points de vue de deux acteurs
Négocier avec l’État n’a rien d’aisé. Il faut procéder de manière rigoureuse, pragmatique et habile tout en restant lucide, déterminé et prudent.
Négocier avec le gouvernement n’est jamais facile. « On négocie avec un législateur qui peut se servir de son pouvoir, même s’il va rarement le faire », a expliqué le Dr Louis Godin, président de la FMOQ, qui présentait son point de vue de médecin sur le jeu des négociations.
Dès le départ, la partie est inégale. « J’irais même jusqu’à dire que l’État a droit de vie ou de mort sur la FMOQ. Il pourrait décider que la Fédération n’est plus l’organisme représentatif de l’ensemble des médecins au Québec », a précisé Me Philippe Desrosiers, chef négociateur de la FMOQ dans son exposé « Négocier avec le diable ».
La disproportion dans les rapports de force est apparue entre autres lors des négociations sur l’étalement des hausses de rémunération des omnipraticiens. Tout au long des discussions, la menace d’une loi spéciale planait.
Pour le président de la Fédération, l’un des aspects les plus difficiles des négociations est le silence auquel il est tenu. « Vous êtes en droit de savoir, a-t-il expliqué à ses membres. Et, en plus, comme vous êtes médecins, vous aimez savoir. Vous voulez connaître ce qui se passe. C’est ce qui est le plus difficile pour nous. »
Le président a expliqué qu’il tente de se montrer transparent et d’informer les omnipraticiens des avancées des négociations. « Puis, il y a un moment où l’on ne peut plus le faire. On l’a vécu dernièrement dans le dossier des solutions de rechange au projet de loi no 20. Plus les semaines passaient et plus je me faisais interroger. Mais je ne pouvais rien dire. »
Révéler une information à un seul membre, c’est prendre un risque. Et la communiquer à l’ensemble des omnipraticiens, c’est la rendre publique. « Dès que l’on fait un envoi massif sur Internet, le gouvernement et les journalistes sont au courant. On s’abstient de le faire sachant que le Dr Godin peut avoir à en payer le prix, a indiqué Me Desrosiers. Il y a des éléments qu’on ne peut pas amener sur la place publique. »
Négocier avec le gouvernement est un art qui a ses règles. Il existe ainsi certaines étapes à suivre. La première est de déterminer les objectifs des négociations et le mandat à remplir, a expliqué le chef négociateur. « On vous représente. On veut savoir ce que vous voulez, a-t-il dit aux médecins. On vous rencontre grâce aux différentes instances de la Fédération et on a des contacts quotidiens avec vous : appels téléphoniques, courriels, etc. Notre mandat vient donc de vous. »
Puis il faut organiser l’équipe de négociations. Elle varie selon le dossier et l’expertise nécessaire. « Va-t-on avoir besoin d’un médecin, d’un économiste, d’un autre avocat ? », dit Me Desrosiers. On doit ensuite se préparer. Faire des réunions, jauger ses forces et ses faiblesses. Définir les fonctions et les tâches de chacun.
Il faut également se renseigner sur l’autre partie. Parce qu’il est nécessaire de comprendre les gens avec qui l’on négocie. De saisir leurs objectifs, leur réalité. « En huit ans, j’en suis à mon quatrième ministre, à mon cinquième ou sixième sous-ministre et à eux se sont greffées une multitude de personnes », a mentionné l’avocat. Maintenant, celui qui est à la barre du ministère de la Santé et des Services sociaux est M. Gaétan Barrette. « C’est un homme qui aime beaucoup la négociation. Il est donc souvent au premier plan à la table de négociations. »
Autre étape importante : déterminer les options et les stratégies. Par exemple, quelle est la meilleure solution de rechange en cas d’échec ? « Souvent on se dit : “Je le veux et je l’aurai’’. Ce n’est pas ainsi que cela se passe. À une table de négociations, il est extrêmement important d’avoir un plan B, C et même D. »
Souvent, au départ, on veut tout. On commence par désirer une magnifique maison avec cuisine high-tech, électroménagers dernier cri, foyer moderne, piscine stylisée et jardin de rêve. « Le problème, c’est qu’il arrive qu’il faille faire des sacrifices, a expliqué le Dr Godin. Est-ce qu’on renonce à la piscine ou au système de chauffage ? Il faut décider de ce que l’on veut vraiment. Mais l’autre partie doit l’ignorer, parce qu’elle pourrait se servir de cette information. »
Parfois, les discussions prennent une tournure inattendue. Il faut donc prévoir toutes les éventualités. « On doit avoir des discussions entre nous : qu’est-ce qu’on fait dans une situation Y ou Z ? On ne veut pas être pris au dépourvu. »
Chaque partie doit par ailleurs évaluer les options de l’autre et se mettre à sa place. Parfois Me Desrosiers sent, lors de ses contacts avec le porte-parole du ministère, que quelque chose ne va pas, mais n’arrive pas à cerner clairement le problème. Puis au fil des discussions, il comprend. C’est alors qu’il peut proposer une solution pour sortir de l’impasse.
À la dernière étape, il élabore avec ses collaborateurs de la FMOQ des propositions qui leur conviennent, mais qui satisferont également la partie adverse. « On doit répondre aux intérêts du gouvernement. On n’a pas le choix, dit Me Desrosiers. La négociation, c’est l’art du compromis. Il est évident qu’on ne peut pas tout gagner. Il faut obtenir, bien entendu, ce qui est prioritaire pour nous, mais on garde toujours une certaine insatisfaction, parce que c’est cela la négociation. »
Tout ce jeu de négociations, le Dr Godin a dû l’apprendre. « Je ne suis pas un juriste de formation ni un négociateur de conventions collectives. Je suis un médecin comme vous. Et j’ai appris combien la pensée d’un médecin et la pensée d’un négociateur sont différentes. »
En outre, la logique des représentants du gouvernement est très loin de celle des cliniciens. Bien des membres confient au Dr Godin : « Je ne comprends pas qu’ils ne comprennent pas. » Par exemple, pourquoi les médecins de famille n’ont-ils pas la même rémunération que les autres spécialistes. « Dans notre tête, c’est évident qu’on devrait avoir la même rétribution. Toutefois, du côté du gouvernement, ce n’est pas la même manière de penser. Leurs représentants vont dire qu’au Canada et partout ailleurs, c’est ainsi. Pour eux, le gouvernement n’a pas à faire de modifications et n’est pas là pour faire plaisir aux médecins. » Pour le président de la Fédération, cela a été un dur, mais nécessaire apprentissage. //