des patientes laissées à elles-mêmes ?
La médecine peut offrir aux femmes dont la ménopause diminue la qualité de vie différentes solutions efficaces et sûres. Malheureusement, le nombre de celles qui en profitent est moins élevé qu’il ne le devrait.
Les patientes souffrant des effets de la ménopause sont-elles trop souvent laissées en plan ? Deux médecins de l’Université Harvard et de l’Université de Floride le croient. « Même si des traitements hormonaux et non hormonaux efficaces peuvent leur être offerts, peu de femmes présentant des symptômes de ménopause sont évaluées et traitées », dénoncent, dans le New England Journal of Medicine, la Dre JoAnn Manson et le Dr Andrew Kaunitz1.
Depuis la publication de l’étude Women’s Health Initiative (WHI), en 2002, l’emploi de l’hormonothérapie substitutive chez les femmes américaines a diminué de 80 %, indiquent les deux chercheurs. Une baisse injustifiée pour ce traitement qui reste le plus efficace (encadré).
« Aujourd’hui, on peut dire aux femmes de 50 à 60 ans qui commencent leur ménopause : “Si l’hypo-œstrogénisme réduit votre qualité de vie, vous pouvez recourir aux œstrogènes. Ces derniers n’augmenteront pas vos risques de problèmes cardiovasculaires. Pour le cancer du sein, le risque absolu est de 1 sur 1000. Il faut que je prescrive des hormones à 1000 femmes pour voir un cancer du sein de plus que ce à quoi je devrais m’attendre”», indique le Dr Serge Bélisle, obstétricien-gynécologue et responsable de la Clinique de ménopause du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).
Mais les réticences viennent souvent des femmes elles-mêmes, souligne le Dr Markus Martin, gynécologue-obstétricien responsable de la Clinique de ménopause McGill, à l’Hôpital général juif. « Je pose fréquemment la question : “Madame, voulez-vous commencer à prendre des hormones ?” La réponse dans 80 % du temps est non. Cela vient de la patiente. »
« Il y a une partie qui revient aux femmes, mais je dirais qu’il y a aussi une responsabilité médicale. Encore beaucoup trop de médecins ont des réserves concernant la prescription d’hormones, indique le Dr Bélisle, également professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke. De nombreuses femmes viennent à notre clinique de ménopause, parce qu’après de trois à cinq ans, le médecin de première ligne ne veut pas renouveler leur prescription bien qu’aucune donnée scientifique ne le justifie. »
Au cours des premières années d’hormonothérapie, le risque supplémentaire de cancer du sein est faible. « Ce cancer se manifeste habituellement après au moins trois et surtout cinq ans de traitement, mentionne le Dr Bélisle. Ce n’est pas un problème important à moins que les femmes aient un risque familial ou des antécédents personnels d’hyperplasie ou de cancer du sein. »
Et qu’en est-il après cinq ans ? L’étude WHI a mis en lumière une hausse du cancer du sein après ce laps de temps. « Cela ne signifie pas que c’est une contre-indication, indique le spécialiste du CHUM. Cela veut tout simplement dire qu’on refait l’équation risque-avantage avec la femme. Les mammographies permettent de dépister assez précocement cette complication, et on ajuste la fréquence de ces examens en fonction des facteurs de risque. »
Plusieurs craignent les effets cardiovasculaires de l’hormonothérapie. L’étude WHI a, en effet, révélé une augmentation du nombre d’infarctus du myocarde et d’accidents vasculaires cérébraux chez les femmes ménopausées sous œstrogènes et progestérone. Mais les participantes avaient en moyenne 63 ans au début de l’essai clinique. « Beaucoup d’études montrent qu’à l’âge de 65 ans des changements se sont déjà produits dans les vaisseaux et que l’athérosclérose est avancée. Si à ce moment-là, on commence à prendre des œstrogènes, cela peut causer des complications cardiaques. Mais quand les femmes sont au début de la ménopause, on ne constate pas ce problème. C’est l’inverse », dit le Dr Martin, également professeur agrégé à l’Université McGill en obstétrique-gynécologie, en oncologie et en gériatrie.
Un essai clinique, dont les résultats viennent d’être publiés dans le New England Journal of Medicine, montre effectivement que les femmes ménopausées depuis moins de six ans qui commencent à prendre de l’œstradiol présentent une athérosclérose subclinique qui progresse plus faiblement que celles qui prennent un placebo2. Cependant, cet effet n’apparaît pas chez les patientes qui entreprennent l’hormonothérapie dix ans ou plus après le climatère.
Pour effectuer une estimation individualisée des risques entre autres cardiovasculaires, on peut utiliser l’application gratuite MenoPro de la North American Menopause Society. Une section est réservée aux médecins et une autre aux femmes, qui peuvent faire leur propre évaluation.
Le vide créé par l’absence de traitement médical adéquat ouvre la porte à un marché de médicaments non testés et non surveillés, dénoncent les Drs Manson et Kaunitz. Certaines femmes se tournent par exemple vers l’hormonothérapie bio-identique, un traitement controversé. « Ce sont des pommades d’hormones dites naturelles concoctées par les pharmaciens pour traiter les symptômes de la ménopause. Il ne s’agit malheureusement pas de préparations homologuées. D’un lot à l’autre, le produit peut ne pas contenir assez d’hormones ou en comprendre trop. C’est donc très difficile à contrôler sur le plan de l’innocuité », mentionne le Dr Bélisle.
Ces préparations semblent populaires. Une enquête récente menée par la North American Menopause Society auprès de 3725 femmes ménopausées révèle que 35 % de celles qui suivent une hormonothérapie consomment ces produits.
L’un des attraits des hormones bio-identiques est la personnalisation. « J’ai des patientes qui me disent : “J’ai commencé à prendre des œstrogènes que la pharmacienne compose. C’est un produit spécial, juste pour moi” », explique le Dr Martin. Le médecin a décidé de vérifier, dans le cadre d’une petite étude, la préparation qu’achetaient une demi-douzaine de ses patientes. « Elles avaient toutes la même dose, même si le produit était fait “juste pour elles” ! », indique le Dr Martin. Et ce traitement n’a pas moins d’effets indésirables que l’hormonothérapie classique. « Il n’y a pas beaucoup d’études, mais assez pour montrer que les effets secondaires sont exactement les mêmes. »
Certaines femmes, elles, recourent aux végétaux. « Des études avec placebo ont été faites sur les phytoœstrogènes, que ce soit les lignanes, comme la graine de lin, ou encore le trèfle rouge, l’actée à grappes noires ou d’autres plantes. Ces produits ne fonctionnent pas du tout. Les femmes investissent 60 $, 80 $ ou 100 $ par mois pour des traitements qui n’ont pas un effet supérieur au placebo », affirme le Dr Bélisle.
Les médecins peuvent offrir des traitements non hormonaux aux femmes aux prises avec des bouffées de chaleur trop intenses. « Il existe des médicaments qui fonctionnent très bien. Ils ont été étudiés, on en connaît la dose et les effets indésirables. On sait qu’ils sont nettement supérieurs au placebo, mais restent inférieurs aux œstrogènes », indique le Dr Bélisle.
Il y a ainsi les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la norépinéphrine, comme la venlafaxine (Effexor). « La dose pour un effet antidépresseur est de 150 mg. Cependant, pour réduire les bouffées de chaleur, je donne 37,5 mg. Cela diminue ces symptômes et n’a pas d’effet antidépresseur », précise le Dr Martin.
Les cliniciens peuvent également proposer aux patientes des médicaments comme la gabapentine (Neurontin), un antiépileptique, ou la prégabaline (Lyrica), un analgésique.
Les bouffées vasomotrices peuvent aussi être traitées par des antihypertenseurs, comme la clonidine. « Je l’utilise de temps à autre à une dose beaucoup moins élevée que pour diminuer la pression artérielle. Je commence par prescrire quatre comprimés par jour. Quand les bouffées de chaleur sont réduites, la patiente peut n’en prendre que trois, éventuellement deux. Certaines femmes n’en prennent qu’un par jour », indique le Dr Martin.
Bien des patientes acceptent plus facilement l’hormonothérapie topique que générale. « Les femmes sont beaucoup plus ouvertes quand il s’agit d’appliquer l’œstrogène localement », a remarqué le Dr Martin. Ce traitement permet de soigner le syndrome génito-urinaire de la ménopause qui peut survenir chez 45 % des femmes d’âge mûr ou âgées. « Même s’il existe des preuves irréfutables que l’œstrogène vaginal à faible dose est efficace et sûr, ce problème est grandement sous-traité », notent pour leur part les deux médecins américains.
Pour beaucoup de patientes, le traitement topique est toutefois insuffisant. « Je dirais que de 20 % à 25 % des femmes en ménopause souffrent de symptômes assez importants pour perturber non seulement leur qualité de vie, mais aussi leur productivité, leur travail, leur humeur et leur mémoire. Habituellement, ces femmes sont encore actives, soit à la maison, soit sur le marché du travail. Il peut être difficile pour elles de composer avec leurs symptômes. Elles ont besoin d’un coup de pouce pharmacologique, qui peut être hormonal ou non hormonal », affirme le Dr Belisle.
Trouver des médecins capables de traiter les symptômes de la ménopause va devenir de plus en plus difficile pour les femmes. « Non seulement les obstétriciens-gynécologues, les internistes et les médecins de famille prescrivent beaucoup moins l’hormonothérapie, mais les nouvelles générations de diplômés en médecine et de professionnels en première ligne manquent souvent d’entraînement et de compétences de base pour soigner les symptômes de la ménopause et prescrire des traitements hormonaux ou non », écrivent les Drs Manson et Kaunitz.
Le Dr Belisle fait le même constat. La formation des médecins est minime dans le domaine de la ménopause, même si au Canada elle est plus poussée qu’aux États-Unis. « Chez nous, les résidents en gynécologie ont une demi-journée par année de cours sur la ménopause ainsi que des ateliers de travail. Chaque résident passe également dix demi-journées à la clinique de ménopause où ils voient des cas sous supervision et peuvent se familiariser avec les différentes approches. » Les résidents en médecine familiale ont une formation encore plus succincte. « Il y a un manque de formation à cause d’une logique liée à l’évolution de la spécialité. Certains secteurs sont étudiés de façon plus approfondie au détriment d’autres. Toutefois, ce qui est vrai pour la ménopause l’est aussi pour la contraception et mille et une autres choses. »
L’application américaine MenoPro, qui tient compte des facteurs de risque et des préférences de la patiente, peut faciliter l’évaluation des traitements possibles des symptômes de la ménopause. Elle a été conçue par la North American Menopause Society. |
À l’Université McGill, le Dr Martin remarque le même phénomène. « C’est vrai qu’on enseigne de moins en moins aux étudiants et aux résidents le traitement de la ménopause. » Les futurs cliniciens montrent par ailleurs peu d’enthousiasme pour ce sujet. « Ils sont plus intéressés par la technologie, la colposcopie, la chirurgie. Cela leur paraît plus excitant. Je trouve que c’est dommage parce que les femmes ménopausées constituent une grande partie de notre clientèle et elles ont besoin de médecins qui savent traiter leurs problèmes. » //
1. Manson JE, Kaunitz AM. Menopause management – Getting clinical care back on track. N Engl J Med 2016 ; 374 (9) : 803-6.
2. Hodis HN, Mack WJ, Henderson VW et coll. Vascular effects of early versus late postmenopausal treatment with estradiol. N Engl J Med 2016 ; 374 (13) : 1221-31.
3. Manson JE, Chlebowski RT, Stefanick ML, et coll. Menopausal hormone therapy and health outcomes during the intervention and extended poststopping phases of the Women’s Health Initiative randomized trials. JAMA 2013 ; 310 (10) : 1353-68.