien, M. Dalton McGuinty, écrit aux neuf autres premiers ministres. « Il les invitait à réduire l’enveloppe budgétaire des médecins », a expliqué M. Blanchette. M. McGuinty présentait même ses trucs dans la lettre : « Il semble tout à fait raisonnable que lorsque des percées médicales permettent à un médecin d’augmenter de manière importante le nombre d’interventions ou d’opérations chirurgicales faites en une journée que le paiement que lui versent les Canadiens soit re­considéré et rééquilibré. » L’Ontario comptait ainsi réduire entre autres le tarif des injections pour les maladies de la rétine de moitié.

Quelques mois plus tard, les premiers ministres provinciaux se rencontrent au conseil de la Fédération. À l’ordre du jour : les transferts fédéraux aux provinces et la hausse vertigineuse des coûts du système de santé. « L’es­ca­lade des augmentations successives accordées aux médecins est une des causes de cette croissance insoutenable », mentionne un rapport préliminaire.

Des stratégies provinciales différentes

Deux fois par année, M. Blanchette et les autres économistes des associations médicales provinciales se réunissent. Rencontre après rencontre, ils constatent que l’alliance des premiers ministres tient bon. Toutes les provinces sont ainsi parvenues à ré­duire la rémunération des médecins. Chacune avait ses propres stratégies. « Les prétextes variaient selon les pro­vinces : certaines invoquaient le déficit budgétaire, d’autres parlaient du revenu le plus élevé du Canada de leurs cliniciens, d’autres encore, comme au Québec, faisaient état de la faible charge de travail des médecins. » Les provin­ces ont par ailleurs cherché à diluer le monopole des médecins en ouvrant leurs champs de compétence à d’au­tres pro­fessionnels de la santé.

L’Ontario, pour sa part, a mené une guerre en règle contre les médecins. Le premier ministre McGuinty n’a ainsi pas hésité à déclarer que « la population de l’Ontario n’a pas eu droit à 50 % d’augmentation en six ans comme les médecins. » En 2013, le gouvernement ontarien passe à l’action et réduit de 3,5 % l’enveloppe des médecins, puis encore de 4,5 % en 2015.

En comparant le Québec à l’Ontario, M. Blanchette a relevé un fait troublant. Le dernier budget québécois ne prévoyait qu’une hausse de 1,2 % de l’enveloppe de la Santé. Tout comme dans la province voisine. « Ce n’est pas un hasard. La collusion se poursuit ! », a précisé l’économiste.

« L’austérité a primé lors des négociations pour le renouvellement des ententes. » Dans chacune des provinces, la mobilisation des médecins était par ailleurs difficile. Les actions syndicales ébranlaient peu les gouvernements. « Toutes les associations médicales du Canada se sont cognées contre un mur. »

Pour finir, les omnipraticiens québé­cois sont ceux qui s’en sont le mieux sorti. En 2013-2014, ils ont obtenu un accrois­sement de 8,4 % de leur enveloppe, alors qu’en Ontario, les médecins subissaient une baisse de 1 %. En Alberta et au Nouveau-Brunswick, leurs collègues n’ont eu aucune augmentation tandis que ceux de Colombie-Britannique ont dû se conten­ter d’une maigre hausse de 0,5 %. //