Nouvelles syndicales et professionnelles

Les pharmaciens de GMF

quel est leur rôle ?

Emmanuèle Garnier  |  2016-09-26

Nouveaux dans les GMF, les pharmaciens peuvent aider les médecins à prendre efficacement en charge les patients aux problèmes de santé complexes qui consomment de nombreux médicaments.

Les pharmacies de GMF

À l’UMF-GMF Haute-Ville, à Québec, un médecin de famille reçoit sa patiente de 70 ans atteinte de douleurs chroniques. Il lui a prescrit de nombreux médicaments, a essayé différentes molécules, mais rien ne fonctionne. Visiblement dans une impasse, l’omnipraticien dirige la patiente vers le nouveau pharmacien du GMF.

« Je pense qu’il n’y a pas grand-chose à faire », confie la septuagénaire à M. Georges-Émile Bourgault quand elle le rencontre. Pendant une heure, le pharmacien va retracer ses antécédents pharmacologiques, analyser ses nombreux médicaments, évaluer leur efficacité, s’enquérir des effets indésirables et vérifier son adhésion au traitement. Muni de ces données, il élabore ensuite un plan thérapeutique en deux phases. « J’ai proposé au médecin l’utilisation de la méthadone en coanalagésie. Mais pour cela, il fallait retirer trois médicaments », explique M. Bourgault.

M. Georges-Émile Bourgault

En accord avec le médecin, le pharmacien commence par réduire la dose d’un premier médicament pendant plusieurs semaines. « On a décidé de débuter par un premier et de se reparler ensuite. Toutes les semaines, j’appelais la patiente pour m’assurer que la diminution se passait bien, qu’il n’y avait pas de recrudescence de la douleur, de symptômes de sevrage, d’effet sur le sommeil ou l’humeur. »

Au bout de quelques mois, le sevrage des trois médicaments terminé, la deuxième phase débute. L’omnipraticien commence par prescrire une dose très faible de méthadone, 0,5 mg, qu’il augmente graduellement. Après chaque hausse, le pharmacien fait un suivi par téléphone. « Cela demande une surveillance étroite 24 heures après chaque changement de dose et au bout de 48 heures. Il faut s’assurer que la patiente n’a pas d’effet de surdose, de signes de somnolence excessive, etc. C’est exigeant. »

« Quand les médecins ont connu une fois un bon suivi conjoint avec un pharmacien, qu’ils ont vu l’effet sur leur prise en charge ainsi que le temps libéré, ils veulent continuer. »

– M. Georges-Émile Bourgault

Puis la patiente, à son grand ravissement, connaît sa première période de soulagement. « Elle avait recommencé à faire des courses. Malheureusement, ses douleurs ont continué à évoluer, et on doit encore faire des ajustements. »

M. Bourgault, qui travaille depuis deux ans à l’UMF-GMF, intervient auprès d’une dizaine, voire d’une quinzaine de patients par jour. Des personnes qu’il rencontre ou qu’il appelle. En collaboration avec le médecin, il peut effectuer un changement d’antidépresseur chez un patient vulnérable, faciliter la maîtrise de la glycémie chez un diabétique, procéder à des sevrages difficiles, éliminer les médicaments devenus inutiles, etc.

Comme le bureau du pharmacien est situé à côté de la salle de supervision des résidents, il est très sollicité. « Toutes les quinze minutes, un résident et son patron débarquent dans mon bureau. On a une discussion de cas. Parfois cela mène à un suivi conjoint où je prends en charge une partie du traitement médicamenteux et effectue les ajustements. D’autres fois, je fais seulement des recommandations. On convient d’un plan de traitement, et le médecin conserve la prise en charge du patient. »

Mme Marie-Andrée Leclerc

Un rôle non traditionnel

Au GMF La Cité Médicale, à Québec, le bureau de la pharma­cienne Marie-Andrée Leclerc jouxte lui aussi celui des omnipraticiens. Les médecins peuvent venir cogner à sa porte, la joindre par courriel ou par téléphone. « Le médecin peut me poser des questions au milieu de sa consultation : “j’ai tel type de patient, il a de nombreuses allergies. Plusieurs interactions médicamenteuses sont présentes. J’ai déjà essayé tel et tel médicament. Qu’est-ce que je fais ?” »

La réponse est parfois facile à donner. « D’autres fois, il faut faire une recherche dans la littérature, pousser un peu plus l’évaluation, connaître davantage les antécédents médicaux et pharmacologiques du patient. On fait affaire avec des patients vulnérables dont les cas sont compliqués. C’est pour cette clientèle-là que la valeur ajoutée du pharmacien est la plus grande », précise Mme Leclerc, qui s’est jointe au GMF en février 2015.

Les cas peuvent parfois être très complexes. Mme Leclerc a été appelée, par exemple, à suivre, en collaboration avec le médecin et l’infirmière, une femme dans la quarantaine qui venait d’avoir un diagnostic de diabète de type 2. Des complications étaient déjà apparues. La prise en charge de cette patiente anxieuse, qui avait une peur bleue des ai­guilles, n’a pas été facile. « Elle a présenté de multiples intolérances aux médicaments. En un an, nous avons tenté plusieurs classes d’hypoglycémiants oraux, d’antihypertenseurs, d’anxioly­ti­ques, d’antidépresseurs et d’analgésiques. »

« Dans un GMF, le pharmacien est là pour aider le médecin à superviser des clientèles complexes, c’est-à-dire qui ont de multiples maladies et prennent de nombreux médicaments. »

– M. Éric Lepage

En plus des hypoglycémies, des hyperglycémies et de quel­ques pertes de conscience à la suite de prises de sang, la pa­tiente a eu, au cours du suivi, une insuffisance rénale aiguë, une arthropathie de Charcot, un œdème maculaire diabétique, une pression artérielle fluctuante, des problèmes gastro-intestinaux et des douleurs. « Nous cherchons toujours la combinaison de médicaments qui sera tolérée et efficace. Néanmoins, nous avons atteint les cibles pour l’hémoglobine glyquée et la pression artérielle, et le bilan lipidique est désormais adéquat », indique Mme Leclerc.

M. Éric Lepage

Le rôle du pharmacien dans un GMF est très différent de celui qu’il a dans une officine, explique M. Éric Lepage, chef du Département clinique de pharmacie du CIUSSS de la Capitale-Nationale auquel sont rattachés M. Bourgault et Mme Leclerc. « Le pharmacien qui travaille dans le privé s’occupe entre autres du conditionnement et de la distribution sécuritaire des médicaments. Le pharmacien de GMF, lui, ne distribue pas de médicaments. Son rôle est d’appuyer l’équipe pour permettre un usage optimal du médicament. C’est un rôle non traditionnel. »

Un guide et des outils

Comment intégrer le pharmacien à l’équipe médicale ? Le CIUSSS de la Capitale-Nationale est en train de produire un guide qui propose différentes étapes pour faciliter son insertion et offre plusieurs outils. Le document Intégration d’un pharmacien dans un groupe de médecine de famille (GMF), qui pourra être consulté au ciusss-capitalenationale.gouv.qc.ca, explique entre autres le rôle que peut jouer le pharmacien.

« Dans un GMF, le pharmacien est là pour aider le médecin à superviser des clientèles complexes, c’est-à-dire qui ont de multiples maladies et prennent de nombreux médicaments. L’objectif est que ces patients aillent le moins souvent possible à l’hôpital et que le médecin puisse suivre le plus grand nombre de personnes possible », indique M. Lepage.

Le guide, rédigé par une pharmacienne du CIUSSS, suggère à la suite de consultations faites dans cinq GMF une manière de collaborer entre professionnels de la santé. Selon le modèle proposé, le pharmacien verrait des patients à la demande du médecin qui sélectionnerait ces derniers selon des critères précis.

Les patients devraient :

h prendre des médicaments d’au moins quatre classes pharmacologiques différentes ;

h avoir à prendre des médicaments quatre fois par jour.

En outre, ces personnes devraient être considérées comme vulnérables, soit :

h avoir moins de 70 ans et trois critères de vulnérabilité ;

h avoir 70 ans ou plus et au moins deux critères de vulnérabilité ;

h présenter une perte d’autonomie fonctionnelle récente ;

h avoir changé de médicaments après une hospitalisation.

Le médecin peut aussi adresser au pharmacien un patient ayant des besoins de santé complexes, des besoins parti­culiers ponctuels ou une maladie chronique (encadré).

Étude sur l’utilité du pharmacien

Mme Line Guénette

Le guide sur l’intégration du pharmacien repose entre autres sur une étude menée par une pharmacienne chercheuse au Centre de recherche du CHU de Québec, Mme Line Guénette. Menée dans quatre GMF de la région de Québec, la recherche se penche sur le travail de cinq pharmaciens qui se sont occupés de soixante sujets. Âgés en moyenne de 75 ans, les patients étaient des personnes vulnérables ayant un traitement médicamenteux complexe.

« Le pharmacien faisait le bilan comparatif des médicaments et regardait les antécédents médicamenteux du patient. Sa tâche était de déceler la présence de problèmes liés à la pharmacothérapie. Il effectuait ensuite différentes interventions, soit directement auprès du patient, soit auprès du médecin s’il fallait changer un médicament ou faire une nouvelle prescription », explique Mme Guénette, également professeure à l’Université Laval.

Les pharmaciens, dont faisaient partie M. Bourgault et Mme Leclerc, ont détecté 300 problèmes liés à la pharmacothérapie, soit une médiane de six par patient. « Cela variait de un jusqu’à seize problèmes trouvés par patient », mentionne Mme Guénette.

Parmi les problèmes découverts, 27 % concernaient la présence d’un médicament qui n’était plus nécessaire. « Cela concorde avec ce qu’on voit dans la littérature. C’est souvent le problème le plus fréquent. On entend parler de plus en plus de la déprescription ; cela va dans le sens de ce qu’on a observé. »

Dans 19 % des cas, il s’agissait, au contraire, d’un médicament qui aurait dû être prescrit au patient et ne l’était pas. Par ailleurs, 30 % des problèmes consistaient en des doses trop élevées ou trop faibles, 9 % en des effets indésirables et 5 % en une non-adhésion au traitement. « Les médecins ont accepté 88 % des suggestions des pharmaciens », indique la chercheuse.

Encadré

Briser la glace

Dans le cadre de l’étude, les patients des GMF ont eu à remplir un questionnaire pour indiquer leur degré d’appréciation des soins qu’ils recevaient. « Ils adoraient avoir accès au pharmacien, parce qu’ils avaient un contact privilégié avec lui », explique Mme Guénette. C’est d’ailleurs ce que sa collègue, Mme Leclerc, a remarqué dans sa pratique. « Le patient apprécie aussi le fait que l’on soit accessible, qu’il puisse nous appeler, qu’il n’ait pas à attendre des semaines pour avoir un rendez-vous. »

Les chercheurs ont effectué parallèlement des entrevues avec différents professionnels des GMF. « Ce qui ressortait, c’était que le rôle du pharmacien était très méconnu des au­tres cliniciens. Qu’est-ce qu’il peut faire ? Qu’est-ce qu’il ne peut pas faire ? Certains mentionnaient aussi l’importance de diminuer les appréhensions concernant son arrivée », mentionne Mme Guénette.

L’intégration des pharmaciens demande des efforts. Les autres professionnels estiment le temps d’adaptation à un ou deux mois, selon les résultats préliminaires. Les principaux concernés, eux, l’évaluent plutôt à entre un et trois ans.

M. Bourgault, qui avait travaillé dix ans comme pharmacien dans la collectivité, juge qu’il lui a fallu un an pour bien s’incorporer dans l’équipe. Ce qui était difficile ? « La méconnaissance au départ de ce qu’est un pharmacien. Les autres professionnels se demandaient comment, au-delà de notre expertise en pharmacothérapie, on pouvait prendre en charge des patients, contribuer au suivi conjoint, améliorer directement et indirectement la prise en charge au sein d’une équipe médicale. Cela reste un défi auquel il faut travailler. »

Pour Mme Leclerc, qui pratiquait auparavant dans un milieu hospitalier, environ dix mois ont été nécessaires pour bien jouer son rôle au sein du GMF. « Il a fallu que je précise ce que j’allais faire et expliquer que, non, je n’ai pas le même rôle que le pharmacien de quartier et que je ne suis pas non plus une pharmacienne d’hôpital, parce qu’on n’est pas dans un milieu hospitalier. »

Puis, la magie du pragmatisme a opéré. « Quand les médecins ont connu une fois un bon suivi conjoint avec un pharmacien, qu’ils ont vu l’effet sur leur prise en charge ainsi que le temps libéré, ils veulent continuer », souligne M. Bourgault. //