Entrevues

Entrevue avec le Dr Sylvain Dion, président de l’AMCLSCQ

Modifier un peu sa pratique en CLSC pour suivre plus de patients

Emmanuèle Garnier  |  2016-12-20

Président de l’Association des médecins de CLSC du Québec et deuxième vice-président de la FMOQ, le Dr Sylvain Dion estime que devant la menace de la loi 20*, les médecins de CLSC doivent adapter leur pratique pour inscrire plus de patients.

M.Q. — Quels sont les effets de l’adoption du projet de loi 20 au sein du réseau des CLSC du Québec ?

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S.D. – Cette situation nous plonge dans un contexte plutôt difficile. Nos quelque 1600 médecins, qui pratiquent à temps complet ou à temps partiel en CLSC, doivent eux aussi contribuer aux objectifs nationaux qui exigent que 85 % de la population ait un médecin de famille d’ici le 31 décembre 2017. Un effort de taille pour nos membres qui comptent chacun, en moyenne, entre 325 à 450 patients inscrits. Ce sont ces médecins qui ont le potentiel d’inscrire le plus de patients.

M.Q. — La moyenne de patients inscrits par les médecins de CLSC est plus faible que celle des autres médecins de famille. Comment expliquer cet écart ?

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S.D. – Auparavant, la mission des CLSC, créés dans les années 1970, était d’offrir un plus grand soutien aux clientèles vulnérables. Par conséquent, le rôle des médecins de CLSC était notamment d’assurer le service de maintien à domicile auprès des personnes âgées, d’offrir des soins palliatifs, d’aider les patients aux prises avec des problèmes de santé mentale et de faire de la prévention auprès des jeunes pour réduire les infections transmissibles sexuellement et par le sang. Compte tenu de ces mandats, certains médecins de CLSC ont toujours limité leur nombre de patients. D’autres, par contre, ont maintenu une pratique plus polyvalente, ce qui leur a permis de suivre un plus grand nombre de personnes.

M.Q. — Quel est votre message à l’intention de vos membres ?

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S.D. – Il reste plus de 900 000 personnes à inscrire au Québec pour atteindre l’objectif fixé d’ici décem­bre 2017. Le patient québécois doit avoir son médecin de famille, un clinicien qui a une pratique de groupe et collabore avec différents professionnels de la santé. Il est évident que nos médecins de CLSC doivent faire leur part. Nous devons nous aussi adhérer à une pratique de première ligne beaucoup plus polyvalente.

M.Q. — Comment vos membres réagissent-ils à la consigne d’inscrire plus de patients ?

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S.D. – Je reconnais que certains sont réfractaires. Ce sont principalement ceux qui sont en fin de carrière et ceux qui sont moins polyvalents parce qu’ils œuvrent dans un programme particulier.

M.Q. — Pourquoi résistent-ils ?

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S.D. – Ceux qui montrent la plus grande résistance nous disent : « On est là pour suivre des clientèles vulnérables et on ne prendra pas de patients non vulnérables ». On ne leur demande pas d’abandonner leur clientèle vulnérable, mais de transformer au moins un peu leur pratique pour inscrire plus de patients. Tous les Québécois ont le droit d’avoir un médecin de famille. On ne peut pas nier ce droit ni ignorer les besoins de la population.
Par ailleurs, ce n’est pas vrai que certaines activités, comme le maintien à domicile, doivent être faites uniquement par les médecins de CLSC. Les médecins de cabinet peuvent eux aussi en faire dans leur pratique et offrir ainsi à leurs patients une continuité de soins. C’est la même chose pour la santé mentale. En repartageant le suivi des clientèles vulnérables entre tous les omnipraticiens, plutôt que de ne s’en remettre qu’aux médecins de CLSC, ce sera plus facile. Actuellement, les enjeux sont tels à cause de la menace de la loi 20 et de ses conséquences que cela nécessite une transformation de nos pratiques. On doit tous remettre en question nos façons de faire.

M.Q. — Y a-t-il d’autres raisons qui expliquent la résistance de certains de vos membres à inscrire davantage de patients ?

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S.D. – L’un des motifs importants est le manque de soutien administratif. Beaucoup de nos membres s’en plaignent. En l’absence de secrétariat médical, le médecin doit s’occuper des tâches administratives, comme le classement des résultats de tests dans les dossiers, les appels aux patients et la photocopie de documents. Le fait qu’on impose aux médecins de CLSC d’inscrire en plus des dizaines, voire des centaines de nouveaux patients, rend leur tâche infernale.

M.Q. — Le gouvernement n’a-t-il pas annoncé cet été que les médecins de CLSC auront du personnel administratif supplémentaire ?

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S.D. – Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a effectivement fait parvenir une directive à chacun des directeurs des centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) et des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) pour les enjoindre de fournir les ressources qui ont été jugées nécessaires par le comité conjoint FMOQ–MSSS et qui sont décrites dans son rapport. C’est la meilleure nouvelle que nous ayons reçue depuis des années. Certains médecins de CLSC ont déjà fait des demandes auprès des gestionnaires pour avoir le personnel administratif prévu. Ce sont toutefois des démarches qui prennent un certain temps. Il faut cependant être conscient que les CISSS et les CIUSSS n’ont pas eu de budget supplémentaire pour fournir du personnel dans les CLSC. Ils doivent le prendre à même leurs ressources.

M.Q. — Certains CLSC n’avaient-ils pas déjà des secrétaires ?

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S.D. – Oui, mais pas assez. Beaucoup de médecins de CLSC doivent composer avec du personnel qui change constamment. Quand il n’y a qu’une seule secrétaire médicale ou même qu’une à mi-temps pour sept ou huit médecins, cela rend le poste infernal. Aucune bonne secrétaire ne veut rester.

M.Q. — Y a-t-il d’autres améliorations dont les médecins de CLSC auraient besoin pour inscrire plus de patients ?

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S.D. – Certains médecins n’ont toujours pas de bureau personnel pour accueillir leurs nouveaux pa­tients. On peut aussi parler des dossiers médicaux électroniques. La plupart des groupes de médecine de famille (GMF) au Québec y ont déjà accès, ce qui n’est pas le cas des médecins en CLSC qui n’ont pas reçu de budget pour cela.

M.Q. — Pourquoi est-ce si difficile pour les CLSC de se faire entendre ?

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S.D. – Depuis la réorganisation du réseau de santé, en 2015, l’ensemble de nos quelque 150 CLSC relève de la vingtaine de CISSS et de CIUSSS. Une lourde structure au sein de laquelle nos médecins de CLSC éprouvent encore plus de difficultés qu’avant à faire reconnaître leurs besoins. Nos requêtes passent bien après celles des hôpitaux, des cliniques et des médecins spécialistes.

M.Q. — Tout cela ne doit pas favoriser le recrutement de nouveaux médecins en CLSC ?

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S.D. – Le recrutement est plus difficile en effet. Je me rappelle d’une époque où les CLSC avaient leur propre stand à la journée Carrière tenue par la Fédération des médecins résidents du Québec au Palais des congrès, chaque automne. Aujourd’hui, on est incorporé dans ceux des CISSS et CIUSSS.
Le nouveau cadre de gestion des GMF ne nous aide pas non plus. On assiste actuellement au transfert de nos professionnels de la santé, comme les travailleurs sociaux, vers les GMF. Ce changement a des répercussions sur le travail de nos médecins, particulièrement ceux qui sont dans les programmes de santé mentale, de maintien à domicile ou dans les programmes destinés aux jeunes en difficulté. D’ailleurs, cette situation a motivé certains médecins de CLSC à quitter notre réseau pour se joindre à des GMF.

M.Q. — Est-ce la fin des CLSC ?

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S.D. – J’espère bien que non. J’en conviens, certaines équipes sont peut-être plus menacées. Parti­culièrement en milieu urbain. Ce n’est toutefois pas le cas dans les CLSC des régions périphériques où les médecins ont réussi à avoir des pratiques polyvalentes. Je ne crois pas non plus que les établissements où chaque médecin compte déjà plus de 500 patients inscrits soient menacés. Il faut s’adapter et travailler à rendre les CLSC et les GMF complémentaires. Nos médecins de CLSC pourraient continuer à inscrire des patients qui souffrent de problèmes de santé mentale et davantage de personnes âgées. En revanche, les médecins de GMF pourraient ajouter quelques visites de patients à domicile. Nous sommes à la croisée des chemins. Nous n’avons d’autres choix que de trouver des solutions. C’est dans l’intérêt des patients et des collectivités. Les CLSC font partie de la solution pour améliorer les soins de première ligne.

* Le nom exact de la loi est : Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée.