centraliser davantage le contrôle de la profession médicale ?
Présenté à l’Assemblée nationale le 9 décembre 2016 par le ministre Gaétan Barrette, le projet de loi no 130 fait beaucoup parler de lui. Plusieurs médecins voient dans celui-ci une nouvelle action du ministre n’ayant pour but que d’accentuer et de centraliser davantage le contrôle de la profession médicale. Peut-on vraiment en arriver à une telle conclusion ?
De prime abord, la lecture du projet de loi no 130 permet de constater que celui-ci s’inscrit dans la continuité des projets de loi no 10 (abolissant les agences de la santé) et no 20 (devant favoriser l’accès aux services médicaux) en 2015. À cet égard, le ministre de la Santé ne s’en est pas caché. Lors de son point de presse tenu le jour même de la présentation de son projet de loi, il mentionnait aux journalistes présents : « Il y a eu plusieurs projets de loi qui ont été déposés, que j’ai déposés. Il y a eu la loi no 10, qui est une loi de structure et d’économie budgétaire. Il y a eu la loi no 20, qui visait à faire en sorte que vous, vous, les citoyens et les citoyennes, aient (sic) accès à un médecin de famille. [...] Mais il manquait une pièce dans ce puzzle-là, il en manquait une qui est celle de l’inclusion, comme partenaire à part entière, comme individu, comme membre intégré, pas autonome complètement, pas séparé du système, qui est celui du médecin dans notre réseau. » (www.assnat.qc.ca / Conférences et points de presse / M. Gaétan Barrette / 9 décembre 2016).
Comme on peut le constater en lisant le projet de loi et en écoutant les explications du ministre, cette pièce législative s’inscrit entièrement dans une démarche et dans une logique planifiées depuis déjà longtemps par le ministre et le gouvernement.
Depuis l’adoption des lois no 10 et no 20, sauf exception, toutes les fonctions, tous les pouvoirs et toutes les responsabilités qu’une agence exerçait auparavant à l’égard des établissements de son territoire tombaient entre les mains du ministre de la Santé. L’addition de nouveaux pouvoirs aux anciens pouvoirs maintenant dévolus au ministre à la suite de l’application de ces deux lois, aura considérablement élargi les possibilités qu’a ce dernier d’agir personnellement sur la destinée du réseau. Pour ne donner que quelques exemples, mentionnons que le gouvernement aura ainsi donné au ministre les pouvoirs suivants :
h prescrire des règlements et émettre des directives relativement à la structure organisationnelle et à l’élaboration des plans d’organisation des établissements ;
h donner des directives aux établissements quant aux modalités de répartition des médecins, toutes spécialités confondues, entre les installations d’un établissement ;
h obliger tout établissement à procéder à une réorganisation administrative ;
h décider annuellement d’un plan de répartition des médecins de famille en première ligne ;
h approuver les demandes de privilèges de chaque médecin désirant exercer en établissement.
Ce bref aperçu des pouvoirs du ministre illustre bien à quel point la centralisation des prises de décisions aura marqué le contenu législatif du domaine de la santé ces dernières années.
Le projet de loi no 130 constitue assurément la suite logique de la vision gouvernementale dans sa façon de structurer notre réseau de santé. Pour s’en convaincre, examinons de plus près quelques faits saillants de ce projet de loi.
En vertu de celui-ci, le ministre de la Santé :
h recevrait d’emblée tous les plans d’organisation que doivent préparer les établissements, et les approuverait avec ou sans modification ;
h pourrait, de façon discrétionnaire, ajouter des obligations de travail en première ligne aux médecins désirant obtenir des privilèges dans un établissement.
Si le projet de loi no 130 était adopté, signalons par ailleurs que les responsabilités et la marge de manœuvre d’un grand nombre de conseils institués en établissement seraient réduites de manière importante. Mentionnons ainsi que :
h Les conseils des médecins dentistes et pharmaciens (CMDP) perdraient le pouvoir de recommandation qu’ils possèdent à l’égard du plan d’organisation des établissements et ne seraient dorénavant que simplement consultés.
h Tout projet de règlement du conseil d’administration d’un établissement ou d’un CMDP et tout projet de règlement d’un DRMG devraient dorénavant être autorisés par le ministre lui-même. Le projet de loi prévoit même que son autorisation pourrait être conditionnelle à ce que des modifications soient apportées.
Il faut également souligner que le projet de loi no 130 veut éliminer la présomption selon laquelle un médecin fait toujours une demande de renouvellement selon les termes de sa dernière demande. Les obligations ne seraient plus établies sur recommandation du CMDP, ces derniers étant désormais uniquement consultés à cet égard. Les obligations pourraient tout simplement provenir du ministre lui-même par voie de directives expédiées aux établissements. Chaque renouvellement de privilèges ferait ainsi l’objet d’un nouvel engagement signé par le médecin dans l’intention de le faire respecter. Il serait également conditionnel à ce que le directeur des services professionnels (DSP) donne son avis sur le respect, par le médecin, des obligations se rattachant à son dernier avis de nomination.
S’il est adopté, le projet de loi no 130 encadrerait plus que jamais l’exercice de la médecine. Il retirerait aussi aux paliers institutionnels régionaux et locaux beaucoup en matière d’initiative et de leviers. Peu de place, sinon aucune, n’est laissé à la cogestion médicale et à l’apport des acteurs locaux dans l’organisation des services. Devant un tel constat, force est d’admettre que ce projet de loi poursuit là où se sont arrêtées les lois 10 et 20. Il est clair que les instructions et les décisions relatives à la pratique médicale et à l’organisation des services passeront essentiellement par le ministre.
Tel qu’il a été posé dans l’amorce de cet article, doit-on voir dans le projet de loi no 130 une nouvelle action gouvernementale dont le but est d’accentuer et de centraliser davantage l’organisation des services et de la profession médicale et de mettre son contrôle entre les mains du ministre de la Santé et des Services sociaux ? La réponse est assurément affirmative. //