Droit au but

Le travail d’équipe – V

collaborer avec une IPS-SPL dans le même lieu d’exercice

Christiane Larouche, Julie Lalancette et Isabelle Paré  |  2017-10-02

Dans le cadre de notre série d’articles sur le travail en équipe, nous traiterons cette fois-ci de l’intégration des infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne (IPS-SPL) et des raisons pour lesquelles médecins de famille et IPS-SPL gagnent à travailler en équipe dans le même lieu d’exercice.

Me Christiane Larouche, avocate, travaille au Service juridique de la FMOQ. La Dre Julie Lalancette, omnipraticienne, est directrice adjointe à la direction de la Planification et de la Régionalisation de la FMOQ. Mme Isabelle Paré, Ph. D., est conseillère en politique de santé et chercheuse à la FMOQ.

Pour que l’intégration de l’IPS-SPL dans votre équipe soit un succès, une bonne planification est requise : analyse préalable des besoins de vos patients, répartition des rôles et responsabilités au sein de l’équipe, adoption de modalités de suivi de la clientèle, évaluation et soutien dans le temps. En bref, les ingrédients de la réussite du travail en équipe, fil conducteur de notre série d’articles sur ce sujet, pourraient guider utilement vos démarches vers une intégration fructueuse.

Il y a maintenant approximativement 340 IPS-SPL au Québec. L’objectif annoncé récemment par le gouvernement du Québec est de porter ce nombre à 2000 en 2024-2025, tant et si bien que le nombre d’admissions en médecine sera adapté en conséquence. Le besoin de lieux de stage et de pratique pour les IPS-SPL sera donc important au cours des prochaines années.

Les quelques cliniques privées d’IPS-SPL ayant récemment émergé au Québec interpellent plusieurs médecins de famille. Pourquoi ces IPS-SPL ne veulent-elles pas travailler avec les médecins dans leur clinique ? Ces cliniques privées sans médecin de famille sur place correspondent-elles au modèle de partenariat avec un médecin de famille envisagé lors de la création de cette spécialité ? Est-ce une nouvelle orientation du Québec à laquelle le Collège des médecins du Québec (CMQ) adhère ?

Cadre réglementaire

Selon le cadre réglementaire entourant l’exercice des IPS-SPL, ces dernières doivent pratiquer les activités médicales autorisées par règlement en partenariat avec un médecin de famille1. Le règlement ne définit pas le sens du mot partenariat. Cependant, les lignes directrices conjointes de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) et du CMQ2 soulignent que le partenariat correspond à une « étroite collaboration » entre médecins de famille et IPS-SPL. Peut-on parler d’« étroite collaboration » lorsque IPS-SPL et médecins partenaires n’exercent jamais dans le même lieu ? Dans la même localité ? Dans la même région ? Ou lorsque le médecin partenaire ne fait pas de suivi longitudinal en première ligne ?

Nous croyons qu’une étroite collaboration en soins de première ligne nécessite une cohabitation dans le même lieu d’exercice. Il nous paraît donc plus important que jamais de favoriser pleinement l’intégration des IPS-SPL dans vos équipes.



Le partage du même environnement de pratique est un des éléments caractérisant les équipes les plus performantes.

Modèle d’intégration choisi au Québec

Dès la création de la profession d’IPS-SPL en 2008, l’OIIQ, le Collège, le ministère de la Santé et des services sociaux (MSSS) et la FMOQ ont privilégié l’intégration des IPS-SPL au sein des milieux de pratique de leurs médecins partenaires, que ce soit dans les CLSC ou les cliniques médicales. En accord avec l’esprit de la réforme législative de 2002 et la création de cette nouvelle spécialité en 2008, cette orientation visait alors les objectifs suivants :

h assurer le développement de la profession d’IPS-SPL ;

h permettre une intégration cohérente des IPS-SPL au sein du réseau des soins de première ligne au Québec ;

h favoriser une étroite collaboration interprofessionnelle entre médecins de famille et IPS-SPL dans l’intérêt de la population et des professionnels eux-mêmes ;

h faciliter la vie des patients en regroupant les services de l’IPS-SPL et du médecin partenaire au même endroit et, si possible, au cours de la même visite ;

h éviter les dédoublements de services et de coûts pour le système de santé ;

h échapper au piège de la pratique des IPS-SPL en silo qui opposerait médecins de famille et IPS-SPL et serait nuisible à l’évolution des deux professions.

Les plans de déploiement des IPS-SPL du MSSS prévoyaient donc dès le départ que 70 % d’entre elles devaient exercer en cliniques médicales privées et 30 % au sein de la mission CLSC des établissements3. Pour favoriser l’intégration des candidates et des IPS-SPL dans ces milieux de pratique, le MSSS et la FMOQ ont donc convenu d’une lettre d’entente4. Cette entente permet notamment l’inscription des patients non vulnérables au nom de ces médecins partenaires afin de faciliter la prise en charge de la clientèle orpheline du Québec5. Les patients suivis par l’IPS-SPL deviennent ainsi ceux de l’équipe qu’elle compose avec son médecin partenaire et les autres membres. L’inscription rend également le médecin partenaire responsable d’assurer la continuité et la globalité des soins aux patients, même en l’absence de l’IPS-SPL ou après son départ.



Le pari est donc lancé : réussir l’intégration harmonieuse des 2000 IPS-SPL dans vos milieux au cours des prochaines années !

Transformation des soins primaires et travail en équipe

Au Québec, comme ailleurs dans les pays industrialisés, les dix dernières années ont été marquées par une réorganisation progressive des soins primaires. Partant du constat que le médecin de famille ne pourra répondre seul à l’ensemble des besoins de la population, différentes organisations ont créé des modèles d’amélioration reposant sur la pratique de groupe et inspirant les transformations en cours ici et ailleurs. Voir notamment aux États-Unis l’Agency for Health­care and Research and Quality et l’Institute for Healthcare Improvement, et au Canada, ceux de Health Quality Ontario.

De nombreuses études montrent en effet que le travail en équipe est une modalité de collaboration interprofessionnelle porteuse, car elle a une influence positive sur l’état du patient, sur celui des professionnels et sur la performance du système de santé, plus particulièrement en ce qui a trait aux soins primaires6,7.

Les facteurs de réussite du travail en équipe interprofessionnelle ont été étudiés et documentés8-10. Parmi eux, le partage du même environnement de pratique constitue un des éléments caractérisant les équipes les plus performantes11-13.

Le partage du même lieu comporte en effet plusieurs avan­tages, dont ceux de faciliter les communications et les consul­ta­tions entre les professionnels, tout en leur procurant des occa­sions d’améliorer leurs compétences13. Il permet de plus à tous les membres de l’équipe de répondre de façon plus adéquate et complémentaire à l’ensemble des besoins du patient, ce qui favorise une meilleure participation de sa part comme un véritable partenaire de l’équipe de soins.

Le modèle GMF

Au Québec, la réorganisation des soins de première ligne s’est principalement effectuée autour du modèle des groupes de médecine de famille (GMF) mis de l’avant par le MSSS14. L’objectif avoué de ce modèle est justement de favoriser le travail en équipe, la collaboration interprofessionnelle, la responsabilité d’une population de patients et le développement de liens étroits entre ces derniers et les professionnels14. Cohérent sur ce point, le MSSS a adopté la même stratégie d’intégration pour les divers professionnels en GMF que celle qu’il a choisie pour les IPS-SPL. Le but évident est de créer un modèle unifié et dynamique de pratique de groupe, même lorsque les professionnels ont un degré moindre d’interdépendance (ex. : travailleur social).

Au Québec, plus de 80 % des médecins de famille en première ligne font maintenant partie d’un GMF et adhèrent au modèle de travail en équipe. Le Québec figure d’ailleurs parmi les trois provinces canadiennes ayant accompli le plus de progrès dans la mise en place d’équipes interprofessionnelles en première ligne au cours des dernières années15.

Garder le cap

À la lumière de ce qui précède, on constate que les raisons qui avaient justifié l’intégration des IPS-SPL dans les milieux de pratique des médecins partenaires sont tout aussi pertinentes aujourd’hui qu’en 2008.

Des modèles de collaboration à distance, comme les cliniques privées d’IPS-SPL, comportent indéniablement des risques, notamment :

h la remise en cause du modèle de travail en équipe ayant guidé l’intégration des professionnels en première ligne depuis 2008 ;

h le morcellement des soins de première ligne, particulièrement à la lumière des importantes zones de chevauchement entre IPS-SPL et médecins de famille que le modèle du travail en équipe oblige à clarifier ;

h l’altération de la confiance des médecins et de la cohabitation harmonieuse des deux professions.

Tableau

Réussir l’intégration de l’ IPS-SPL

Le pari est donc lancé : mieux vaut réussir l’intégration harmonieuse des 2000 l’IPS-SPL dans vos milieux au cours des prochaines années ! Bien que le partage du même lieu de pratique constitue un facteur facilitant, encore faut-il faire entrer l’IPS-SPL dans une équipe fonctionnelle et efficiente. De plus, aussi compétente que soit l’IPS-SPL, l’expérience sur le terrain montre qu’elle éprouve le besoin d’obtenir le soutien des médecins partenaires.

Encadré

Une étude portant sur l’intégration des IPS-SPL au Québec, menée à partir d’une revue de la littérature et de l’analyse de six cas, a permis de dégager quelques constats et de formuler quelques recommandations16. Suivant cette étude, cinq thèmes devraient retenir l’attention des médecins partenaires lors de l’intégration d’une IPS-SPL dans leur équipe : l’accueil, la définition des rôles, la prise en charge des clientèles, la collaboration et le soutien. Nous vous invitons à répondre aux questions du tableau16 inspiré des recommandations de cette étude et des ingrédients de réussite du travail en équipe pour évaluer l’intégration de l’IPS-SPL dans votre milieu. //

Saviez-vous que…


h Le site www.ipspl.info a été créé pour soutenir le déploiement des IPS-SPL au Québec. Il propose une série d’outils pratiques qui pourrait vous intéresser.

Bibliographie

1. Québec. Règlement sur les activités visées à l’article 31 de la Loi médicale qui peuvent être exercées par des classes de personnes autres que des médecins. Chapitre M-9, article 19, 1er al., par b. Québec : Éditeur officiel du Québec ; 2017.

2. Durand S, Maillé M, d’Anjou H et coll. Lignes directrices – Pratique clinique de l’infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne. 2e éd. Montréal : Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et Collège des médecins du Québec ; 2014. 67 p.

3. Bureau MA. Soutien financier pour l’intégration des infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne (IPS-SPL) des candidates IPS-SPL. Québec : ministère de la Santé et des Services sociaux ; 2011. 4 p.

4. Régie de l’assurance maladie du Québec. Partenariat avec une infirmière praticienne spécialisée : cabinet privé, CLSC ou UMF (lettre d’entente no 229). Québec : la Régie.

5. Régie de l’assurance maladie du Québec. Participation de l’IPS-SPL ou de la CIPS-SPL à certaines ententes particulières. Québec : la Régie.

6. Gerteis J, Kantz B. Findings from the AHRQ – Transforming primary care grant initiative: a synthesis report. Rockville : Agency for Healthcare Research and Quality ; 2015.

7. Lehmann F, Dunn D, Beaulieu MD et coll. Performance of an integrated network model, evaluation of the first 4 years. Can Fam Physician 2016 ; 62 (8) : e448-e56.

8. Sullivan EE, Ibrahim Z, Ellner AD et coll. Management lessons for high functioning primary care teams. J Healthc Manag 2016 ; 61 (6) : 449-65.

9. Schottenfeld L, Petersen D, Peikes D et coll. Creating patient-centered team-based primary care. Rockville : Agency for Healthcare Research and Quality ; 2016. 27 p.

10. Sinsky C, Williard-Grace R, Schutzbank A et coll. In search of joy in practice: a report of 23 high-functioning primary care practices. Ann Fam Med 2013 ; 11 (3) : 272-8.

11. Oandasan IF, Conn LG, Lingard L. The impact of space and time on interprofessional teamwork in Canadian primary health care settings: implications for health care reform. Primary Health Care Research & Development 2009 ; 10 (2) : 151-62.

12. Dinh T, Stonebridge C, Thériault L. Getting the most of our health care team: recommendations for action. Ottawa : The Conference Board of Canada ; 2014. 102 p.

13. Brown JB, Ryan BL, Thorpe C et coll. Measuring teamwork in primary care: triangulation of qualitative and quantitative data. Fam Syst Health 2015 ; 33 (3) : 193-202.

14. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Programme de financement et de soutien professionnel pour les groupes de médecine de famille. Québec : le Ministère ; 2016.

15. O’Brien P, Aggarwal M, Rozmooitis L et coll. The teaming project – Learning from high-functionning team interprofessional care teams. Toronto : Université de Toronto ; 2015.

16. Contandriopoulos D, D’Amour D, Dubois CA et coll. Soutenir le déploiement des infirmières praticiennes spécialisées en première ligne (ISPL) au Québec. Montréal : Université de Montréal et Infirmières praticiennes spécialisées de première ligne. Site Internet : http://ipspl.info/wordpress/wp-content/uploads/2015/01/Rapport_Final-IPSPL.pdf (Date de consultation : juin 2017).