Depuis la crise financière, les taux d’intérêt canadiens se sont effondrés. En 2009, celui de la Banque du Canada était de 0,25 %. Il s’établissait à 1 % en novembre 2017. De nos jours, il n’est plus rare d’entendre dire que Steven Poloz, l’actuel gouverneur de la Banque du Canada, haussera bientôt les taux d’intérêt. Pourquoi et comment pourrait-il faire cela ?
Quel est le meilleur scénario économique ? Le plein emploi : l’économie roule à plein régime et le chômage est faible. L’enfer économique ? La stagflation : une situation où le chômage et l’inflation augmentent en même temps. C’est plutôt rare, mais très inconfortable.
Actuellement, l’économie canadienne va bien. La croissance économique flirte avec les 3 %. Au Québec, on a vu le chômage reculer sous la barre historique de 6 %. Gardons ce contexte en-tête, car le combat économique est souvent binaire : on doit choisir entre le chômage et l’inflation.
Imaginez-vous aux commandes de l’économie canadienne. Votre population travaille. Les gens n’ont pas de difficulté à trouver un emploi. Les affaires vont bien. Vos entreprises ne suffisent plus à la demande, les consommateurs dépensent allègrement. Vos entreprises songent même à augmenter leurs prix. Vos travailleurs sont de mieux en mieux rémunérés. Ils ont plus d’accès que jamais au crédit pour financer leur consommation. Votre économie performe et vous voulez que ça continue ainsi.
Imaginez maintenant vous avez un seul levier pour influencer la direction de l’économie : le taux directeur fixé par votre banque centrale. Comment pouvez-vous l’utiliser ? C’est simple ! Actionniez votre levier vers le bas. Les taux d’intérêt baisseront et vous relancerez d’autant la consommation. Il sera plus facile d’emprunter pour acheter. Vos entreprises vendront plus de produits et de services. La population travaillera encore plus pour les produire. Les gens demanderont des augmentations de salaire pour se payer tout cela. Ils les obtiendront et… ils achèteront plus de produits encore. Vous créez de l’emploi. Super ! N’est-ce pas ?
Prudence ! En baissant trop les taux d’intérêt, vous réduisez aussi le « loyer » de l’argent. L’argent arrivera en masse dans votre économie. Or, si les dollars sont moins rares, leur valeur baissera. Cette baisse de valeur prendra la forme d’une montée généralisée des prix, puisqu’un dollar qui perd sa valeur permet d’acheter une quantité moins importante de biens. Voilà que vous créez de l’inflation et vous risquez de perdre le contrôle. L’ombre de la stagflation plane soudainement. Comment y remédier ?
Actionnez votre levier vers le haut : les taux d’intérêt augmenteront. Vous réduirez le nombre de prêts dans l’économie. Soyez prudent ! Si vous augmentez trop votre taux d’intérêt, les gens dépenseront moins. Vos entreprises devront réduire leur personnel. Vous créerez du chômage. Vous ne voulez pas ça non plus. Vous avez tout compris : c’est un travail d’équilibriste où tout est question de dosage.
À la Banque du Canada, le levier dont il est question dans notre scénario ci-haut est le « taux cible de financement à un jour » ou taux directeur. Comment fonctionne-t-il ?
Imaginez que chaque banque commerciale commence sa journée avec une somme d’argent dans ses coffres. Au fur et à mesure que la journée avance, les clients de ces banques déposent et retirent de l’argent. À la fin de la journée, les banques seront donc soit en surplus soit en déficit par rapport à la veille. Jusque-là, c’est assez simple.
Le hic : notre système bancaire veut que les banques commerciales en déficit se renflouent pour la journée suivante. Comment ? Comme nous tous, lorsque nous avons besoin de liquidité et pas d’argent, elles empruntent. Voyez-vous la Banque du Canada c’est le banquier des banques. Elle leur prêtera, mais en fonction d’un taux d’intérêt. Quel est ce taux ? Le taux directeur ? Oui, mais…
La Banque du Canada peut fixer le taux d’intérêt qui lui chante et pratiquement prêter autant qu’elle le veut. La planche à billets lui appartient ! Elle demeure cependant prudente afin d’éviter une forte inflation. Alors, la planche à billets n’est pas toujours indiquée.
En fait, l’objectif de la Banque du Canada avec son taux directeur n’est pas autant de prêter elle-même aux banques commerciales que d’influencer le taux auquel elles pourraient se prêter entre elles, afin de régler leurs comptes à la fin d’une journée.
Comme la banque centrale procède en utilisant une fourchette, elle dira aux banques commerciales, par exemple : « Ma cible pour le taux de financement à un jour aujourd’hui est de 2 %. Je souhaite que vous, banques commerciales, vous vous prêtiez entre vous à ce taux pour régler vos déficits. Donc, si jamais vous avez besoin de vous financer, et qu’aucune banque commerciale n’accepte de vous prêter, je vous prêterai moi-même, en dernier recours, au taux de 2,25 %. C’est mon taux d’escompte. Toutefois, si, à la fin de la journée, vous êtes en surplus, je vous paierai un intérêt de 1,75 %. C’est mon taux de rémunération des dépôts. Maintenant, chères banques commerciales, allez en paix à l’intérieur de cette fourchette d’un demi-point de pourcentage autour de la cible de mon taux directeur. »
Ainsi, lorsque la Banque du Canada souhaitera donner un coup d’accélérateur à l’économie, elle changera la cible à la baisse. Pour mettre le pied sur le frein, à la hausse. La fourchette s’ajustera. Les banques commerciales trouveront souvent plus avantageux les taux du marché interbancaire, mais la Banque du Canada aura exercé tout de même une pression sur les taux qui y prévalent.
Que croyez-vous qu’il risque d’arriver si les banques commerciales doivent payer aujourd’hui à la Banque du Canada un taux d’intérêt plus élevé qu’elles payaient hier ? Oui, la facture sera refilée au consommateur !
Ainsi, il est fort probable que les banques commerciales hausseront leur taux préférentiel, soit le taux auquel elles prêtent de l’argent à leurs meilleurs clients. En raison de la fourchette utilisée dans la fixation de la cible du taux directeur, son augmentation signifie aussi une augmentation du taux applicable aux dépôts.
En simplifiant les choses, on peut dire que le jeu de la compétition fera aussi en sorte que, à la suite d’une augmentation du taux directeur, les banques commerciales bonifieront le taux d’intérêt offert sur les dépôts de leurs clients. Ainsi, en haussant ou en baissant son taux directeur, la Banque du Canada provoque un effet domino dans un sens ou dans l’autre. Mais, il y a plus.
Le taux directeur fixe le taux d’intérêt à très court terme, soit un jour. Il y a un impact très immédiat sur les autres taux à court terme comme, par exemple, le taux préférentiel des banques commerciales. Mais, qu’advient-il des taux à long terme, tels que les taux hypothécaires ? La Banque du Canada influence-t-elle ces taux ?
Quand il est question de l’établissement du taux directeur de la Banque du Canada (et le mécanisme est tout à fait similaire à la Réserve fédérale américaine), l’anticipation de ce qu’elle envisage de faire est souvent plus importante que le geste lui-même.
Les marchés (ou si vous préférez des hordes de cambistes, d’analystes financiers ou de gestionnaires de portefeuille collés à leurs écrans d’ordinateur) scrutent en permanence ce que dit la Banque du Canada. Ils tentent de déceler la moindre tendance qui leur permettrait de découvrir la direction des taux d’intérêt à court terme. Cependant, les marchés demeurent maîtres du jeu en ce qui concerne les taux à plus long terme. Sur ce terrain, c’est la loi de l’offre et de la demande qui règne.
Il n’y a pas de relation linéaire entre une hausse du taux directeur de la Banque du Canada et, par exemple, les taux hypothécaires offerts par les banques commerciales. Au long des échéances potentielles d’un prêt ou d’un placement, par exemple, l’offre et la demande fixent plutôt les taux d’intérêt sur une courbe qui est fonction des anticipations du marché à propos de la direction que prendra l’économie dans le futur.
La Banque du Canada a beau augmenter son taux directeur, si le marché estime que les conditions économiques à moyen et à long terme annoncent une stabilité voire une baisse des taux d’intérêt, l’influence sera limitée. Autrement dit, le marché acceptera difficilement de payer aujourd’hui un taux d’intérêt plus élevé, pour une hypothèque de 15 ans, s’il pense que les taux baisseront demain. Cependant, si la Banque du Canada juge de son côté qu’il est impératif d’appuyer sur le frein de l’économie afin d’éviter un problème, elle devra persuader le marché d’augmenter les taux à long terme. Or, la Banque du Canada a un argument massue pour convaincre un marché récalcitrant : sa prochaine hausse du taux directeur ! //
Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages par Conseil et Investissement Fonds FMOQ inc. et ses mandataires. Il n’engage que ses auteurs.