Éditorial

Publicité outrancière

Louis Godin  |  2016-11-24

Comme beaucoup de médecins, j’ai été profondément indigné et outré par le contenu d’une récente publicité de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). On y voit une infirmière évaluer un jeune enfant, conclure qu’elle sait ce qu’il a, pour ensuite l’abandonner sur la table d’examen, seul et sans aucun encadre­ment, dans l’attente d’un médecin qui ne viendra jamais. Quel portrait fallacieux, qui dépeint une situation fort loin de la réalité quotidienne dans les cliniques médicales du Québec !

Une telle publicité, à un moment où les médecins et les infirmières de première ligne sur le terrain font actuellement d’incroyables efforts pour améliorer l’accessibilité aux soins, a de quoi surprendre et choquer. Médecins et infirmières apprennent de plus en plus à travailler en équipe et en complémentarité selon leurs compétences respectives, pour le grand bénéfice de nos concitoyens. Dans ce contexte, cette publicité est outrageante, car elle ne témoigne d’aucun respect pour ces efforts et oppose sans gêne médecins et infirmières.

De plus, permettez-moi d’avouer ma stupéfaction de voir l’OIIQ consacrer autant d’énergie à dénigrer indirectement la profession médicale plutôt qu’à mettre à l’avant-plan le travail extraordinaire effectué tous les jours partout au Québec par les infirmières. À l’ère de l’interprofessionnalisme, tout devrait pourtant unir les médecins et les infirmières. Il est donc dommage de voir l’OIIQ se poser en diviseur. De plus, je ne peux passer sous silence notre malaise supplémentaire par rapport au choix de l’OIIQ d’utiliser un enfant potentiellement souffrant pour tenter de convaincre les téléspectateurs du bien-fondé de son lobbying et de ses revendications professionnelles. Nous trouvons ce choix particulièrement regrettable et déplacé.

À noter, par ailleurs, que même si le Règlement sur la prescription infirmière, en vigueur depuis le 11 janvier, a tranché sur l’étendue du pouvoir de prescription infirmière et qu’on ne saurait affirmer que la science a évolué dramatiquement depuis ce temps, la publicité suggère de façon insidieuse qu’un élargissement du champ d’exercice des infirmières permettrait de pallier les problèmes d’accessibilité en soins de première ligne. L’OIIQ tente ainsi d’induire les citoyens en erreur en leur faisant croire à une véritable solution alors que, de son propre aveu, les effectifs infirmiers en première ligne sont insuffisants et qu’il est primordial de les augmenter. C’est du moins ce qu’on peut conclure à la lecture du Rapport statistique sur l’effectif infirmier 2014-2015 de l’OIIQ. Ce rapport spécifie que les effectifs infirmiers en soins de première ligne croissent moins rapidement que ceux d’autres domaines et que la proportion d’infirmières qui exercent dans ce domaine n’atteint toujours pas 20 %, « alors qu’un virage vers ce type de soins devient incontournable pour augmenter l’accessibilité aux soins et répondre de manière adaptée aux besoins de santé d’une population vieillissante aux prises avec de multiples maladies chroniques », y affirme-t-on. En conséquence, c’est d’abord et avant tout le nombre d’infirmières qu’il faut accroître si l’objectif poursuivi est véritablement celui d’améliorer l’accessibilité.

De plus, il est manifeste que les infirmières, étant donné leur nombre restreint, ne peuvent tout faire. Des choix sont donc nécessaires, et les activités infirmières ayant la plus grande plus-value pour la population, soit les contributions au suivi des patients atteints de maladies chroniques et les activités de promotion et de prévention de la santé, doivent ainsi être privilégiées. Or, l’exercice de ces activités ne requiert aucun élargissement du champ d’exercice, contrairement à ce qu’évoque la publicité.

Les médecins omnipraticiens québécois croient en des modèles d’organisation de services de première ligne fondés sur une saine et véritable collaboration interprofessionnelle. La FMOQ continuera donc de promouvoir des concepts d’équipes en matière de services de première ligne. Malheureusement, force est de constater que l’OIIQ semble militer de son côté pour un travail en silo qui, de toute évidence, ne représente pas la meilleure option pour les patients. Dommage !

Le 16 novembre 2016

 

 

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Le président, Dr Louis Godin