l’expérience des premiers médecins
Comment se sont passés les premiers essais de l’accès adapté au Québec ? Cinq chercheuses, dont Mme Isabelle Paré de la FMOQ, se sont penchées sur ces expériences et ont publié leurs résultats dans une revue internationale.
En 2011 et en 2012, deux premiers groupes d’omnipraticiens ont suivi la formation sur l’accès adapté donnée par la FMOQ et le ministère de la Santé et des Services sociaux. Comment s’est ensuite déroulée l’implantation de ce système pour ces pionniers ? Quels éléments ont joué dans leur réussite ou leur échec ? Quel effet a eu l’accès adapté sur leur pratique, leurs collègues et leurs patients ?
Pour le savoir, cinq chercheuses, dont Mme Isabelle Paré, conseillère-cadre en politique de santé à la FMOQ, ont interrogé vingt-et-un médecins des deux premières cohortes. Elles ont évalué que, parmi eux, seize cliniciens avaient réussi le passage à l’accès adapté et se conformaient aux cinq principes de base (encadré).
L’une des clés du succès de ces médecins a été leur collaboration avec une infirmière, révèle l’étude qui vient d’être publiée dans The International Journal of Health Planning and Management1. « Un élément qui a été mentionné par la plupart des médecins était la mise sur pied d’une pratique partagée avec les infirmières, que ce soit pour les patients atteints de maladies chroniques, le suivi de femmes enceintes ou d’autres clientèles », indique l’article. Les cinq médecins qui n’ont pas réussi à fonctionner en accès adapté, eux, ont tous affirmé ne pas avoir disposé de suffisamment de temps avec l’infirmière. Ils devaient partager ses services avec un trop grand nombre de collègues.
Les secrétaires sont également l’un des piliers de l’accès adapté. Les médecins de famille interrogés ont affirmé qu’elles avaient dû acquérir de nouvelles compétences. Il leur a fallu, par exemple, apprendre à évaluer la raison de la demande de consultation pour donner aux patients un rendez-vous au moment adéquat. Bien des cliniciens ont estimé qu’il était important de passer du temps avec elles pour bien le leur enseigner. « Dans certains cas où l’accès adapté n’a pas fonctionné, la secrétaire n’a pas accepté le système ou ne le comprenait pas », précise Mme Paré, docteure en science politique.
En accès adapté, les confrères peuvent par ailleurs être d’une grande aide. Un peu plus de la moitié des omnipraticiens qui ont adopté cette méthode ont conclu une entente avec un de leurs collègues. « L’un prend les patients de l’autre ou vérifie ses résultats de laboratoire pendant ses vacances », explique la chercheuse.
Un contexte particulier a favorisé le passage des médecins de famille à l’accès adapté. Les patients étaient excédés des longs temps d’attente avant d’avoir un rendez-vous. Les critiques pleuvaient dans les médias. Les médecins eux-mêmes jugeaient la situation intenable. Par ailleurs, la possibilité de suivre une formation pour régler ces problèmes s’offrait à eux.
Les premiers médecins qui ont suivi les ateliers sur l’accès adapté ont eu un effet d’entraînement, ont constaté les chercheuses. « Ces leaders sont devenus des moteurs de changement. Ils ont contribué, par leur expérience et leur satisfaction, à diffuser cette façon de faire auprès de leurs collègues », affirme Mme Paré. Ils ont d’ailleurs souvent été des mentors pour leurs confrères.
La transition ne s’est pas faite sans difficulté. « Adopter les principes de l’accès adapté demande de planifier le changement, d’avoir temporairement une charge de travail supplémentaire, d’accroître le rôle des autres professionnels et de modifier sa pratique clinique entre autres en réduisant substantiellement le nombre d’examens physiques annuels de certaines clientèles », indique l’étude.
Les efforts en valaient toutefois la peine. Les omnipraticiens interviewés affirment qu’ils peuvent maintenant répondre aux demandes de consultation plus rapidement. « La principale satisfaction, c’est que nous voyons des gens malades ! Nous ne faisons donc pas que suivre des patients en bonne santé ou des gens qui viennent pour leur examen annuel et qui vont ailleurs quand ils ont un problème », a indiqué l’un des répondants. Les patients sont eux aussi plus satisfaits, tout comme les secrétaires qui peuvent donner rapidement des rendez-vous.
La seule inquiétude concerne certains patients vulnérables. Plusieurs semblent mal s’adapter à un système où ils doivent eux-mêmes appeler pour voir le médecin deux semaines plus tard. « Nous avons probablement perdu un certain nombre de patients vulnérables qui, quand on leur disait de venir, venaient. Toutefois, comme nous ne les appelons plus, ils ne viennent pas », a expliqué un médecin. Pour éviter ce problème, qui n’est cependant pas généralisé, un autre clinicien interviewé demande à sa secrétaire d’appeler les patients vulnérables qui ne sont pas venus depuis un an pour leur proposer un rendez-vous.
De nombreux omnipraticiens ont maintenant adopté l’accès adapté au Québec. La FMOQ a envoyé, en janvier dernier, un sondage électronique à 6606 omnipraticiens en première ligne. Parmi les 1380 répondants, 69 % avaient adopté cette méthode. « C’était une pratique nouvelle, car 57 % d’entre eux y avaient adhéré depuis un an ou moins », explique Mme Paré.
Par ailleurs, parmi les 430 répondants qui n’utilisaient pas l’accès adapté, 83 % ont néanmoins apporté des aménagements à leur horaire pour être plus accessibles pour leurs patients. Le quart comptait d’ailleurs adopter l’accès adapté au cours des six prochains mois.
Fait intéressant, plus de 80 % des médecins qui étaient en accès adapté ou avaient assoupli leur horaire prenaient de nouveaux patients, contrairement à environ 25 % de ceux qui n’avaient fait ni l’un ni l’autre. Ces derniers étaient par ailleurs plus nombreux à être moins satisfaits de leur pratique. //
1. Breton M, Maillet L, Paré I et coll. Perceptions of the first family physicians to adopt advanced access in the province of Quebec, Canada. Int J Health Plann Mgmt. Version électronique publiée à l’avance le 8 septembre 2016.