Dossiers spéciaux

La prescription d’activité physique

un outil efficace

Francine Fiore  |  2017-01-31

Malgré tous les bienfaits associés à l’exercice, peu de patients en font suffisamment. Il existe toutefois des moyens de les encourager à être plus actifs, dont la rédaction d’ordonnances d’activité physique.

activité physique

Au Canada, au moins quatre adultes sur cinq ne font pas 150 minutes d’exercice d’intensité modérée à élevée par semaine, comme le recommandent les Directives canadiennes en matière d’activité physique. Comme médecin, comment les y encourager ? Comment promouvoir l’activité physique au cours d’une consultation ?

L’Académie canadienne de la médecine du sport et de l’exercice (ACMSE) s’est penchée sur ces questions dans son récent énoncé de position : La prescription de l’activité physique, une occasion unique de s’attaquer à un fac­teur de risque modifiable dans la pré­vention et la prise en charge des ma­la­dies chroniques1.

Dr Pierre Frémont

Une intervention pour promouvoir l’activité physique n’a pas besoin d’être longue pour être efficace. De deux à quatre minutes suffisent. Il faut poser au patient deux questions simples, indique l’ACMSE :

h Combien de jours par semaine, en moyenne, pratiquez-vous une activité physique d’intensité modérée ou élevée ?
h Ces jours-là, combien de temps dure votre activité physique ?

Il faut préciser au patient ce que sont des activités physiques modérées et élevées. La marche rapide ou la tonte du gazon, des exercices d’intensité modérée, donnent chaud, provoquent un peu d’essoufflement, mais n’empêchent pas de tenir une conversation. Par contre, le jogging ou le pelletage, activités plus intenses, augmentent la transpiration, provoquent l’essoufflement et rendent la conversation difficile.

Pour que leur intervention soit fructueuse, les médecins doivent mettre par écrit leurs recommandations. « Il faut fournir au patient une ordonnance d’exercice personnalisée », indique le Dr Pierre Frémont, coauteur de l’énoncé de position et médecin de famille au groupe de médecine de famille (GMF) Laurier, à Québec.

La prescription d’activité physique est d’une étonnante efficacité. Pour réussir à faire faire 150 minutes d’exercice par semaine à un patient, il n’est nécessaire de donner de brefs conseils qu’à douze personnes. Par comparaison, il faut intervenir auprès de 50 à 120 patients pour en faire cesser un seul de fumer. Le fameux « nombre de sujets à traiter » est ainsi très bas en ce qui concerne l’activité physique.

Le fait de prescrire de l’exercice fonctionnerait même chez les personnes relativement inactives. Cet acte médical pourrait augmenter leur niveau d’activité physique de 10 %. Évidemment, l’objectif de 150 minutes est l’idéal. Mais même de plus petites périodes d’activité physique ont un effet bénéfique sur la santé. « Le changement positif le plus important sur le plan des risques pour la santé s’opère lorsqu’une personne passe de l’inactivité à une relative activité (c.-à-d. de 75 à 90 minutes par semaine), ce qui entraîne une réduction du risque de mortalité de 15 % », indique le document de l’ACMSE.

Prescrire de l’exercice physique n’est toutefois pas tout. « Un suivi régulier par le médecin est fondamental pour démontrer son engagement envers son patient, évaluer ses progrès, résoudre ses problèmes, apporter un soutien social, ajuster la dose d’exercice et fixer de nouveaux objectifs », estime le Dr Frémont (encadré). Le médecin conseille également d’afficher les lignes directrices sur l’activité physique bien en vue dans la salle d’attente afin de conscientiser le patient.

Le cinquième signe vital

L’activité physique serait, par ailleurs, le meilleur des mé­dicaments. Ainsi, il n’est pas faux de dire : plus de mouvements, moins de médicaments. « C’est aussi simple que cela », estime le Dr Frémont.

Dr Normand Martin

Selon les études, le fait de prescrire de l’exercice contribue non seule­ment à augmenter le niveau d’ac­tivité physique des patients, mais produit aussi des résultats concrets, comme la diminution du taux d’hémoglobine glyquée et de la pression artérielle, l’amélioration de la santé mentale et, chez les personnes âgées atteintes de dé­mence, l’accroissement des fonc­tions cognitives. L’activité phy­sique aurait un effet bénéfi­que sur au moins trente maladies chro­ni­ques, dont évidemment les af­fec­tions cardiovasculaires.

L’exercice physique doit faire partie de l’arsenal thérapeutique du médecin, estime le Dr Normand Martin, président de l’Association québécoise des médecins du sport. « Les médecins de famille doivent comprendre et reconnaître l’importance de l’activité physique comme moyen de traiter et de prévenir plusieurs maladies, dit l’omnipraticien. Actuellement, la prévention primaire est peu valorisée, le système de santé étant plutôt dirigé vers l’aspect curatif. » Selon le clinicien, le niveau d’activité physique du patient doit être évalué d’emblée. Il s’agirait du cinquième signe vital.

Mais comment procéder pour en­cou­ra­ger un patient à faire de l’exer­cice ? Les gens ont différents degrés de motivation concernant la pratique de l’exercice physique, indique le Dr Martin. Lorsque le patient a pris la décision de bouger, le médecin doit déterminer avec lui les activités qui lui conviennent. Pour le patient sédentaire, le choix peut être difficile. On peut toutefois lui suggérer la marche, un excellent exercice pour commencer. L’objectif à atteindre serait éventuellement de 10 000 pas par jour. « Ce qui compte, c’est la régularité ! Hiver comme été », affirme le Dr Martin qui exerce la médecine sportive aux Cliniques Évolution Physio de Terrebonne et de Boisbriand.

Encadré

Le clinicien insiste sur l’importance de faire commencer le pa­tient lentement et d’accroître ensuite son niveau d’exercice. La règle du 10 % est un excellent repère : on augmente la durée et l’intensité de l’activité de 10 % par semaine. « Évitez que votre patient devienne un guerrier du week-end et un blessé du lundi », conseille le praticien.

Le Dr Martin estime que le rôle du médecin de famille dans la prescription de l’exercice est clairement établi. « Le soutien et l’encouragement à maintenir un mode de vie actif devraient constituer une partie importante du suivi des patients. »

Le plaisir

« Le maître mot est « plaisir ». Il ne faut pas contraindre le patient à quoi que ce soit. Il faut que la pratique de l’activité physique devienne un plaisir pour lui », explique le Dr Mathieu Saubade, médecin spécialiste en réadaptation et en médecine sportive au Centre hospitalier universitaire Vaudois, à Lausanne. Il n’y a pas qu’au Québec et qu’au Canada, en fait, que la communauté médicale essaie de faire bouger les pa­tients. En Suisse, la prise de conscience est la même.

Selon le Dr Saubade, le médecin doit persuader le patient de s’engager dans un programme d’exercice qui lui plaît et lui convient. « Il faut lui poser des questions afin qu’il accepte de faire de l’exercice. Je recommande d’utiliser les techniques de l’entretien motivationnel dont l’efficacité a été prouvée. Le but est de permettre au patient de trouver ses propres solutions pour bouger. Par exemple, on peut lui demander : “Est-ce que vous pensez que ça vous aiderait de faire de l’exercice physique ? Comment pourriez-vous vous organiser ? Pouvez-vous évaluer le pour et le contre ?”, etc. »

Selon le médecin suisse, on peut aussi utiliser l’intervention brève lors de la consultation. « Le médecin n’a qu’à demander au patient s’il bouge et pendant combien de temps. Cela permet d’entamer la conversation et de conscientiser le patient. On peut également le préparer en lui disant : “Votre visite d’aujourd’hui ne porte pas sur l’activité physique comme telle, mais peut-être qu’on en parlera plus en détail à notre prochain rendez-vous”. »

Dr Mathieu Saubade

Le Dr Saubade considère que des questions sur l’activité physique du patient doivent faire partie de l’interrogatoire médical. « Comme lorsque l’on prend la pression artérielle, mesure le taux de cholestérol sanguin ou le rythme cardiaque. À chaque visite du patient, il faudrait poser la ques­tion : bougez-vous ? Le verbe bouger doit être très présent dans la conversation. »

Il existe, par ailleurs, des outils qui peuvent aider le patient à avoir un mode de vie plus actif. Dans un résumé de recherche, le Dr Saubade a fait une recension de ce que certains pourraient qualifier de « gadgets », mais qui sont, en réalité, des instruments efficaces. Il y a, par exemple, le podomètre. Des études ont montré qu’il permettait aux patients d’augmenter leur nombre de pas de plus de 2000 par jour en moyenne. « Certaines personnes ne sont heureuses qu’avec cela, car elles arrivent à quantifier l’exercice qu’elles font. Elles se prennent au jeu et augmentent elles-mêmes leur rythme, font des concours avec leurs amis, leurs enfants, etc. »

Le Dr Saubade recommande également l’utilisation d’un carnet de suivi hebdomadaire et de technologies modernes dont, entre autres, les actimètres (systèmes permettant de quantifier le mouvement grâce à un accéléromètre), les bracelets et les montres connectées. Du côté moins technologique, avoir un chien peut être un excellent atout. « Les personnes qui ont des chiens sont beaucoup plus actives, notamment les aînés, précise le médecin. Promener un animal tous les jours a un effet bénéfique sur la condition physique et psychologique. »

Et vous Docteur ?

Les médecins aussi doivent faire de l’exercice. Le Dr Frémont, par exemple, nage régulièrement, fait du vélo, du ski de fond et du ski alpin. « Je ne suis pas un athlète de haut niveau, mais je fais du sport toute l’année. Je peux dire à mes patients que j’applique mes propres recommandations. »

L’Académie canadienne de la médecine du sport et de l’exercice conseille aux cliniciens de donner l’exemple et d’intégrer l’activité physique à leur propre vie, « non seulement pour leur propre santé et leur bien-être personnel, mais également pour donner plus de crédibilité à leur démarche et pour mieux comprendre les difficultés auxquelles les patients font face. »

Mais sportifs ou non, les médecins ont un rôle à jouer contre l’une des menaces les plus graves pour la santé publique : l’inactivité physique. « Avec une simple prescription d’activité physique, les médecins de première ligne disposent d’un outil supplémentaire pour instaurer un réel changement dans la vie des Canadiens », mentionne l’ACMSE. Pour l’organisme, le message issu des données probantes est clair : « Non seulement la prescription d’activité physique fonctionne, mais elle coûte moins cher que le recours unique aux autres solutions. Il faut agir maintenant. » //

Bibliographie

1. Thornton J, Fremont P, Khan K et coll. Physical Activity Prescription: A critical opportunity to address a modifiable risk factor for the prevention and management of chronic disease: a position statement by the Canadian Academy of Sport and Exercise Medicine. Clin J Sport Med 2016 ; 26 : 259–65 et Br J Sports Med 2016 ; 50 : 1109-14.

Version française de l’énoncé (sur le site de l’ACMSE) : http://casem-acmse.org/wp-content/uploads/201 /07/CASEM-PS-Exercise-prescription_FR-final.pdf ou bit.ly/2hh7xMl .