Nouvelles syndicales et professionnelles

Projet de loi no 118

Les omnipraticiens pourront-ils continuer à faire des échographies ciblées en cabinet ?

Nathalie Vallerand  |  2017-02-28

Le projet de loi no 118 laisse planer un flou autour de l’avenir de l’échographie ciblée en cabinet. S’il est adopté tel quel, la qualité des soins de première ligne pourrait être compromise.

Dr Godin à la commission

La FMOQ veut soustraire l’échographie en cabinet de l’application du projet de loi no 118, qui vise à remplacer la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres. Le prési­dent de la FMOQ, le Dr Louis Godin, en a fait la demande au gouvernement, le 25 janvier dernier, lors des auditions publiques de la Commission de la santé et des services sociaux.

« Nous vous faisons part de nos préoccupations quant à la possibilité que le projet de loi no 118 limite l’utilisa­tion de l’échographie en cabinet, particulièrement l’échographie ciblée effectuée par les médecins de famille. Nous aime­rions qu’au contraire on puisse favoriser et étendre son uti­li­sation », a déclaré le Dr Godin qui était accompagné du Dr Sylvain Dion, deuxième vice-président de la FMOQ, et de Me Pierre Belzile, di­rec­teur des services juridiques.

Les imprécisions, voire les silences, de la future loi sont source d’inquiétudes. « Dorénavant, les échographies devront en principe se concevoir seulement dans le cadre d’un laboratoire d’imagerie médicale, constate Me Belzile. Pour exploiter un laboratoire, il faudra un permis, dont les modalités seront déterminées par règlement. Mais on n’a aucune indication sur la teneur de ce règlement ! On ne sait même pas s’il est rédigé. »

Dans sa mouture actuelle, le projet de loi soulève bien des questions. S’applique-t-il aux médecins de famille ? Si oui, ceux-ci devront-ils se soumettre à des restrictions quant à l’échogra­phie ciblée ? Auront-ils besoin d’un permis ? Et, pire scénario de tous, le gouvernement pourrait-il aller jusqu’à interdire les écho­graphies en cabinet ?

Sur ces interrogations, le ministre de la Santé et des Services sociaux, M. Gaétan Barrette, s’est montré peu loquace lors du passage de la Fédération en commission parlementaire, selon Me Belzile. « Il ne nous a pas rassurés. Il n’a pas dit que la loi ne s’appliquerait pas aux échographies ciblées effectuées dans les cliniques médicales. » Autrement dit, c’est l’incertitude.

Le stéthoscope de l’avenir

Pour les omnipraticiens, l’enjeu est de taille : ils sont nombreux à recourir à l’échographie ciblée dans leur pratique quotidienne. « L’échographie deviendra très bientôt un outil aussi essentiel que le stéthoscope pour la démarche clinique d’un médecin de famille », souligne le mémoire de la Fédération.

La Dre Odile Kowalski, médecin de fa­mille au GMF l’Envolée, à Montréal, peut en témoigner. À ses débuts en santé reproductive des femmes en 1993, l’écho­graphie à l’aide d’un appareil portable n’existait pas.

« C’était une médecine boîte à surprise, se souvient-elle. Par exemple, il arrivait qu’à la première visite d’un suivi de grossesse, l’examen pelvien de la pa­tiente et la recherche du battement de cœur fœtal ne permettent pas de confirmer la grossesse. Les patientes devaient alors être dirigées vers l’hôpital pour une échographie de viabilité fœtale. L’acquisition d’un premier appareil d’écho­graphie a permis d’éviter à ces patientes l’angoisse de l’attente de ce rendez-vous. »

Aujourd’hui, la Dre Kowalski ne pourrait plus concevoir sa pratique sans cette technique d’imagerie médicale grâce à laquelle ses diagnostics sont plus précis et les suivis en centre hospitalier, l’exception. Les patientes n’ont ainsi plus besoin de se déplacer à l’hôpital pour faire confirmer une grossesse arrêtée ou vérifier la position du bébé au troisième trimestre.

« La clientèle est prise en charge et suivie en ambulatoire, sauf pour les urgences », dit-elle. Il en résulte une économie de temps et d’argent pour les patients et pour le système de santé.

La Dre Marie-Josée Gaudreau, omnipraticienne à la Clinique Fémina de Montréal, abonde dans le même sens. Citée dans le mémoire de la Fédération, elle explique : « En gynécologie, contraception et suivi de ménopause, le triage échographique que les médecins omnipraticiens font fréquemment élimine très souvent le besoin d’avoir recours à l’expertise d’un radiologiste. Un kyste simple ou hémorragique des ovaires, des fibromes ou des anomalies utérines en sont quelques exemples. »

Il n’y a pas qu’en santé des femmes que l’échographie en cabinet est utile. La Fédération fait valoir dans son document qu’elle améliore également le dépistage, le diagnostic différentiel, le plan de traitement et le suivi de plusieurs affections médicales. Plusieurs exemples sont énumérés : diagnostic et suivi de cellulite, recherche de corps étranger, reconnaissance de fracture simple, infiltration d’une articulation, évaluation de la fonction pulmonaire chez l’enfant, etc.

Un frein au progrès

Pour le ministre Barrette, la future loi vise « d’abord et avant tout un objectif de protection du public. » La FMOQ estime pour sa part, et son président l’a dit clairement en commission parlementaire, que la responsabilité d’encadrer l’utilisation des échographies en cabinet et d’établir des normes de formation revient au Collège des médecins.

Le Dr Godin a aussi assuré aux députés présents que la Fé­dé­ration ne demande pas « un chèque en blanc », mais qu’elle veut plutôt éviter de « se retrouver dans une mécanique administrative qui sera très lourde » et qui retardera le développement de l’échographie en cabinet.

Pierre Belzile

Cette technologie permet d’améliorer les services aux patients et de leur rendre la vie plus facile, a-t-il plaidé. « Les appareils verront leur prix dégringoler au cours des prochaines années. On doit s’adapter à cette réalité-là et rendre les opportunités disponibles pour nos patients. » D’autant plus que les jeunes médecins s’approprient plus rapidement et plus facilement les technologies.

Au-delà d’une bureaucratie accrue, le projet de loi no 118 fait craindre une mainmise des radiologistes sur les échographies hors établissement. « Un tel scénario serait catastrophique pour l’avenir de la médecine de famille, l’efficience de la première ligne médicale et la qualité des soins aux patients », soutient la Fédération dans son mémoire. Et elle entend suivre de près les travaux de la Commission de la santé et des services sociaux. « Si cet exercice législatif vient restreindre ou éliminer l’utilisation de l’échographie ciblée par les omnipraticiens, nous envisagerons d’autres démarches », promet Me Belzile. //