Entrevues

Entrevue avec le président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Gaspésie

Rendre la pratique en cabinet plus attirante

Emmanuèle Garnier  |  2015-12-30

Nouveau président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Gaspésie, le Dr Sylvain Drapeau pratique dans l’est du Québec depuis 20 ans. Exerçant entre autres au GMF de Chandler, il désire attirer les jeunes médecins en première ligne en rendant cette pratique plus intéressante.

M.Q. – Quelles sont vos priorités comme président ?

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S.D. – Mes priorités vont être axées sur l’inscription de la population et la fidélisation de la clientèle. Avec nos membres, nous allons essayer de trouver des solutions pour faciliter l’inscription de la population et amener progressivement des changements dans notre façon de travailler. Je souhaite aussi encourager les nouveaux médecins qui arrivent sur le territoire à prendre en charge une clientèle.

M.Q. – Où en est votre taux d’inscription de la population ?

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S.D. – Actuellement, 74 % de la population de notre territoire est inscrite et le taux de fidélisation est autour de 77 %.

M.Q. – Comment inciterez-vous les jeunes médecins qui arrivent à travailler en première ligne ?

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S.D. – Premièrement, on va les encourager à avoir une pratique mixte, à la fois à l’hôpital et en cabinet médical. Ensuite, on veut aussi essayer de rendre la pratique en clinique plus attirante. Par exemple, dans notre propre groupe de médecine de famille (GMF), nous avons décidé d’engager une infirmière auxiliaire. Ses services ne sont pas fournis par le cadre du GMF. Elle nous aide à fonctionner en accès adapté. Nous avons commencé à recourir à cette méthode au début de l’automne. Cela fait maintenant deux mois que nous pratiquons l’accès adapté, et plusieurs d’entre nous ont réussi à faire passer leur liste d’attente de deux mois à une semaine. Personnellement, je suis capable de donner un rendez-vous à la majorité de mes patients en une semaine et de recevoir ceux qui ont des problèmes de santé plus urgents dans un laps de temps de 24 à 48 heures. Nous sommes très heureux d’avoir engagé cette infirmière. Elle facilite beaucoup notre travail. C’est en adoptant de tels moyens que l’on pense pouvoir recruter de nouveaux médecins. Cela rend notre milieu plus intéressant.

M.Q. – Le nouveau programme pour les GMF donne droit aux services de pharmaciens, de travailleurs sociaux, etc. Votre pratique va être encore plus multidisciplinaire.

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S.D. – Nous avions déjà une partie de ces professionnels de la santé, parce que nous sommes dans un GMF performant. Nous travaillons ainsi avec un travailleur social, une diététiste, un kinésiologue et un inhalothérapeute. Tout le nouveau personnel qui vient avec le nouveau cadre de gestion des GMF devrait effectivement inciter les jeunes médecins à aller en première ligne. C’est maintenant un milieu de pratique qui ressemble beaucoup à celui qu’ils ont connu au cours de leur formation, dans les unités de médecine familiale (UMF). Le GMF devient la continuité de l’UMF. Trois candidats ont d'ailleurs manifesté leur intérêt à se joindre à notre équipe au printemps.

M.Q. – Qu’est-ce que cela vous apporte comme clinicien de pouvoir collaborer avec, par exemple, un travailleur social ?

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S.D. – Le travailleur social s’occupe de tout le côté psychosocial de la prise en charge. Il règle des crises, des problèmes d’accessibilité ou des problèmes psychosociaux pour lesquels nous devions auparavant communiquer avec des intervenants. Il prend en charge la clientèle plus fragile et l’oriente dans le système de façon plus efficace. Par exemple, lorsqu’on a un patient atteint de démence, le travailleur social va s’occuper de la famille et l’orienter vers les différentes ressources, comme le service de soins à domicile. Avant, je devais faire tous les contacts avec les différents intervenants. Maintenant, je transfère la demande au travailleur social. Cela me permet de me concentrer sur le côté médical des soins.

M.Q. – Quel est le rôle du kinésiologue ?

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S.D. – Pour beaucoup de patients, les soins de physiothérapie sont inaccessibles, parce qu’ils n’ont pas d’assurances qui couvrent ces frais-là. Le kinésiologue va donc les rencontrer, les évaluer et leur faire un programme d’exercices qu’ils pourront effectuer à domicile. Il les revoie ensuite pour voir leur évolution et réajuster le programme.

M.Q. – que change pour vous le nouveau cadre des GMF puisque plusieurs professionnels travaillaient déjà avec vous ?

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S.D. – Grâce au nouveau cadre, un pharmacien va se greffer à notre équipe. Il va pouvoir faire l’évaluation du dossier pharmaceutique de nos patients. Cela va nous apporter beaucoup.

M.Q. – La FMOQ va bientôt renégocier un nouvel accord cadre. votre association a-t-elle des demandes ?

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S.D. – Un dossier pour lequel nous nous sommes toujours battus est la parité salariale entre les médecins à l’hôpital et ceux en cabinet. Au cours des dernières années, dans les régions éloignées, la rémunération à l’hôpital est devenue beaucoup plus intéressante qu’en première ligne, parce que le gouvernement a voulu favoriser le travail des médecins, dans les unités de soins et à l’urgence pour combler les pénuries.

M.Q. – Est-ce que cette différence entre la rémunération à l’hôpital et celle en cabinet pose un problème pour recruter des médecins en première ligne ?

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S.D. – Ce n’est probablement pas le seul facteur qui influence les médecins. Mais effectivement, si on élimine ce différentiel, cela va rendre la première ligne plus attrayante. Ce sont cependant un ensemble d’éléments qui vont nous permettre de recruter plus facilement de nouveaux médecins dans les GMF : la diminution des besoins en effectifs médicaux dans les centres hospitaliers, l’élimination progressive des activités médicales particulières au fil des années, etc. Mais pour l’instant, cela peut être tentant pour un nouveau facturant d’avoir uniquement une pratique hospitalière étant donné les besoins à combler dans les hôpitaux et la meilleure rétribution.

M.Q. – Y a-t-il une pénurie d’effectifs médicaux dans votre région ?

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S.D. – Nous n’avons atteint que 74 % du nouvel objectif du plan régional d’effectifs médicaux de notre territoire. La situation devrait s’améliorer à l’été avec l’arrivée de jeunes médecins. Mais comme nous sommes peu nombreux, le départ de deux ou trois omnipraticiens peut avoir des répercussions importantes sur notre milieu de pratique.

M.Q. – Quels sont les principaux problèmes à régler dans votre région ?

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S.D. – Actuellement, ce sont l’accès à un médecin omnipraticien et la prise en charge de la clientèle. Je dirais que l’accessibilité n’est pas un problème criant, par contre, la prise en charge l’est. Il y a 25 % de la population qui n’a pas de médecin de famille. L’arrivée de nouveaux effectifs va nous permettre d’offrir à une plus grande partie de la population la possibilité d’avoir un médecin de famille. C’est un problème auquel on veut s’attaquer au cours des deux prochaines années. Par ailleurs, pour ceux qui ont actuellement un médecin, l’accessibilité n’est pas un problème important. Les gens sont capables de le voir de façon relativement rapide.

M.Q. – Est-ce que votre association s’est beaucoup investie dans la mise en œuvre de l’accès adapté ?

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S.D. – Au printemps, nous avons organisé dans notre région une formation sur l’accès adapté à laquelle environ 70 personnes ont participé : des médecins, des infirmières et le personnel de soutien de différents GMF. L’accès adapté a ainsi commencé à être mis en place dans différents milieux. Une deuxième formation va avoir lieu au printemps.
Dans notre propre GMF, les médecins étaient initialement sceptiques. Nous avions de la difficulté à croire que cette nouvelle façon de travailler pourrait nous permettre d’offrir à nos patients un meilleur accès à nos services. Après deux mois, nous avons constaté que cela fonctionnait. Cela a permis à la majorité des médecins de prendre en charge de 25 à 30 patients de plus. Nous avons aussi vu le nombre de consultation à l’urgence diminuer de façon importante.

M.Q. – En tant que président, allez-vous continuer dans cette voie ?

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S.D. – L’accès adapté va être une de nos priorités. La médecine familiale est amenée à se modifier et les médecins, à pratiquer de façon différente. Je pense que l’accès adapté va être une façon de travailler toute aussi intéressante et encore plus dynamique que celle qu’on connaissait. Selon moi, la médecine familiale se dirige vers de nouveaux objectifs. On doit convaincre et encourager nos membres à adhérer à cette nouvelle façon de pratiquer. //