comment y faire face ?
Bien des personnes se comportent de manière désagréable, mais ont, en fait, simplement de la difficulté à fonctionner normalement. Comment faut-il se conduire avec elles ?
Les gens à la personnalité difficile sont nombreux. On en trouve parmi nos collègues, nos employés, nos supérieurs ou les patients. Certains présentent carrément des troubles de la personnalité : paranoïa, narcissisme, comportement passif-agressif, personnalité limite, etc. Mais d’autres, encore plus nombreux, ont seulement certains traits pathologiques.
Toutes ces personnes-là peuvent être désagréables. « Acariâtres, pisse-vinaigre, condescendantes, méprisantes, énumère le Pr Gérard Ouimet, professeur titulaire et chercheur à HEC Montréal. Mais elles sont ainsi parce qu’elles perçoivent le monde de manière déformée, explique-t-il. C’est comme si ces personnes portaient des lunettes déformantes. Elles ont des croyances irrationnelles. Elles ne font donc pas exprès d’être désagréables. Elles le sont structurellement. »
Normalement, une personne parvient à s’adapter aux exigences de son milieu et à fonctionner dans le cadre des normes collectives. Cependant, ces gens à la personnalité difficile y arrivent mal. Cela peut donc devenir éprouvant de les côtoyer, d’obtenir d’eux des compromis ou de maintenir une relation harmonieuse. Les frictions avec eux sont fréquentes.
Les personnalités difficiles ont toutes des traits communs. Pour commencer, elles ont une faible capacité d’introspection. « Il leur est difficile de se remettre en question », explique le Pr Ouimet, docteur à la fois en psychologie et en science politique. Une personne aux tendances narcissiques, par exemple, peut tout à coup prendre la parole au cours d’une réunion et aborder un sujet étranger à la discussion sans se rendre compte que son intervention est intempestive et inopportune. Sa vision de la réalité est un peu dénaturée. « Ce type de personne est d’ailleurs convaincu que son mode de fonctionnement est adéquat et que ce sont les autres qui sont dans l’erreur. »
Ce qui ne facilite pas les choses, c’est que ces personnes sont rigides. « Elles n’ont pas la possibilité de mettre de l’eau dans leur vin. Cela devient donc compliqué pour elles de s’adapter », précise le Pr Ouimet.
Leur comportement est également excessif. Une personne aux tendances obsessives compulsives peut, par exemple, s’attarder d’une façon extrême aux petits détails et finir par mal gérer ses priorités au travail. « Le point central pour moi chez les gens aux personnalités difficiles, c’est leurs traits de caractère excessifs », explique M. Martin Villeneuve, docteur en psychologie industrielle et organisationnelle, qui enseigne à l’Université du Québec en Outaouais.
Les traits des personnalités difficiles sont par ailleurs généralement permanents. « Il y a une constance dans le temps et dans l’espace. C’est-à-dire que la personne est ainsi à la maison, au tennis, au bureau et ailleurs. Elle était comme ça auparavant et le sera dans trois ans », précise le Pr Ouimet.
La situation ne serait pas aussi grave s’il n’y avait pas toute cette douleur. Autour de ces gens et en eux. Ils font beaucoup souffrir leurs proches et sont eux-mêmes malheureux. « Ils souffrent parce qu’ils ne parviennent pas à composer avec les demandes de l’environnement. Ils ne sont pas déconnectés de la réalité. Ils se rendent donc compte que quelque chose ne va pas, mais ils ne savent pas pourquoi », indique le professeur de HEC Montréal.
Comment agir avec de telles personnes ? Chacune a ses propres caractéristiques selon le trouble de la personnalité dont elle se rapproche. Toutefois, il y a trois voies que l’on peut utiliser de manière générale, indique le Pr Ouimet.
1) L’information. « On peut donner à la personne des informations : “Écoute, tu arrives régulièrement en retard ou tu t’emportes ou tu agresses verbalement certains collègues, et cela n’est pas toléré. Je tiens à te le rappeler”. On présente des faits : tel incident s’est passé mardi matin à 10 heures en pleine réunion. On espère faire prendre conscience à la personne que son comportement est excessif et qu’elle a dépassé les bornes. »
2) La facilitation. On peut inviter la personne qui a eu un comportement excessif à nous parler. On peut lui dire : « J’aimerais savoir ce qui t’a fait réagir mardi matin. Pourquoi t’es-tu emporté comme ça ? Qu’est-ce que ta collègue a dit pour que tu te mettes dans cet état. J’aimerais comprendre. » « Là, on entre dans le registre émotionnel. Pour certains, le fait de pouvoir parler de ce qu’ils vivent les aide. Dans ce type d’intervention, on parle très peu. On laisse l’autre s’exprimer. C’est un peu comme enlever quelques billes de bois dans une rivière où il y a un embâcle pour permettre à l’eau de couler. »
3) L’encadrement. « Là, on explique à la personne comment dorénavant les choses vont fonctionner et pourquoi elles vont fonctionner ainsi », dit le Pr Ouimet. On recourt à cette méthode lorsque le dialogue avec la personne n’est pas possible. « Il faut lui dire qu’on s’attend à ce qu’elle s’amende et que sinon il y aura les conséquences suivantes. »
« Il faut éviter de se mettre dans la tête qu’on va changer les gens à la personnalité difficile », indique M. Villeneuve. Le docteur en psychologie préconise, pour sa part, une démarche en trois temps : comprendre que la personne a une personnalité difficile, accepter ce fait et essayer de gérer la situation.
« Si elle avait le choix, la personne n’aurait pas une telle personnalité. Il y a une grande part d’hérédité dans le caractère. » Ce ne sont pas des personnes méchantes, souligne par ailleurs M. Villeneuve. « Elles agissent comme elles le font à cause des peurs qu’elles vivent et de leur perception du monde. Pour elles, la façon dont elles gèrent leur comportement et leurs émotions est la meilleure. Leurs traits de caractère sont inadaptés. »
Cependant, même si les proches et les compagnons de travail peuvent comprendre ce que vit la personne, la situation n’est pas facile pour eux. M. Villeneuve le reconnaît. « Quand on côtoie quelqu’un comme ça, il y a une phase d’acceptation. Il va falloir jusqu’à un certain point tolérer et respecter la personnalité de cette personne. »
Mais cela ne signifie pas de jeter l’éponge. Si la personnalité se change difficilement, le comportement, lui, peut être corrigé. « On peut amener les personnes difficiles à modifier certaines de leurs manières d’agir en leur faisant prendre conscience des effets de leur attitude », indique M. Villeneuve, également consultant.
Alors, comment intervenir au travail quand un employé à la personnalité difficile a une conduite désagréable ? « Son patron doit essayer d’être le plus clair possible en lui faisant voir les répercussions de son comportement sur les autres. Il faut être très concret : quand tu fais ceci avec telle personne ou quand tu agis comme ça avec la clientèle, voici les effets que cela a. »
Une bonne gestion du personnel est particulièrement importante dans les milieux de travail des personnes difficiles. Le supérieur doit établir des règles claires qu’il communique à toute l’équipe et les faire respecter. « Après ça, que les gens aient une personnalité difficile ou pas, ça ne fait plus de différence. Les règles sont les mêmes pour tout le monde. »
Il ne faut surtout pas céder sur des principes importants comme le respect des autres. « Les personnalités passives agressives ont beaucoup de difficulté à tolérer l’autorité. Elles vont souvent rouspéter, parler dans le dos, etc. On ne doit pas fermer les yeux en se disant qu’il faut comprendre ces personnes-là, parce qu’elles ont une personnalité difficile. »
Toutefois, il ne faut pas non plus tomber dans l’autre extrême et se montrer plus sévères avec elles. « Ces gens-là ont le droit qu’on suive les mêmes règles de base de gestion que l’on suivrait si elles n’avaient pas une personnalité difficile », affirme M. Villeneuve.
Parfois, la personne difficile peut éclater. Il ne faut alors jamais s’emporter. « Le calme, c’est l’arme privilégiée pour intervenir avec succès, indique le Pr Ouimet. Il faut toujours garder son calme, même si la personne fait une crise ou se met en colère. Il faut rester calme, mais ferme. Lorsqu’on dit quelque chose, on le maintient. »
Mais que peuvent faire les compagnons de travail d’une personne difficile ? Ils n’ont aucune autorité sur elle. Aucun pouvoir. « Il faut faire savoir à la personne difficile que lorsqu’elle fait ceci ou dit cela, cela nous dérange, conseille M. Villeneuve. Il ne faut pas la laisser nous monter sur la tête. Il faut prendre notre place et lui dire que l’on n’accepte pas sa manière d’agir. On doit lui montrer les effets négatifs que son comportement a sur nous et mettre des limites. S’il n’y a pas de changement, il faut monter plus haut. »
Lorsque la tempête est terminée, si on a un lien de confiance avec la personne difficile, on peut lui conseiller de consulter un psychologue. « Vous allez ainsi non seulement gérer la situation, mais peut-être qu’en plus vous allez aider cette personne à améliorer sa qualité de vie », indique M. Villeneuve. Il faut toutefois se garder de jouer soi-même au psychothérapeute. « Vous allez vous épuiser, et il y aura probablement peu de modifications dans son comportement. »
Bien des personnes difficiles sont conscientes de leur caractère. « Très souvent, elles vont vous le dire : “Je sais que je ne suis pas facile, mais je ne peux pas faire autrement. Je travaille fort là-dessus. Parfois, je me rends compte après de ce que j’ai fait et je ne sais pas comment réparer les pots cassés” », mentionne le consultant.
« On doit toujours essayer de traiter les gens à la personnalité difficile avec humanisme et respect. Il faut tenter de leur venir en aide, car fondamentalement ce sont des gens qui souffrent. Ils sont atteints d’un trouble qui, dans certains cas, est grave. » – Pr Gérard Ouimet |
Certains gestionnaires, peu tolérants, pourraient envisager une solution radicale à l’égard d’un employé au tempérament désagréable : le congédiement. Toutefois, on ne peut pas mettre quelqu’un à la porte simplement à cause de sa personnalité. « Il faut démontrer que la personne n’est pas capable de faire son travail. Il faut donc constituer un dossier, indique M. Villeneuve. On doit donner des avertissements verbaux, puis écrits. »
Il y a une grande différence entre la gestion des personnes difficiles efficaces et celle des personnes inefficaces, indique le docteur en psychologie. Il est plus facile de traiter avec celles qui travaillent bien, parce qu’elles sont mieux acceptées par l’équipe. « Lorsque la personnalité difficile de l’employé amène une sous-performance, très souvent cela finit par une mise à pied. »
M. Villeneuve a souvent eu l’occasion de rencontrer des gestionnaires expérimentés qui ont eu sous leurs ordres des personnes difficiles. Tous reconnaissaient que l’expérience avait été éprouvante. « Mais souvent, ils m’ont dit que cela les avait amenés à devenir de meilleurs gestionnaires. Ces employés difficiles les avaient forcés à être plus empathiques, plus humains et plus tolérants. Ils m’ont dit : “Avant, j’étais un gestionnaire très rapide sur la gâchette, qui donnait constamment des ordres, qui écoutait peu ses subalternes, qui jugeait rapidement”. C’est en travaillant avec un employé à la personnalité difficile qu’ils ont appris à user de patience, à mieux communiquer, à mieux faire passer leur message. Ils ont acquis des compétences qui leur ont servi avec tous leurs autres subalternes. » //