Dossiers spéciaux

Épidémie de diabète de type 2

chiffres, prédiabète et podomètre

Emmanuèle Garnier  |  2016-04-26

À 45 ans, on a tous au moins une chance sur deux d’être un jour atteint du diabète de type 2. Comment échapper à la maladie ? Certaines études sur le recours à un podomètre ou à une équipe interdisciplinaire ouvrent des perspectives intéressantes.

Dr Ekoé

Les médecins connaissent la menace depuis longtemps. Les patients, eux, ne voient souvent pas le péril qui les guette. Cependant, là, les chiffres sur le diabète de type 2 sont frappants. Une personne normoglycémique de 45 ans a une chance sur deux de devenir un jour prédiabétique, selon une nouvelle étude1. Presque une sur trois deviendra diabétique. Et une sur dix aura à s’injecter un jour de l’insuline.

La menace a été quantifiée dans une importante étude publiée dans le Lancet Diabetes and Endocrinology. Dans cette recherche, menée aux Pays-Bas, 10 050 habitants de 45 ans et plus d’un district de Rotterdam ont été suivis pendant 15 ans, de 1997 à 2012. La cohorte, très homogène, était composée de 93 % de personnes de race blanche.

Les auteurs de l’étude, le Dr Symen Ligthart et ses collaborateurs, se sont servis de différents moyens pour vérifier le diagnostic de prédiabète* et de diabète des sujets : dossiers médicaux des médecins de famille, documents de sortie de l’hôpital et mesures de la glycémie effectuées tous les quatre ans au cours de la recherche.

Tableau

Les chercheurs ont calculé qu’à l’âge de 45 ans, les su­jets dont la glycémie était normale présentaient un risque de (tableau) :

h 48,7 % d’avoir un jour le prédiabète (intervalle de confiance à 95 % [IC ] : 46,2-51,3) ;

h 31,3 %, de souffrir du diabète (IC : 29,3-33,3) ;

h 9,1 %, d’avoir à prendre de l’insuline (IC : 7,8-10,3).

Les patients déjà prédiabétiques à la mi-quarantaine avaient 74 % de risque de devenir diabétiques au cours du reste de leur vie (IC : 67,6-80,5). Et les diabétiques avaient une probabilité de 49,1 % de devoir un jour recourir à l’insuline (IC : 38,2-60,0).

Le risque à l’âge de 45 ans croissait avec l’indice de masse corporelle (IMC) et le tour de taille. À partir d’un IMC de 35 kg/m2, le risque de prédiabète grimpait à 71,3 % et celui de diabète, à 56,6 %. « En moyenne, les personnes atteintes d’une importante obésité vivaient dix ans de moins sans anomalie de la glycémie que celles qui avaient un poids normal », indiquent les auteurs.

Même les personnes minces sont menacées. Les participants dont l’IMC était inférieur à 25 kg/m2 avaient un risque de 36,9 % de devenir un jour prédiabétiques et de 18,8 % de devenir diabétiques. Chez eux aussi, les facteurs de risque devaient être maîtrisés, soutiennent les chercheurs.

« Les chiffres sont assez frappants, reconnaît le Dr Jean-Marie Ekoé, endocrinologue au Centre hospitalier de l’Uni­ver­sité de Montréal (CHUM) et professeur titulaire à l’Université de Montréal. C’est une bonne étude qui mérite de retenir l’attention. On peut soupçonner qu’elle comporte un biais de sélection, mais le grand nombre de sujets atténue un peu ce problème. »

Les données néerlandaises ont, par ailleurs, le mérite d’être faciles à comprendre. Elles peuvent même servir d’outil de communication avec les patients. « Le fait de communiquer aux gens susceptibles de devenir diabétiques leur risque constitue une question importante », estiment dans leur éditorial, le Dr Kamlesh Khunti et ses collègues de l’Hôpital général Leicester, au Royaume-Uni2. Selon certaines études, expliquent-ils, les patients préfèrent le type d’estimation utilisée dans l’étude néerlandaise aux évaluations du risque sur dix ou vingt ans.

Le prédiabète : une étape clé

L’étude de Rotterdam souligne l’étape clé qu’est le prédiabète. Un patient de race blanche qui, à 45 ans, atteint ce stade a une probabilité de 74 % de devenir diabétique. « Ce qui est intéressant dans cette recherche, c’est qu’elle montre, chiffres à l’appui, à quel point il est important d’intervenir tôt, explique le Dr André Bélanger endocrinologue et médecin-conseil en maladies chroniques auprès de l’équipe de transition de la réforme en santé, à Montréal et en Montérégie. Une hyperglycémie, même légère, est toxique pour les cellules qui sécrètent de l’insuline. C’est comme si, à partir du moment où l’on est prédiabétique, une sorte de cercle vicieux se crée et accélère l’apparition du diabète. »

Le prédiabète est en lui-même une affection importante, souligne pour sa part le Dr Ekoé. « Ce que l’on conseille actuellement, c’est de le détecter non seulement pour prévenir le diabète, mais surtout pour traiter les facteurs de risque de maladies cardiovasculaires. » Alors de garde, l’endocrinologue a eu à rencontrer au cours de la semaine des patients hospitalisés pour une intervention cardiaque. « La plupart sont non pas diabétiques, mais prédiabétiques et ont déjà des complications coronariennes, des sténoses aortiques. »

Heureusement, il est possible d’intervenir. Certaines mesures préventives fonctionnent. « Deux études, une finlandaise et une américaine3, ont montré que si l’on applique de façon systématique des mesures de prévention comme l’exercice physique et la modification de l’alimentation chez des patients présentant une intolérance au glucose, on diminue d’environ 60 % le risque d’apparition du diabète par rapport à un groupe témoin en trois ans. C’est énorme », indique l’endocrinologue du CHUM.

Dans ce type d’essais cliniques, toutefois, le programme de changement des habitudes de vie est assez exigeant. Les patients de l’étude américaine, par exemple, devaient avoir perdu au moins 7 % de leur poids et faire au moins deux heures et demie d’activité physique par semaine. Ils disposaient cependant d’un encadrement élaboré : seize cours individuels et personnalisés sur l’alimentation, l’exercice et les modifications pendant les vingt-quatre premières semaines, puis des rencontres individuelles subséquentes et des réunions de groupe.

« Le problème, c’est que la mise sur pied de ces programmes de prévention est compliquée. Toutes ces études se font dans un milieu artificiel. C’est pratiquement impossible d’obtenir d’un patient, dans la vie de tous les jours, qu’il maintienne une perte de poids de plus 7 % et fasse 150 minutes d’activité physique par semaine pendant trois ans », soutient le Dr Ekoé.

Podomètre et ordonnances

Dre Karen

Il existe peut-être des moyens plus simples d’aider les patients. Interniste et chercheuse au Centre universitaire de santé McGill, la Dre Kaberi Dasgupta termine un essai clinique original qui repose sur deux outils : un podomètre et des ordonnances médicales prescrivant un nombre de pas à effectuer.

L’étude SMARTER, Step Monitoring to improve ARTERial health, porte sur 347 pa­tients diabétiques ou hypertendus, peu actifs, obèses ou ayant de l’em­bonpoint. Suivis dans différents hôpi­taux de Montréal, les sujets voient normalement leur médecin trois ou quatre fois par année. Ils ont été répartis de manière aléatoire en deux groupes. Dans le premier, les patients continuaient à avoir leurs consultations habituelles avec leur clinicien. Celui-ci leur recommandait donc simplement de faire de trente à soixante minutes d’exercice par jour.

Dans l’autre moitié du groupe, les participants recevaient un podomètre et devaient noter quotidiennement leur nombre de pas. Chaque fois qu’ils voyaient leur médecin, celui-ci leur proposait une nouvelle cible à atteindre. L’objectif était d’amener en un an le sujet à effectuer au moins 3000 pas de plus par jour. L’équivalent approximatif d’une marche de trente minutes.

« Les patients diabétiques et hyper­tendus font en général entre 4000 et 5000 pas quotidiennement, ce qui est peu. L’idéal, c’est d’en faire 10 000, mais 8000 pour des personnes diabétiques, c’est bien », précise la Dre Dasgupta, également professeure agrégée à l’Université McGill.

Dre Rosenburg

À chaque consultation, le médecin vérifiait si la cible avait été atteinte. « Si cela avait été difficile, on explorait pourquoi, explique la Dre Ellen Rosenberg, médecin de famille au Centre hospitalier de St. Mary et deuxième auteure de l’article décrivant le protocole de l’étude4. L’hiver, certaines personnes âgées ne veulent pas sortir à cause de la neige ou de la glace. Je leur disais qu’il y avait d’autres options. “Avez-vous la possibilité de marcher à l’intérieur ?” Je demandais au patient de me décrire sa journée, ce qu’il faisait, ce qui l’empêchait d’effectuer telle activité. »

Ensuite, le médecin fixait avec le participant le nombre de pas à atteindre la prochaine fois et rédigeait une ordonnance. « Nous faisions une prescription pour donner à la marche la même importance qu’aux médicaments », précise la Dre Dasgupta.

La chercheuse a elle-même suivi quelques sujets de l’étude. « J’ai noté que, pour les patients, un nombre de pas à atteindre est un objectif plus acceptable qu’un nombre de kilos à perdre. Le patient est actif, écrit son nombre de pas et peut atteindre le but. Certains se surprennent de pouvoir y parvenir. »

La figure que représente le médecin joue un rôle clé dans l’intervention. « Beaucoup de nos groupes de discussion nous ont révélé que pour rester actifs, les gens ont besoin de quelqu’un à qui rendre des comptes et à qui montrer leurs résultats, même dans le cas d’activités peu structurées comme la marche », mentionne la chercheuse.

Cette formule reposant sur un podomètre et des ordonnances semble pratique. Elle nécessite un petit appareil qui ne coûte pas nécessairement très cher ; ceux de l’étude valaient entre 20 $ et 30 $. Et elle n’allonge pas vraiment le temps de la consultation. « Probablement que je passais un peu plus de temps à parler d’activité physique et un peu moins, de sujets généraux », indique la Dre Rosenberg, également professeure adjointe à l’Université McGill. Toutefois, ce type d’intervention ne convient pas à tous les patients. Quelques participants de l’étude se sont montrés peu intéressés par cette méthode.

L’étude SMARTER va par ailleurs au-delà de l’augmentation du nombre de pas. Son principal objectif : vérifier si l’emploi du podomètre et des ordonnances réduit au bout d’un an la rigidité des artères comparativement au suivi médical habituel. Le durcissement des vaisseaux est un marqueur associé à un risque accru de maladies vasculaires et de complications.

Outre l’accroissement de l’activité physique, les chercheurs ont également mesuré les changements sur le plan des facteurs de risque vasculaire, de la prise de médicaments, du poids, de la glycémie, de la pression sanguine et du taux de cholestérol. La Dre Dasgupta et son équipe sont sur le point de commencer l’analyse des résultats.

Encadré

N’importe qui peut devenir diabétique

Comment aborder avec un patient la question de l’amélioration des habitudes de vie ? Les données de l’étude néerlandaise peuvent être une bonne introduction, selon la Dre Dasgupta. Que ce soit avec un patient normoglycémique dans le milieu de la quarantaine qui n’a aucune inquiétude concernant le diabète. Ou encore avec un diabéti­que qui ne veut à aucun prix avoir à s’injecter de l’insuline.

De bonnes habitudes de vie peuvent prévenir et même inverser l’hyperglycémie chronique. « Quand on a le prédiabète, on peut revenir à la normale, bien que l’affection puisse réapparaître. Même quand on est diabétique, on peut revenir au prédiabète, et même à une glycémie normale. Il faut cependant travailler très fort, et cela va devenir de plus en plus difficile avec le temps. » Mais une patiente de la Dre Dasgupta y est parvenue.

L’étude néerlandaise peut également réduire le sentiment de marginalisation qu’éprouvent parfois les diabétiques et les prédiabétiques. « Elle permet de montrer au patient qu’il n’est pas seul dans sa situation. Honnêtement, n’importe qui d’entre nous peut devenir diabétique, affirme la spécialiste. C’est une réalité qui vient de la manière dont nous vivons et du fait que nous vivons plus vieux. » //

Bibliographie

1. Ligthart S, van Herpt TT, Leening MJ et coll. Lifetime risk of developing impaired glucose metabolism and eventual progression from prediabetes to type 2 diabetes: a prospective cohort study. Lancet Diabetes Endocrinol 2016 ; 4 (1) : 44-51. DOI : 10.1016/S2213-8587(15)00362-9.

2. Khunti K, Bodicoat DH, Davies MJ et coll. Type 2 diabetes: lifetime risk of advancing from prediabetes. Lancet Diabetes Endocrinol 2016 ; 4 (1) : 5-6. DOI : 10.1016/S2213-8587(15)00394-0.

3. Knowler WC, Barrett-Connor E, Fowler SE et coll. Reduction in the incidence of type 2 diabetes with lifestyle intervention or metformin. N Engl J Med 2002 ; 346 (6) : 393-403.

4. Dasgupta K, Rosenberg E, Daskalopoulou SS. Step Monitoring to improve ARTERial health (SMARTER) through step count prescription in type 2 diabetes and hypertension: trial design and methods. Cardiovasc Diabetol 2014 ; 13 : 7. DOI : 10.1186/1475-2840-13-7.

5. Yang W, Lu J, Weng J et coll. Prevalence of diabetes among men and women in China. N Engl J Med 2010 ; 362 (12) : 1090-101. DOI : 10.1056/NEJMoa0908292.