Nouvelles syndicales et professionnelles

Regard sur la lourdeur de la clientèle vulnérable inscrite

Denis Blanchette et Geneviève Gauthier  |  2015-12-22

Une des particularités de l’entente intervenue entre les parties négociantes sur l’accessibilité fixe l’objectif d’inscrire l’ensemble de la population du Québec auprès d’un médecin de famille exerçant en première ligne.

Le pourcentage d’inscription de la population a été établi selon une cible de 85 % à terme. Le Québec compte présentement 8,2 millions de Québé­cois selon l’Institut de la statistique du Québec, mais de ce nombre seul 7,9 mil­lions sont inscrits et admissibles à la RAMQ, soit la population détenant une carte d’assurance maladie valide. C’est sur ce dernier chiffre que les parties négociantes calculeront le taux effectif d’inscription.

Denis Blanchette est économiste et directeur du Service des affaires économiques, Geneviève Gauthier est analyste au sein du même service.

Ainsi, selon les chiffres disponibles pendant des négociations, au 31 dé­cembre 2014, 68 % de la population figurant dans les registres de la RAMQ était inscrite auprès d’un médecin de famille en première ligne, soit 5,4 millions de Québécois. Il ne restait donc que 1,4 million de Québécois à inscrire pour atteindre notre objectif de 85 % (tableau I).

Selon les données du 30 juin 2015, six mois plus tard, 70 % de la population admissible à la RAMQ était inscrite, soit 5,5 millions de Québécois. L’inscription nette doit donc atteindre 1,3 mil­lion de personnes au cours des deux prochaines années. De façon pratique, c’est 600 000 patients par année, soit 50 000 par mois pour l’ensemble des médecins exerçant en première ligne, y compris les cohortes de nouveaux médecins qui s’ajouteront d’ici le 31 décembre 2017. Ces chiffres ne tiennent toutefois pas compte de l’augmentation de la population dans la même période. Le facteur de croissance de la population se situant à 0,8 % par année, l’inscription nette doit atteindre 1,4 million de Québécois à terme (tableau II).

Selon cet objectif, il serait opportun, aujourd’hui, de jeter un regard sur la consommation de soins de la clientèle de patients vulnérables déjà inscrits. Nous avons suffisamment de données maintenant pour surveiller cette consommation qui représente la majorité du volume total de services. De plus, une gestion des besoins de sa clientèle semble être de mise avant d’envisager l’ajout de nouveaux patients dans sa clientèle ou simplement l’ajout de ressources professionnelles dans un milieu de pratique. Un regard sur la lourdeur de sa clientèle vulnérable serait aussi une bonne piste de réflexion avant de mettre en place une forme d’accès adapté.

La FMOQ a priorisé au cours des quinze dernières années, la prise en charge et le suivi des clientèles vulnérable. En sus des incitatifs financiers mis en place, nous avons négocié à trois reprises des ajouts à la liste des maladies (appelé « pathologies » dans l’entente) afin de refléter le mieux possible la lourdeur de la pratique. Les derniers ajouts ont eu lieu à la toute fin de 2011. Les lieux d’inscription des clientèles en première ligne sont les cabinets, les CLSC et les UMF.

Pour bien analyser la lourdeur des clientèles, il faut savoir que parmi les 5,4 millions de patients inscrits, 2,3 millions le sont à titre de patients vulnérables au sens de notre entente particulière sur la prise en charge. Ces patients sont regroupés en vingt catégories distinctes, dont une est strictement liée à l’âge du patient (70 ans ou plus) sans maladie.

Parallèlement aux données sur les patients inscrits, une analyse des 2,6 millions de Québécois non inscrits (qui ne sont pas nécessairement des patients orphelins qui cherchent activement un médecin de famille) montre que 65 % (ou 1,7 million) de ces derniers ont entre 10 et 49 ans et sont surtout de «  jeunes » hommes. On conviendra que pour la plupart d’entre eux, c’est un âge, à tort ou à raison, où le fait d’être inscrit auprès d’un médecin de famille n’est pas une priorité ! Il faut en tenir compte dans l’évaluation de la lourdeur en général et dans l’atteinte de l’objectif en particulier. Les Québécois de 50 à 59 ans, quant à eux, sont déjà inscrits dans une proportion de 75 %. Ce pourcentage s’accroît en fonction de l’âge des patients (tableau III).

Dans le vaste champ d’expertise qu’est la médecine familiale de première ligne, le médecin pose lui-même ses limites quant à l’ajout ou non de nouveaux patients. Toutefois, son action individuelle a un effet collectif sur l’objectif à atteindre.

Cet article se veut à la fois un outil d’aide à la prise de décision dans le but d’inscrire davantage de patients ou non, mais aussi une réflexion sur la lourdeur spécifique de la clientèle de patients vulnérables déjà inscrite. C’est également un outil qui vous permet de comparer votre propre clientèle de patients vulnérables à celle de l’ensemble des médecins de cabinet au Québec. La RAMQ met à votre disposition sur son site Internet des données de base concernant votre clientèle inscrite. Nous ajouterons des informations pertinentes et certaines données relativement plus élaborées concernant vos patients vulnérables.

L’accessibilité demeurera subjective, difficilement mesurable et sujet à la perception du patient qui est différente de celle du médecin. Si on posait les mêmes questions à un patient et à un médecin, à savoir «  Qu’est-ce qu’un rendez-vous d’urgence » et «  Quel est le délai raisonnable pour avoir un tel rendez-vous », il y a de fortes chances que les réponses de l’un et de l’autre soient aux antipodes pour diverses raisons.

Gestion de la pratique et morbidité

Nous définissons la lourdeur des clientèles vulnérables inscrites en cabinet selon trois variables mesurables par maladie : la fréquence des visites, le type d’examens facturés par le médecin et la proportion du nombre de patients vulnérables inscrits. Pour des raisons pratiques, comme la fréquence des visites est plus facile à établir par la factura­tion à l’acte, seules les données des patients inscrits en cabinet ont été analysées. Nous aborderons également la lourdeur des patients vulnérables provenant des guichets d’accès. Avec la mise en place des modes mixtes de rémunération en CLSC et en UMF, le contenu en ligne du profil des médecins sera bonifié et intègrera davantage de données. Les mises à jour seront ainsi effectuées pour le 31 décembre et le 30 juin de chaque année, et les données antérieures seront conservées

Par ailleurs, au cours d’une année, la très grande majorité des médecins de première ligne prodiguent des soins à des patients qui ne sont pas inscrits à leur nom. À l’inverse, de nombreux patients inscrits à votre nom sont vus par vos collègues en première ligne dans votre propre milieu ou à l’extérieur. Les médecins de famille facturent également des services pour des patients orphelins et donc non inscrits dans le réseau. Ces derniers, qui sont près de 1 million, effectuent déjà 2,2 millions de visites par année en cabinet, mais ne sont pas inscrits au sens de notre entente. Ces patients sont orphelins de médecins, mais pas de services !

Dans ce contexte de polyvalence des médecins et de mouvements de patients quant aux lieux de consommations de soins, il est tout à fait normal de retrouver plusieurs médecins dans une année pour un même patient. Nous savons également que parmi les nouveaux patients inscrits, 30 % ne reçoivent pas de soins dans l’année suivant l’inscription et ne reviennent qu’au besoin. De plus, il faut savoir que le million de patients orphelins qui obtiennent des soins au cours d’une année proviennent d’un bassin de près de 2,6 millions de Québécois non inscrits. Le million d’orphelins comptés n’est donc pas constitués des mêmes Québécois d’une année à l’autre. L’ensemble de ces informations doivent nécessairement faire partie de votre réflexion.

Ainsi, pour contourner cette complexité, et aux fins de l’exercice pratique, notre choix de n’aborder que la lourdeur des patients vulnérables tient également à deux facteurs clés :

  • le taux de fidélisation ou d’assiduité des patients vulnérables inscrits auprès du médecin de famille, qui est autour de 80 %. En ajoutant la notion de pratique de groupe, qui est implicite dans les GMF, ce pourcentage augmente à près de 90 % ;
  • la consommation de soins des 2,1 millions de patients vulnérables inscrits en cabinet, qui représente près de 56 % des visites totales en cabinet des patients inscrits ainsi que près de 65 % de la rémunération des médecins en cabinet. La priorité a donc été au fil des ans d’offrir plus de soins en première ligne à cette clientèle, qui représente 27 % de la population québécoise. De plus, cette rémunération pour les services prodigués aux patients vulnérables est fortement liée à une forme de capitation, et non simplement à des codes d’actes (tableau IV).

 

En quelque sorte, la consommation de soins des patients vulnérables est en moyenne très concentrée auprès de leur propre médecin de famille et devient ainsi très intéressante à analyser dans le cadre de la lourdeur et de la gestion de la clientèle d’une pratique en cabinet.

Profil de pratique à votre disposition

Afin d’alimenter votre réflexion, des profils individualisés seront mis à votre disposition aux fins de comparaison. Le nombre et la composition de la clientèle de patients vulnérables inscrits peut faire la différence entre un médecin qui est perçu par ses patients comme accessible et un autre qui est perçu comme l’étant moins ou pas du tout.

Les profils individuels ainsi que ceux de l’ensemble des médecins du Québec ont été versés au mon.fmoq.org. Ce site sécurisé vous permet déjà de consulter certaines informations, telles que vos relevés de crédits de formation médicale continue, les mises à jour de vos coordonnées, les reçus de cotisation, etc.

Ces profils donneront des informations utiles, par maladie, sur la proportion de patients vulnérables, la fréquence des visites comptabilisées ainsi que la proportion selon les types d’examens effectués. Il y a également un volet sur la prise en charge des nouveaux patients orphelins provenant des guichets d’accès.

Votre compte sur mon.fmoq.org ne peut être consulté que par vous ou par une personne que vous avez désignée. De plus, seuls les médecins ayant autorisé la divulgation de certaines informations aux fins de la négociation ont accès aux profils de pratique. Ceux qui n’ont pas signé l’autorisation verront plutôt apparaître des directives sur la démarche à suivre. À noter que les données de rémunération n’apparaîtront jamais sur ce site sous quelque forme que ce soit.

Fréquence des visites en cabinet

Les patients vulnérables qui consultent leur médecin de famille en cabinet affichent une fréquence de 3,5 visites en moyenne par année. Toutefois, selon les données, certaines maladies requièrent davantage de visites que d’autres.

Les données montrent que les pa­tients vulnérables porteurs du VIH ou at­teints du sida ou de l’hépatite C sont ceux qui ont la fréquence la plus élevée (en moyenne 5 consultations par année). À l’inverse, les patients de moins de 70 ans atteints du trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité sont ceux qui sont vus le moins souvent (en moyenne 2,9 consultations par année). Il existe donc un écart non négligeable de 2,1 consultations entre ces deux clientèles.

Votre proportion de patients vulnérables selon les affections peut donc avoir un effet sur la lourdeur de votre pratique et directement sur votre nom­bre total de patients inscrits.

Proportion des examens facturés et maladies multiples

La principale difficulté de présenter les patients sous une catégorie de vulnérabilité unique tient au fait que 21 % des patients inscrits vulnérables ont également une deuxième ou une troisième affection diagnostiquée par le médecin traitant. Le tableau V montre une certaine lourdeur associée à la multichronicité selon les examens offerts. En effet, le nouvel acte «  intervention clinique » et les visites à domicile sont plus nombreux chez ces patients que chez ceux n’ayant qu’une seule maladie. Ces deux actes sont associés à une lourdeur en ce qui a trait au temps ou au minutage des examens. Pour en savoir plus sur la charge de travail qui correspond à 1000 patients inscrits considérant le minutage des examens, consultez Le Médecin du Québec de janvier 2015.

Ce qui n’apparaît pas dans le tableau V, c’est que 26 % des examens effectués sur des patients vulnérables sont effectués auprès des patients ayant plus d’une maladie alors que ces derniers représentent 21 % des patients vulnérables inscrits. De plus, bien que la fréquence moyenne de consommations de soins des patients soit de 3,5 visites par année, la fréquence pour les patients ayant plus d’une maladie est de 4,2 visites par année et de 3,3 vi­sites pour ceux n’ayant qu’une seule maladie. Selon l’entente particulière sur la médecine familiale, la prise en charge et le suivi de la clientèle, le médecin de famille n’obtient pas de rémunération plus avantageuse pour un patient atteint de multiples maladies, sauf dans les cas de santé mentale.

Patients provenant des guichets d’accès

On pourrait croire que les patients vul­né­rables provenant des guichets d’accès constituent des cas plus lourds que la moyenne. Dans les faits, le nom­bre moyen de visites des nouveaux patients inscrits, qu’ils soient vulnérables ou non, est sensiblement le même. Une fréquence de 3,6 à 3,7 pour les patients vulnérables, et de 2,7 à 2,9 pour ceux qui ne le sont pas, selon les codes d’actes liés au guichet.

De plus, l’examen facturé lors de la première visite est principalement un examen complet majeur ou une intervention clinique. Cependant, pour les autres visites de l’année, c’est en majorité un examen ordinaire ou complet. Les données montrent également que les patients «  très vulnérables » provenant du guichet d’accès présentent un profil de consommation de soins similaire lors de la première visite et des visites subséquentes à celui des autres patients vulnérables provenant du guichet d’accès, mais ont une propension plus élevée à se voir facturer une «  intervention clinique » à laquelle s’ajoutent des suppléments de durée de quinze minutes.

Les don­nées utilisées et présentées dans ce texte sur les fréquences doivent être prises dans un contexte de pénurie relative et de manque d’accès en première ligne. L’essor de la pratique in­ter­disciplinaire peut également avoir un effet sur les fréquences de façon générale en ce qui a trait au suivi des patients vulnérables. Et vous, quelle est la lourdeur de votre clientèle vulnérable inscrite ?

Bonne réflexion ! //