Questions... de bonne entente

Nouvelle nomenclature et effets possibles sur les baux en cabinet

Michel Desrosiers  |  2016-06-27

La nouvelle nomenclature en cabinet était attendue depuis longtemps. Maintenant que c’est chose faite, il faut se soucier des autres répercussions possibles, notamment sur l’organisation de votre pratique. Regardons ce qui en est.

La nomenclature est la façon de rémunérer les mé­decins pour les services qu’ils rendent. De cette pers­pec­tive, on peut espérer que pour un service équi­va­lent un médecin retire une compensation compa­rable. Mais il y a un autre volet à la nomenclature, soit l’incitation qu’elle peut représenter à adopter certains comportements professionnels.

La nouvelle nomenclature intègre explicitement des incitatifs pour favoriser la prise en charge et le suivi de patients ainsi que l’accessibilité du médecin traitant à sa clientèle. Selon la formule du calcul du loyer applicable à un médecin, ces incitatifs peuvent avoir des répercussions sur le loyer payé ou le type de pratique que peut favoriser le locateur. Question de vous permettre d’y réfléchir, regardons ces différents éléments.

Répercussions et formule de calcul du loyer

Les médecins dont le loyer constitue un montant fixe par mois selon les frais d’exploitation de la clinique ou un pourcentage de l’ensemble des dépenses d’exploitation ne verront probablement pas de changement. Il n’y a qu’un lien ténu entre le degré de rémunération et les dépenses.

Les répercussions toucheront surtout les médecins dont le loyer est fixé en fonction d’un pourcentage des honoraires. Nous avons déjà traité dans cette chronique de l’ajustement, d’une année à l’autre, d’un tel pour­centage (Le médecin du Québec, décembre 2011, Devez-vous négocier vos frais de loyer ?).

Les problèmes préexistants d’une formule à pourcentage

Mise à part la question de fixer le pourcentage et de l’ajuster périodiquement, la formule à pourcentage des honoraires peut poser problème quand vient le temps de décider du traitement qu’il faut réserver aux sommes forfaitaires versées aux médecins. Certaines sont facturées et sont liées à des services rendus dans un lieu spécifique, telles que la compensation des frais de cabinet. D’autres ne sont pas associées à un lieu ou à une date spécifique de service, telles que les forfaits annuels d’inscription ou de vulnérabilité ou le supplément au volume de patients inscrits. Ces problèmes demeurent, la nouvelle nomenclature n’y change rien.

« L’ajout » de la nouvelle nomenclature

La nouvelle nomenclature peut avoir un autre effet de taille, en plus des problèmes existants, du fait que la rémunération de différents médecins par unité de temps ou par jour pourra varier de façon considérable selon l’échelle de tarification qui s’applique à leurs services.

Cet enjeu existe déjà. Certains médecins travaillent plus rapidement que d’autres ou privilégient une pratique à volume élevé. Le médecin qui optera pour une pratique plus lourde pour laquelle il est rémunéré par le code de l’intervention clinique peut retirer une rémunération plus faible que le collègue plus expéditif rémunéré selon des codes d’examen.



Dans la nouvelle nomenclature, la tarification bonifiée à partir de 500 patients inscrits fait en sorte qu’à services égaux, la rémunération du médecin augmentera de 10 % à 15 % pour une forte proportion des services rendus.

Cependant, la nouvelle nomenclature intègre une tari­fication différente pour les mêmes services selon que le médecin compte ou non 500 patients inscrits. L’écart peut être important (de 10 % à 15 % pour plusieurs services). À nombre de visites égal, ce nouveau critère pourrait causer un écart. De plus, le tarif de l’intervention clinique n’est pas modulé en fonction du nombre d’inscriptions du médecin. Par conséquent, le médecin qui utilise beaucoup l’intervention clinique, même s’il compte au moins 500 inscrits, peut ne pas pleinement profiter des majorations inhérentes à la nouvelle nomenclature. S’il n’existait que deux paliers de rémunération exclusivement en fonction du volume d’activité du médecin, il y en a maintenant trois, voire quatre.

Médecin qui compte 500 patients inscrits, nombre élevé de visites de suivi

Ces médecins bénéficient d’une majoration importante de la rémunération pour leurs services, à la fois par une différence de tarification liée au volume de patients inscrits et par leur utilisation plus grande des visites adaptées au suivi sur rendez-vous ou en accès adapté. Ce gain peut varier de 10 % à 15 %. À pourcentage identique, le médecin ayant ce genre de pratique est plus intéressant que d’autres pour un locateur dont le loyer est établi sous forme de pourcentage des honoraires.

Médecin qui compte 500 patients inscrits, proportion d’intervention clinique élevée

Ces médecins bénéficient d’une portion de la majoration moyenne attendue, dont l’importance sera fonction de la proportion des services sur rendez-vous réclamés en ayant recours aux visites adaptées à ce contexte. S’ils utilisent les codes de visite pour la moitié de ces activités, leur majoration pourrait être la moitié de celle du médecin ayant un nombre élevé de visites de suivi. Le médecin ayant ce genre de pratique peut demeurer intéressant pour un locateur qui réclame un pourcentage fixe des honoraires, bien que moins que celui qui utilise moins l’intervention clinique.

Médecin qui compte moins de 500 inscrits, pratique de prise en charge

Ces médecins ont probablement une proportion plus faible de la majoration attendue, n’ont pas droit à la différence de tarification lié au nombre de patients inscrits. Toutefois, ils pourront se prévaloir du gain lié à la tarification des visites adaptées au suivi sur rendez-vous ou d’accès adapté. Un locateur peut les trouver moins intéressants, s’il fixe le loyer en fonction d’un pourcentage fixe des honoraires.

Médecin qui compte moins de 500 inscrits, volume élevé de consultations sans rendez-vous

Ces médecins pourraient ne pas obtenir de majoration, même plus modeste à la suite de l’introduction de la nouvelle nomenclature, ni bénéficier du différentiel en fonction du nombre d’inscrits. En outre, la nomenclature applicable dans un contexte de visite sans rendez-vous pourrait n’entraîner qu’une majoration modeste par rapport à la nomenclature antérieure. Toutefois, ce type d’activité peut être nécessaire dans le cadre d’un fonctionnement de groupe, question d’assurer la disponibilité requise par la clientèle. Tant que le médecin est disponible durant certaines périodes défavorables, ce type d’activité peut demeurer intéressant sans égard à sa rémunération, dans un cadre de loyer à pourcentage des honoraires.

Comment se comporteront les locateurs ?

Dans un marché de concurrence féroce où les locateurs s’arrachent les quelques médecins disponibles, les locateurs ne seront pas trop regardants. Entre recruter un médecin dont le niveau de rémunération pourrait être plus faible et supporter le coût d’un bureau inutilisé, un locateur recrutera un tel médecin. Toutefois, la réalité change. Une plus grande proportion de médecins choisissent de faire de la première ligne. En outre, l’ajout net de médecins progresse d’une année à l’autre depuis quelques années. Les effets se font déjà sentir dans certaines régions. Les locateurs pourraient donc devenir plus regardants.



Lorsque le loyer est fixé en fonction d’un pourcentage des honoraires du médecin, à pourcentage égal, le médecin qui compte au moins 500 patients inscrits sera perçu comme plus intéressant pour un locateur.

Si votre modèle de pratique est moins rentable et que vous avez l’impression qu’une clinique est moins disposée à vous prendre comme locataire, faites valoir le fait que la clinique sera ainsi mieux en mesure de répondre aux besoins de la population locale.

Bien sûr, s’il y a plus de médecins, il peut se construire plus de cliniques, question de rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande. Cependant, des promoteurs ajouteront des cliniques dans la mesure où ils y voient un potentiel de profit. Seuls les médecins eux-mêmes peuvent justifier l’exploitation d’une clinique sans faire nécessairement de profit, y voyant un investissement essentiel à l’excercice de leur profession.

Bref, ne comptez pas sur la persistance du marché actuel à moyen terme. Il est probable que, dans plusieurs régions, les locateurs verront la nouvelle nomenclature comme une raison de plus pour influencer le modèle de pratique de leurs locataires ou pour exercer une sélection sur ces derniers. Ce faisant, à pourcentage comparable, ils maximiseront leur revenu.

Et pour les nouveaux ?

Dans la mesure où la demande de lieux de pratique en cabinet augmente par rapport au parc immobilier disponible, les locateurs qui fixent le loyer en fonction d’un pourcentage des honoraires pourraient appliquer un pourcentage uniforme d’un médecin à l’autre, mais sélectionner leurs locataires de façon à maximiser leur revenu et leurs profits. Ils pourraient aussi fixer un pourcentage différent en fonction du profil de pratique de chaque médecin. Dans les deux cas, vous pourriez devoir répondre à différentes questions avant qu’un locateur ne vous confirme son intérêt ou n’avance un chiffre de pourcentage. Ferez-vous de la prise en charge ? Quel est le nombre visé de patients ? Vous intéressez-vous à des clientèles particulières (gériatrie, santé mentale, pédiatrie sociale) qui pourraient vous mener à faire plus d’interventions cliniques ?

Si vous avez l’impression que ces promoteurs tentent de sélectionner une clientèle de médecins dont le type de pratique leur permettra plus facilement de tirer des profits élevés (pourcentage fixe), demandez-vous si vous serez libre d’adopter un mode de fonctionnement qui respecte vos intérêts et vos principes professionnels. Dans le cas contraire, n’hésitez pas à regarder ailleurs. Si vous envisagez d’inscrire un grand nombre de patients et d’avoir un volume d’activité élevé, assurez-vous que l’offre soit raisonnable sur un plan « d’affaires ».

Si ces questions visent à fixer un pourcentage adapté à votre pratique, mettez-vous en mode « négociation ». Au-delà de la simple question de rentabilité, une clinique a avantage à être en mesure de répondre aux besoins de l’ensemble de la clientèle locale. C’est d’autant plus vrai en GMF. Si les patients trouvent plus facilement un médecin en cas de besoin, les cliniques pourraient moins se permettre de sélectionner leur clientèle.



N’hésitez pas à regarder ailleurs si vous avez l’impression qu’un écart de rémunération lié à votre modèle de pratique peut vous faire subir des pressions allant à l’encontre de vos principes professionnels, quitte à envisager d’exploiter votre propre clinique.

Et enfin, n’oubliez pas que vous pouvez toujours vous associer à d’autres médecins pour mettre sur pied votre propre clinique. Les frais peuvent alors varier selon le nombre de médecins au sein de votre clinique. Vous pouvez toujours vous buter entre associés à des discussions sur la formule appropriée de partage des frais selon le type de pratique de chacun, mais si vous craignez de vous faire « exploiter » par un promoteur de clinique ou de subir des pressions en ce qui a trait à votre modèle de pratique, vous vous mettez ainsi à l’abri. La Fédération compte développer sa capacité à assister des membres qui envisagent de mettre sur pied une clinique. N’hésitez pas à vous adresser à la Direction de la planification et de la régionalisation.

Lors de vos lectures sur la nouvelle nomenclature, gardez en tête l’aspect « affaires » possible. Espérons que la lecture de cet article vous aura rendus plus attentifs. À la prochaine ! //