nouveautés : dossiers électroniques et registres supplémentaires
Les dossiers médicaux électroniques doivent répondre à bien des normes, mais le Collège des médecins du Québec n’avait pas encore présenté les siennes. C’est ce qu’il vient de faire dans l’un de ses nouveaux règlements qui entrera en vigueur à l’automne.
Bientôt, tous les médecins de famille devront utiliser un dossier médical électronique (DME). Le nouveau règlement du Collège des médecins du Québec, qui entrera en vigueur à l’automne, en imposera l’emploi dans les cabinets. Toutefois, les cliniciens auront trois ans pour se conformer à cette nouvelle directive.
« Le recours à un DME devient de plus en plus une norme de pratique. On n’a qu’à regarder dans les autres provinces canadiennes et aux États-Unis : il n’y a plus de dossier papier. C’est fini. On est même un peu en retard de ce côté-là », explique le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins du Québec (CMQ).
Quelles sont les exigences du CMQ concernant le contenu du dossier électronique ? Elles sont les mêmes que pour le dossier papier : il doit comprendre entre autres les observations médicales, le diagnostic, les ordonnances, selon le nouveau Règlement sur les dossiers cliniques, les lieux d’exercice et la cessation d’exercice d’un médecin.
Toutefois, le passage du papier à l’informatique permet d’accroître certaines normes. Ainsi, les dossiers devront dorénavant être conservés non plus cinq, mais dix ans. « Avec le DME, on a moins de contraintes liées à l’espace physique. On harmonise donc nos normes avec celles du reste de l’Amérique du Nord. Pour ce qui est des dossiers papier, la durée de conservation exigée restera la même : cinq ans », précise le Dr Robert.
La venue des dossiers médicaux électroniques bouleversera, par ailleurs, plus qu’on ne le soupçonne la vie professionnelle du médecin de famille et de son équipe. Par exemple, les règles concernant la responsabilité du dossier clinique vont changer lorsqu’un médecin quittera la clinique. Qu’il déménage ou prenne sa retraite. « Auparavant, c’était le médecin qui était responsable du dossier. Avec les DME, ce ne sera pas lui qui aura la responsabilité du serveur qui contient tous les dossiers. Ce sera la clinique. Le DME n’est plus juste le dossier du médecin, c’est le dossier de l’équipe. » C’est l’outil de l’infirmière, du psychologue, du travailleur social et des autres intervenants.
Le Collège voudrait, éventuellement, que chaque clinique soit dotée d’un directeur médical qui serait entre autres responsable des dossiers informatiques. C’est lui qui s’assurerait de la continuité des soins lors du départ d’un médecin. « Il ne suivrait pas tous les patients, mais devrait s’assurer que ces derniers aient accès à leur dossier et puissent obtenir les services qui lui sont liés. Le suivi pourrait être fait par un autre médecin ou un autre professionnel de la clinique. »
Ce transfert de responsabilité ne va pas sans conséquences. « Il est important de savoir que lorsqu’on accueille un professionnel dans la clinique, c’est toute l’équipe de soins qui devient responsable du suivi de ses patients », prévient le Dr Robert.
Au fil du temps, il deviendra par ailleurs de plus en plus difficile pour les omnipraticiens de pratiquer seuls ou dans de petites équipes. Le secrétaire du Collège en convient. « Les exigences vont faire en sorte que ce sera plus intéressant d’aller dans un grand groupe. »
Le dossier médical électronique va aussi moderniser le monde des inspections professionnelles. L’informatique ouvre de nouvelles possibilités au Collège. « Nous sommes en train de mettre au point, avec les fournisseurs de services de DME, des applications qui nous permettront d’aller chercher les informations que nous demandons habituellement quand nous faisons une inspection professionnelle. Nous pourrions même le faire à distance », indique le Dr Robert.
Le Collège pourrait demander au médecin dont il voudra vérifier la pratique d’avoir accès électroniquement à certains de ses dossiers. Le processus sera en fait le même que lorsque la visite de préinspection est effectuée en personne. « Ainsi, au moment de l’inspection, on n’aurait à vérifier qu’un certain nombre de choses préoccupantes. Mais cela se fera évidemment avec l’accord des médecins. Rien ne sera effectué à leur insu. »
Avec l’autorisation du clinicien, le CMQ pourrait également accéder à certaines fonctions de son DME. « Le médecin peut demander au système de produire des analyses de ses propres dossiers. Il peut ainsi effectuer une réflexion sur sa pratique. Ces éléments-là pourraient éventuellement aussi être utiles au Collège », indique le Dr Robert.
Le CMQ pourrait vérifier, par exemple, si le médecin suit bien les guides de pratique. Hypertension, diabète, dépression, etc. « Cela nous permettrait également de voir ce que cela donne. De cette manière, non seulement on s’intéressera à la façon de pratiquer du médecin, mais aussi aux résultats. Le patient va-t-il mieux finalement ? Car c’est cela l’objectif. On ne pouvait pas aller aussi loin avec les dossiers papier. »
Le Collège est par ailleurs en train de repenser l’inspection professionnelle. « Auparavant, on regardait le dossier, qui ne contenait que les notes du médecin, et on évaluait ce qu’il faisait. Maintenant, il s’agit d’un dossier qui reflète davantage le travail d’une équipe de soins. Mais quelle est la contribution du médecin ? De l’infirmière ? Du pharmacien ? Du travailleur social ? Cela devient plus compliqué. » Le Collège envisage donc de faire des inspections professionnelles d’équipe. « On collaborerait avec l’Ordre des pharmaciens et celui des infirmières pour regarder dans les dossiers non seulement la contribution de chacun des professionnels individuellement, mais aussi l’effet synergique de leur contribution sur le bien-être du patient et de son évolution. On est dans une deuxième, sinon une troisième dimension de l’évaluation de la qualité. »
Quand faut-il s’attendre à tous ces changements ? « On n’y arrivera pas l’an prochain. Mais c’est une perspective qui est facilement imaginable d’ici dix ans », indique le secrétaire du CMQ.
Le nouveau règlement du Collège des médecins du Québec dresse également la liste des registres que doit tenir le médecin. Aux sept qui existaient déjà (encadré), s’ajoutent trois nouveaux.
Le CMQ exige que le DME soit accompagné d’un registre des profils d’accès des différents usagers, qui indiquera les autorisations d’accès et de gestion dont ils disposent. « Il faut que l’on soit capable de savoir qui a accès au dossier, à quel moment et pourquoi », mentionne le Dr Robert.
Le Collège va également exiger des cliniciens un registre de leurs ordonnances collectives. « Cela va forcer le médecin à savoir quelles ordonnances il a signées et à prendre conscience qu’il en est toujours responsable. Mais surtout, cela va lui permettre de les mettre à jour. Sont-elles toujours valables ? Répondent-elles toujours aux normes actuelles ? Les médecins signaient des ordonnances collectives et les oubliaient. Il faut se donner les outils pour en faire le suivi. D’où l’idée du registre. »
Le Collège va d’ailleurs sévir contre certains abus. « On va frapper assez fort », prévient le Dr Robert. Un groupe de travail, qui va bientôt publier un rapport, s’est intéressé à la médecine esthétique. « On a entendu des choses aberrantes où la finalité de l’ordonnance collective a été véritablement détournée à d’autres fins que celles pour lesquelles elle avait été conçue. » Ainsi, de nombreux groupes de professionnels et de non-professionnels n’ont pas hésité à demander à des médecins de signer, contre rémunération, des ordonnances collectives qu’ils n’avaient pas eux-mêmes rédigées. L’objectif était de permettre à des non-médecins de faire des traitements, comme des injections de Botox. « Le médecin qui signait n’avait aucune connaissance dans le domaine de la médecine esthétique. C’était simplement une signature de complaisance. Ça, ce n’est une ordonnance collective ni dans l’esprit ni dans la lettre. »
« Nous sommes est en train de mettre au point, avec les fournisseurs de services de DME, des applications qui nous permettront d’aller chercher les informations que nous demandons habituellement quand nous faisons une inspection professionnelle. Nous pourrions même le faire à distance. » –Dr Yves Robert |
Le troisième registre sera celui des frais demandés aux patients. « Les dispositions du nouveau code de déontologie obligent les médecins à ne pas facturer indûment des frais aux patients et éventuellement à en arriver à facturer au prix coûtant », explique le Dr Robert. Un registre permettra donc au Collège de faire rapidement une vérification. Entre autres, en cas de plainte.
Le registre obligera également le clinicien à savoir ce que paie sa clientèle, indique le secrétaire du Collège. « Le médecin peut être dans une clinique qui appartient à un non-médecin et où des frais sont imposés au patient. On veut donc forcer le médecin à en prendre conscience. Le médecin ne peut permettre qu’un tiers, notamment son propriétaire, facture des frais que, lui, n’a pas le droit de demander. Il faut s’assurer que ce tiers respecte les obligations déontologiques du médecin. »
Ces nouveaux règlements sur les dossiers médicaux électroniques et les registres — mais qui se penchent aussi sur les lieux d’exercice et la cessation d’exercice d’un médecin — ont déjà été adoptés par le Collège. Ce dernier en est à l’étape de la consultation. « On est obligé, en vertu du Code des professions, de consulter l’ensemble de nos membres. Chaque médecin recevra le règlement et pourra donner son opinion. » Le Collège colligera les commentaires, puis enverra la version définitive à l’Office des professions du Québec. Celui-ci l’adoptera probablement au cours de l’automne et les différentes dispositions entreront en vigueur par la suite. //