Quelques nouveaux pouvoirs de la RAMQ préoccupent les avocats et les propriétaires de cliniques médicales, soit les pouvoirs d’enquête et d’inspection. Ils peuvent aussi inquiéter certains médecins. Discutons-en !
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ. |
Les modifications dont nous avons traité à ce jour touchent la Loi sur l’assurance maladie. Il s’agit de la vaste majorité des modifications apportées par la loi en décembre dernier. Il y a aussi eu des modifications à la Loi sur l’assurance médicaments (touchant essentiellement les pharmaciens) et quelques autres modifications à la Loi sur la Régie de l’assurance maladie. Ces derniers changements pourraient toucher tous les professionnels rémunérés par la RAMQ.
La première modification apparaît à l’article 2.0.13 et ne sera en vigueur qu’à compter du 7 décembre 2017. Toute personne transigeant avec la RAMQ sera alors tenue d’utiliser les formulaires produits par la RAMQ à cette fin. Il ne sera pas possible pour les citoyens ou les professionnels de transmettre leurs demandes sous forme de lettre. La personne devra de plus fournir les renseignements et la documentation requise pour que la RAMQ puisse traiter la demande. Enfin, les autorisations et les mandats donnés à des tiers devront aussi l’être sur les formulaires produits par la RAMQ.
En ce qui a trait aux médecins, ils doivent déjà obligatoirement transmettre leur facturation par voie électronique. Le recours aux formulaires est une obligation supplémentaire. On peut présumer que le délai d’un an est pour permettre à la RAMQ de s’assurer qu’elle a prévu des formulaires pour l’ensemble des situations possibles.
Vient par la suite la modification de l’article 16.0.1. Cet article prévoit que les écrits de la RAMQ n’ont de valeur officielle que s’ils sont signés par certains dirigeants ou, dans la mesure où un règlement le stipule, par certains employés de la RAMQ. La loi prévoit dorénavant qu’un tel règlement prend effet sur simple publication sur le site Internet de la RAMQ. Cette modification vise probablement à éviter des objections techniques lors d’enquêtes portant sur un avis ou sur une autorisation qui n’est pas signé par la bonne personne ou lorsque le règlement ne désigne pas la personne en question. Avec cette nouvelle mesure, il devient simple et rapide pour la RAMQ de corriger de tels problèmes.
Nous arrivons enfin aux modifications concernant les pouvoirs d’enquête. Il s’agit d’ajouts des articles 19.1 et 19.2. La RAMQ peut désigner des « inspecteurs » pour vérifier l’application de la Loi sur l’assurance maladie, de la Loi sur l’assurance médicaments et de leurs règlements. Ces inspecteurs peuvent :
h pénétrer à toute heure raisonnable dans un lieu où des professionnels exercent leurs activités ;
h exiger des personnes présentes tout renseignement relatif aux fonctions ou aux activités exercées par les professionnels ainsi que, pour examen ou reproduction, l’accès aux documents qui s’y rapportent.
L’article 19.1 précise que toute personne qui a la garde, la possession ou le contrôle de tels documents doit, sur demande, en donner communication à l’inspecteur et en faciliter l’examen. Elle accorde enfin une immunité à l’inspecteur contre les poursuites pour des actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de ses fonctions.
La loi précise que toute personne qui a la garde, la possession ou le contrôle de documents qui se rapportent aux activités des professionnels doit, sur demande, en donner communication à l’inspecteur et en faciliter l’examen. |
L’article 19.2 prévoit de plus que l’inspecteur peut procéder par demande postale sous pli recommandé ou par signification pour exiger la communication, par les mêmes moyens, de tout renseignement ou de tout document relatif à l’application de la loi. Contrairement à l’article 19.1, qui oblige le professionnel à donner accès à l’inspecteur pour examen ou reproduction, l’article 19.2 peut obliger un médecin à effectuer des copies des documents demandés. Selon la RAMQ, la production de telles copies est aux frais du médecin ou de la clinique. La RAMQ ne verse pas de compensation. On peut donc supposer que de telles demandes viseront un volume limité de documents.
Si le volume de documents à copier vous semblait démesuré, vous pouvez toujours en discuter avec le personnel de la RAMQ qui a formulé la demande. Toutefois, soyez conscient que la solution de rechange de la RAMQ sera généralement d’effectuer une visite sur place en bonne et due forme.
L’article 20.1 prévoit dorénavant que, dans le cadre d’une inspection ou d’une enquête, nul ne peut refuser de communiquer à la RAMQ un renseignement ou un document contenu au dossier d’une personne assurée de même qu’un document ou un renseignement à caractère financier concernant les activités du professionnel.
Cet ajout est repris à l’article 21 de la loi qui prévoyait déjà l’interdiction d’entraver le travail d’un inspecteur ou d’un enquêteur, de tromper ce dernier par des réticences ou des déclarations mensongères ou de refuser d’obéir à tout ordre qu’il peut donner en vertu de la loi. De plus, une amende est dorénavant prévue en cas d’infraction, soit de 5000 $ à 50 000 $. Ces montants sont doubles en cas de récidive.
L’article 21.1 ajoute dorénavant le droit pour la RAMQ de demander une injonction à un juge de la Cour supérieure dans toute matière qui se rapporte à la loi. La RAMQ n’est pas tenue de fournir une caution dans le cadre d’une telle demande.
Dans le cadre d’une inspection ou d’une enquête, le refus de communiquer à la RAMQ un renseignement ou un document contenu au dossier d’une personne assurée ou un renseignement à caractère financier concernant les activités du professionnel est passible d’une amende de 5000 $ à 50 000 $. |
On peut se demander pourquoi le législateur a cru bon d’accorder de tels pouvoirs aux inspecteurs de la RAMQ. Il y a en effet des différences importantes entre le rôle d’un inspecteur et celui d’un enquêteur de la RAMQ. Les inspecteurs effectuent une démarche administrative de contrôle. Il s’agit le plus souvent de situations où, a priori, la RAMQ à l’impression qu’elles ne mèneront pas à des démarches pénales. Nous sommes dans le domaine du service non conforme au lieu du service faussement décrit ou non rendu (voir les distinctions dans le dernier article). La personne faisant l’objet d’une inspection sera généralement de bonne foi et a tout intérêt à collaborer.
Lorsque la RAMQ a plutôt l’impression qu’il s’agit d’une situation qui pourrait mener à des démarches pénales (possiblement pour des services faussement décrits ou non rendus ou une facturation interdite), elle dépêche des enquêteurs. Ces derniers disposaient déjà des pouvoirs nouvellement accordés aux inspecteurs. Lorsque les explications fournies lors d’une inspection évoquaient plutôt la nécessité d’une enquête, il était simple pour la RAMQ de transformer l’inspection en enquête. De plus, rien ne l’empêchait d’en faire autant si la personne qui faisait l’objet d’une inspection faisait de l’obstruction ou contestait l’inspection.
On peut espérer que les inspecteurs ne feront qu’exceptionnellement appel à leurs nouveaux pouvoirs et qu’ils continueront de procéder comme ils le faisaient auparavant : en prenant rendez-vous avant avec le milieu ou avec les professionnels, question de réduire le plus possible les répercussions des visites sur les activités du milieu. N’hésitez pas à informer la Fédération de tout dérapage à cet égard.
Enfin, une modification à l’article 25, qui entrera en vigueur le 31 juillet 2018, prévoit que le rapport annuel de la RAMQ comportera une section faisant état du nombre d’inspections et d’enquêtes effectuées, de leur catégorie, du nombre qui ont excédé la durée d’un an et des sommes récupérées à la suite de celles-ci.
Le législateur semble vouloir évaluer comment la RAMQ utilise ses pouvoirs de contrôle en fonction des sommes recueillies. On peut craindre que cela ne devienne l’objectif principal des inspections et des enquêtes, au détriment des démarches visant à s’assurer de la diffusion d’information et de la bonne application des ententes et de la loi.
La dernière modification pertinente fixe le sort des sanctions administratives pécuniaires perçues. La loi prévoit ainsi qu’elles sont versées au fonds des services de santé. Contrairement aux autres sommes portées au crédit de ce fonds, qui sont réparties également entre la RAMQ et le MSSS, les sanctions administratives pécuniaires sont remises à la RAMQ en entier.
Étant donné que la RAMQ peut désormais exiger d’un médecin, ou de la clinique où il exerce, de lui remettre des documents au cours d’une inspection ou d’une enquête, le médecin peut chercher à garder séparément ce qui relève des services assurés rendus à des patients (ou ce qui leur est accessoire) et ce qui relève des services non assurés ou qui ne tombent pas sous le contrôle de la RAMQ.
À l’exception du dossier constitué aux fins de recherche clinique, le médecin doit conserver un dossier unique par milieu de pratique, sans égard aux faits que les services assurés et non assurés aient été rendus aux mêmes patients dans le même lieu. Il n’est pas possible de séparer les dossiers (sauf pour la recherche).
Si la clinique offre des services assurés et, de façon distincte, des services non assurés à des clientèles différentes, il devient alors plus facile de garder des dossiers distincts. Comme la documentation est de plus en plus conservée sous forme numérique, la conservation de documents différents dans des répertoires distincts avec une numérotation spécifique à chacun fait partie des moyens de les distinguer.
S’il y a la moindre possibilité que des patients ayant reçu des services non assurés reçoivent par la suite des services assurés (ou vice versa), une telle approche devient problématique du fait qu’il faudra alors, pour les patients pour lesquels la situation se présente, consolider à la pièce, les données pour ne constituer qu’un dossier.
Dans la mesure où il est possible de garder séparés les dossiers pour services assurés et non assurés, si jamais un inspecteur ou un enquêteur de la RAMQ voulait prendre connaissance de documents qui n’ont pas rapport à des services assurés, il serait alors plus facile de circonscrire les dossiers que la clinique juge non visés par l’inspection. Si la RAMQ devait insister quand même pour prendre connaissance de ces dossiers, il serait plus facile de faire mettre ces informations sous scellé, le temps de faire trancher la question par un juge.
En ce qui a trait aux documents financiers, la loi parle des documents liés aux activités du professionnel. Dans plusieurs cas, il peut être difficile de faire la distinction entre ce qui est lié aux activités assurées du professionnel et à celles qui ne le sont pas. Même si une clinique effectue de la recherche médicale et offre aussi des services assurés, certains documents financiers pourront toucher les deux : le paiement de loyer et possiblement certains frais de laboratoire, par exemple. Dans la mesure du possible, la clinique devrait séparer la documentation financière selon la nature des services. Cependant, il pourrait être plus difficile de le faire uniquement pour les services cliniques lorsque les dossiers n’ont aucun chevauchement entre services assurés ou non assurés pour le même patient. Toutefois, les avis d’avocats et les relevés d’honoraires de ces derniers sont des documents confidentiels. Vous pouvez donc vous opposer au fait que la RAMQ en prenne connaissance.
Enfin, n’oubliez pas que la loi vous oblige à collaborer lors d’une inspection ou d’une enquête, soit à répondre aux questions et à donner accès aux documents. Vous n’êtes pas tenus d’aller au-delà de la demande, par exemple en indiquant à la RAMQ de vérifier certains autres éléments ou en faisant remarquer à son personnel qu’il a oublié de consulter certains documents que vous avez rendus disponibles. Et notez que le personnel de la RAMQ ne devrait pas partir avec vos documents. Il peut les consulter et conserver des copies de ce qu’il juge pertinent : numériser les documents papier et obtenir une image de documents conservés sur disque ou sur un serveur à distance. Vous n’avez pas à produire des copies pour elle lors d’une visite sur place.
L’inspection ou l’enquête de la RAMQ ne devrait pas obliger la clinique à interrompre les services aux patients. Vous demeurez tenu à vos obligations déontologiques d’offrir les services à votre clientèle, bien que personne ne soit tenu à l’impossible. Question de rendre le fonctionnement le plus fluide possible, il serait prudent, lors d’une enquête, de désigner une personne pour répondre aux demandes de la RAMQ durant la visite et de coordonner les échanges du personnel de la RAMQ avec le personnel de la clinique ou la consultation des documents pour perturber le moins possible le fonctionnement de la clinique. Cette personne devrait de plus noter les agissements de la RAMQ (quels documents ont été consultés ou copiés, la nature des informations recherchées). Ces informations pourraient être utiles ultérieurement.
De plus, si les agissements des agents de la RAMQ pendant une inspection ou une enquête devaient perturber inutilement le fonctionnement de la clinique, faites-le remarquer au personnel de la RAMQ, documentez-le et discutez-en avec votre conseiller juridique. Bien que les inspecteurs et les enquêteurs bénéficient d’une protection contre les recours pour leurs gestes dans le cadre de leurs fonctions, certains agissements pourraient être qualifiés de mauvaise foi et tomber hors de la protection.
La loi vous oblige à collaborer lors d’une inspection ou d’une enquête, mais vous n’êtes pas tenus d’aller au-delà de ce que la RAMQ vous demande. |
Espérons que vous ne vivrez pas une enquête musclée durant votre carrière. Mais si jamais c’était le cas, cet article devrait vous donner quelques repères. Nous parlerons sous peu des diverses couvertures d’assurance offertes aux adhérents qui atteignent 65 ans. À la prochaine ! //