Gestion pratique

Et l’examen annuel, docteur ?

Isabelle Paré, Manon Proulx, Marylène Dussault et André Munger  |  2016-02-29

Combien de fois avez-vous trouvé un cancer en auscultant les poumons d’un patient sans symptômes ou convaincu un patient en bonne santé d’arrêter de fumer ? Si rarement en fait que vous remettez en question la pertinence de ces actes effectués dans le cadre du « rendez-vous annuel ».

Mme Isabelle Paré est conseillère en politique de santé et chercheuse à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Elle est titulaire d’un doctorat (Ph. D.) en science politique. La Dre Manon Proulx, omnipraticienne, exerce au GMF Vaudreuil-Soulanges et à l’UMF de Verdun. La Dre Marylène Dussault, omnipraticienne, pratique à la clinique médicale du Plateau-Marquette et le Dr André Munger, omnipraticien, pratique au GMF des Grandes-Fourches.

L’avènement de l’assurance maladie en 1970 marque un tournant important non seulement en ce qui a trait à l’accessibilité aux soins de santé pour les Québécois, mais aussi à la pratique de la médecine. La nouvelle génération de médecins qui exercent alors dans le système public intègre la prévention de la santé, la promotion de saines habitudes de vie et le dépistage de maladie à leur pratique de première ligne.

Désormais, les patients malades ne seront pas les seuls à consulter le médecin. Ceux en bonne santé bénéficieront aussi des conseils de prévention. L’objectif était des plus nobles : voir et garder les patients en santé !

Voilà déjà trois ans, la revue Protégez-vous, dans son numéro de février 2013, remettait en question la pertinence de l’examen annuel en citant des médecins pour qui l’examen annuel mène souvent à une « panoplie de tests pouvant conduire à la surévaluation et engendre ainsi un gaspillage de ressources ».

En 2015, le Collège des médecins du Québec a remplacé l’examen médical périodique par la Fiche de prévention clinique. Ce changement s’arrime à l’accès adapté dans le cadre duquel les éléments de prévention propres à chaque patient se font au moment des consultations des patients et peuvent même être fractionnés au sein de différentes visites.

Ce qui est au cœur de ces changements est la notion du « médicalement requis ». Dans un contexte de pénurie de médecins de famille, force est de remettre en question les pratiques et de reconnaître que les patients québécois n’ont pas tous un problème qui justifie une visite annuelle et des analyses de laboratoire.

Comment faire autrement ? Comment changer une pratique bien établie ? Voici quelques indications.

Intégrer les éléments de prévention aux visites des patients

L’examen périodique s’imposera pour certains patients que vous ne voyez pas souvent. Un examen à date fixe pour la jeune femme de 25 ans est approprié. Ce qui ne l’est pas, c’est de la voir tous les ans. En fait, aucune donnée probante ne justifie un test de dépistage annuel pour tous les groupes d’âge. Il est donc permis d’espacer les visites aux deux à cinq ans, selon le patient, afin de procéder aux examens de prévention appropriés.

Profitons du moment pour clarifier une confusion relativement à un patient dont le dossier est inactif. Un dos­sier inactif est un dossier dans lequel il n’y a eu ni inscription ni insertion depuis au moins cinq ans. Ce dossier peut être détruit. Mais la destruction de ce dossier ne met pas un terme pour autant à votre relation avec ce patient. Vous demeurez son médecin ! Vous aurez compris qu’un patient n’a pas à vous voir chaque année pour avoir le privilège de demeurer votre patient. Quant aux forfaits d’inscription qui deviennent inactifs (36 mois pour un patient non vulnérable et 12 mois pour un patient vulnérable), le forfait sera réactivité lorsque le patient reviendra vous voir. Encore ici, que le forfait devienne inactif ne signifie nullement la fin de votre relation avec votre patient. Ce que cela dit, c’est que votre patient semble bien se porter et n’a pas besoin de vous voir.

Pour les patients qui nécessitent un suivi plus constant, il sera judicieux de greffer des éléments de prévention et de dépistage à chacune des visites plutôt que de monopoliser une visite exclusivement pour cela. Votre patiente est en dépression ? Vous profiterez de ses différentes visites pour faire le suivi nécessaire. La prévention et le dépistage pourront aussi s’intégrer aux suivis fréquents des patients atteints de maladies chroniques. Vous l’aurez compris, rien ne justifie un examen chaque année ! Il est important d’informer vos patients lorsque vous intégrez des éléments de prévention. De fait, un homme qui vous consulte pour une bronchite pourra trouver bizarre que vous lui proposiez d’examiner sa prostate ! Infor­mer les patients évitera également que ceux-ci prennent un rendez-vous pour un examen annuel alors que vous l’avez déjà fait.

Parmi les différentes stratégies visant à espacer les vi­si­tes non médicalement requises se trouve celle de la durée des ordonnances. Tous les médicaments, sauf les benzodiazépines, les anxiolytiques et les psycho­stimulants, peuvent être prescrits pendant 24 mois si un patient est stable. Afin d’augmenter la pertinence des visites de vos patients, planifiez également les examens de laboratoire utiles et les examens d’imagerie avant la consultation. Vous aurez ainsi des résultats précieux à transmettre à votre patient lorsque vous l’aurez en face de vous, ce qui augmentera la pertinence de la consultation. D’autres analyses s’imposent ? Le patient retournera les faire. Pensez également à remettre les requêtes potentiellement requises à vos patients. Une patiente a une hypothyroïdie ? Remettez-lui une requête qui lui permettra de faire les analyses de labo si elle sent que sa thyroïde lui joue des tours. Enfin, prévoyez les autotraitements d’urgence (cystites, plan d’action de la BPCO et de l’asthme, vaginites) afin d’éviter qu’un patient vienne vous voir pour un problème dont le diagnostic est clair pour lui.

Nouvelle nomenclature

La facturation actuelle peut constituer un frein pour in­ci­ter les médecins à fractionner l’examen périodique. Effec­ti­ve­ment, toutes les exigences actuelles pour réclamer un examen doivent être satisfaites en même temps. Un médecin ne peut fractionner les éléments d’un examen complet majeur sur deux ou trois rendez-vous. S’il veut réclamer un tel examen, il devra, au moment de la consultation, avoir effectué les différents éléments exigés.

La nouvelle nomenclature en cabinet et à domicile ne reposera pas sur les exigences actuelles. Sous réserve des discussions en cours à ce sujet, le médecin traitant pourra réclamer une visite de suivi lors des contacts cliniques avec un patient au cours de laquelle il effectuera les services dont ce patient a besoin. Cette visite pourra comprendre un examen, un plan d’évaluation ou de traitement, des ordonnances ou des échanges avec le pa­tient ou ses proches, en fonction de ce qu’exige la situation. De tels libellés devraient se prêter plus facilement à une utilisation dans le cadre de l’accès adapté.

La visite périodique pourra être réclamée une fois par année par le médecin traitant d’un patient vulnérable lorsque la visite visera à évaluer l’évolution de l’état du patient vulnérable et à mettre à jour son plan de traitement. Un examen du patient, selon ce qu’exige la si­tuation, et la mise à jour du plan de traitement devront donc être effectués lors de la visite.

Changement

Certains de vos patients tiennent mordicus à leur examen annuel ? L’Association médicale canadienne a préparé un document qui explique clairement quand un examen doit être ef­fec­tué. N’hésitez pas à afficher ce document dans votre salle d’attente. Les patients doivent être sensibilisés et éduqués à ce sujet. En recentrant votre pratique sur la Fiche de prévention clinique du Collège, vous contribuerez à libérer des plages horaires occupées par des personnes en bonne santé au profit de patients malades qui ont besoin de vous voir. //

Nous remercions le Dr Michel Desrosiers pour les informations sur la nouvelle nomenclature.