Entrevues

Entrevue avec le Dr Pierre Gosselin, président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Côte-Nord

loi 10 : plus de répercussions négatives que positives pour la Côte-Nord

Claudine Hébert  |  2017-02-28

Président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Côte-Nord, le Dr Pierre Gosselin constate que la loi 10 présente, jusqu’ici, plus d’inconvénients que d’avantages pour sa région. Et cela ne s’annonce guère mieux avec le projet de réorganisation des laboratoires de biologie médicale Optilab qui suscite la grogne de la population.

M.Q. — Quel sera l’impact du projet Optilab pour la Côte-Nord ?

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P. G. — Voilà une autre lubie du ministre Barrette. Cette réorganisation des laboratoires de biologie médicale au Québec, prévue pour le 1er avril 2017, va se traduire par la disparition de nos deux principaux laboratoires à Sept-Îles et Baie-Comeau. À l’exception des tests menés pour des urgences, le projet Optilab prévoit que tous les tests réalisés sur la Côte-Nord seront désormais analysés à Saguenay. Faut-il rappeler que ce laboratoire est situé à plus de 550 km de Sept-Îles et à plus de 750 km de Havre-Saint-Pierre ?

M.Q. — Et le transport en avion ?

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P. G. — Oubliez ça ! Il n’y a même pas de vols directs entre Sept-Îles et Bagotville. Que ce soit donc par voie aérienne ou routière, le transport des échantillons de tests prendra au moins une journée, voire deux jours s’ils proviennent de Blanc-Sablon. Ces journées de transport s’ajouteront au temps d’attente des patients. Tout ça pour sauver quoi ? Où est la véritable économie ? La population de Baie-Comeau a organisé une chaîne humaine devant l’Hôpital Le Royer au début du mois de janvier. Le député du comté, le préfet de la municipalité régionale de comté (MRC) et des centaines de citoyens ont manifesté pour décrier cette situation incongrue qui privera la population de la Côte-Nord de ses laboratoires biomédicaux. C’est un non-sens que notre région perde ces équipements. Sans compter les dizaines de pertes d’emplois que ça représente.

M.Q. — Outre Optilab, qu’est-ce qui cloche avec la loi 10 pour la Côte-Nord ?

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P. G. — D’abord, il faut comprendre que notre territoire est grand. Très grand. Il couvre plus de 1300 km de littoral et une superficie de près de 250 000 km2, soit le sixième de la province du Québec. Bien qu’une fusion d’établissements puisse convenir dans des secteurs comme le «514» et celui du «450», cette formule représente une tout autre réalité pour la Côte-Nord. Avant l’application de la loi 10, notre région avait deux principaux hôpitaux, soit ceux de Sept-Îles et de Baie-Comeau. Nous avions six centres de santé afin de répondre aux besoins d’hospitalisation, de services communautaires et d’urgence des patients. Ces centres sont situés à Port-Cartier, où je pratique, aux Escoumins, à Forestville, à Havre-Saint-Pierre, à Blanc-Sablon et à Fermont, toutes des villes aussi éloignées les unes que les autres. La plus petite distance est celle qui sépare Port-Cartier et Sept-Îles, soit 65 km. Chaque centre bénéficiait de sa propre direction. Aujourd’hui, avec la fusion tout est regroupé à Sept-Îles et Baie-Comeau. On se retrouve maintenant avec une gestion à l’horizontale, sans capitaine.

M.Q. — Comment cela affecte-t-il la Côte-Nord ?

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P. G. — Depuis l’entrée en vigueur de cette loi qui a fusionné nos établissements pour créer un immense CISSS, et non deux comme nous l’aurions souhaité, on assiste à une accumulation de situations absurdes qui n’aident en rien le climat de travail. À ce propos, les cas d’absentéisme et de maladie du personnel de santé sont en hausse dans la région. Le taux des employés en arrêt de travail au CISSS de la Côte-Nord atteint actuellement 15 %, ce qui correspond au double des taux que l’on voit ailleurs au Québec.

M.Q. — Pouvez-vous nous donner quelques exemples de situations qui minent le climat de travail ?

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P. G. — À Port-Cartier, il n’était jamais arrivé que trois infirmières prennent en même temps trois semaines de congé au cours d’un été. C’est pourtant ce qui s’est produit l’an dernier : trois infirmières, qui relèvent maintenant de cinq directeurs répartis sur le territoire, ont chacune demandé les mêmes semaines de vacances. Aucun directeur n’a fait de lien avant de leur accorder congé.

M.Q. — Quelles sont les autres conséquences de cette harmonisation ?

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P. G. — Avant la loi 10, nous pouvions garder un patient en observation pendant 48 heures avant de le transférer au Centre hospitalier de Sept-Îles. Avec la loi 10, ce temps d’observation est limité à 24 heures, voire à 12 heures dans certains cas. Prenons par exemple un patient âgé qui fait un début de bronchite et qui est sous antibiotiques. En transportant ce patient vers Sept-Îles, qui se trouve à 65 km de Port-Cartier, on vient d’éloigner ce dernier de sa famille et de ses proches. Pourtant, nous savons, par expérience, que ce qui favorise le rétablissement d’un patient hospitalisé est la possibilité de voir ses proches.

M.Q. — Comment réussissez-vous à composer avec ces situations frustrantes ?

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P. G. — Je dois reconnaître que ces situations nous poussent à vouloir agir comme des Gaulois, à être un peu rebelles. Évidemment, chaque fois que l’on déroge aux nouvelles normes, on se fait reprocher de ne pas les suivre.

M.Q. — La loi 10 a-t-elle tout de même quelques points positifs ?

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P. G. — Grâce à cette fusion, nous savons ce qui se passe dans tous les établissements de la région. Tous les livres sont désormais ouverts. On profite aussi de l’expertise de nos collègues du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens lequel regroupe environ 210 docteurs dans la région. Il y a aussi un meilleur partage lors de la mise en place de nouveaux protocoles. Avant, chacun faisait sa petite affaire, ce qui donnait lieu à des dédoublements de travail. Maintenant, lorsqu’il y a un protocole mis en place, tous les médecins de la région utilisent le même.

M.Q. — Et en termes d’économie, que rapporte la loi 10 pour la région ?

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P. G. — C’est bien ça le problème. Nous n’avons toujours pas de statistiques ou d’éléments qui nous démontrent que ce changement du système a permis de réduire nos coûts. En fait, on affiche actuellement un déficit de six millions de dollars, montant qui correspond au coût des arrêts de travail du personnel dans notre région. Pourtant, avant la loi 10, nous avions atteint l’équilibre budgétaire. On enregistrait même un léger surplus à notre établissement de Port-Cartier.

M.Q. — Tout ça doit finir par affecter le recrutement de médecins dans la région ?

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P. G. — C’est en effet ce qui se produit. Depuis 2009, nous parvenions chaque année à pourvoir 80 % des postes de notre plan régional d’effectifs médicaux (PREM) pour la Côte-Nord. L’année 2017 s’annonce plutôt difficile. Seulement six candidats ont jusqu’ici postulé pour l’un des 16 postes accessibles. Les salaires ne suffisent plus. On subit les insécurités politiques et les jeunes médecins craignent de ne pas pouvoir retourner dans les grands centres.

M.Q. — Et votre moral dans tout ça ?

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P. G. — Pour le moment, tout ceci a diminué le sentiment d’appartenance chez nos professionnels de la santé. Un sentiment que je ressens moi aussi. C’est comme si nous avions perdu notre identité. On nous a déshabillés, sans jamais nous redonner nos vêtements. Malgré tout, je demeure positif. On en a vu d’autres. Nous devrions finir par assurer une meilleure cohésion. Enfin, je l’espère.