le paradoxe américain
Les États-Unis ont formalisé l’échange de renseignements entre pays pour mettre la main au collet des contribuables fautifs. Sauf que la réciprocité n’est pas au rendez-vous.
En 2008, la banque suisse UBS a été au cœur d’un scandale retentissant dont les conséquences continuent de se faire sentir à l’échelle planétaire. Les autorités fiscales américaines l’ont accusée d’avoir effectué, entre 2000 et 2007, du démarchage transfrontalier illégal en proposant des services de banque privée à quelque 20 000 citoyens américains fortunés dont les avoirs se chiffraient à 20 milliards de dollars (20 G$). Selon l’acte d’accusation, environ 17 000 d’entre eux ont dissimulé leur identité et l’existence de leurs comptes bancaires suisses au fisc américain.
En 2009, UBS a accepté de verser des amendes totalisant 780 M$ et de transmettre les noms d’environ 4 450 clients américains.
Afin de mieux contrôler les comptes des contribuables américains au sein d’institutions financières étrangères et d’empêcher leur utilisation à des fins d’évasion fiscale, les États-Unis ont adopté, en mars 2010, le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA).
Cette loi oblige les institutions financières non américaines à transmettre à l’Internal Revenue Service (IRS) – le fisc américain – toute information pertinente sur des comptes financiers détenus par un client répondant à la définition de « personne des États-Unis » (U.S. person). Or, cette définition est très large (voir encadré ci-contre).
Si une institution ne respecte pas cette exigence, l’IRS peut imposer une retenue d’impôt de 30 % sur les paiements de sources américaines versés à l’institution financière concernée ou à ses clients.
En 2014, le Canada et les États-Unis ont signé l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique en vue d’améliorer l’observation fiscale à l’échelle internationale au moyen d’un meilleur échange de renseignements en vertu de la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune. En vertu de cet accord, le Canada a accepté d’adopter et de faire respecter des lois obligeant les institutions financières du pays à collecter des renseignements sur les comptes déclarables (reportable accounts) et à les transmettre annuellement. Depuis 2015, l’Agence du revenu du Canada (ARC) reçoit ces informations et les communique à l’IRS.
Soumises à ces obligations légales, les institutions financières canadiennes doivent s’assurer, lors de l’ouverture d’un compte par un nouveau client, d’avoir en main les renseignements nécessaires pour déterminer s’il s’agit d’un compte déclarable par une personne des États-Unis au sens du FATCA. En pratique, elles peuvent demander à leurs clients d’attester ou de préciser leur situation aux États-Unis.
Il faut souligner que ce n’est pas aux exigences de la loi américaine que les institutions financières canadiennes doivent se conformer, mais bel et bien aux directives techniques détaillées de l’ARC aux fins de l’application de l’Accord.
Même si une majorité de citoyens canadiens n’entrent pas dans la définition de « personne des États-Unis », une institution financière qui a des raisons de croire qu’un client est susceptible d’en être une peut lui demander de fournir des preuves confirmant qu’il n’est pas une personne des États-Unis. S’il ne le fait pas, l’institution est légalement tenue de transmettre les renseignements qu’elle détient sur les comptes de ce client à l’ARC qui, elle, les communique à l’IRS.
Au Canada, les institutions financières doivent déclarer la plupart des types de comptes détenus par des personnes des États-Unis, dont des comptes de courtage ou des contrats de rente. Par contre, les régimes enregistrés suivants ne sont pas assujettis à l’exigence de déclaration de l’Accord :
h le régime enregistré d’épargne-retraite (REER) ;
h le compte d’épargne libre d’impôt (CELI) ;
h le régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI) ;
h le régime de pension agréé (RPA) ;
h le fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) ;
h le régime de pension agréé collectif (RPAC) ;
h le régime enregistré d’épargne-études (REEE) ;
h le régime de participation différée aux bénéfices (RPDB).
Cette exemption ne signifie pas pour autant que les revenus générés par ces types de comptes n’ont pas à être divulgués, le cas échéant, dans la déclaration de revenus annuelle qu’une personne des États-Unis doit produire auprès du fisc américain.
De façon générale, toutes les institutions financières canadiennes (incluant les sociétés de fonds communs de placement et les firmes de courtage) doivent se conformer à l’Accord, au même titre qu’à l’ensemble des dispositions fiscales canadiennes. Cependant, certaines catégories d’institutions financières de plus petite taille, de même que des institutions qui desservent uniquement des clients locaux, sont soumises à des exigences moindres, tandis que celles de très petite taille en sont exemptées.
Une institution tenue de se conformer à l’Accord doit procéder à un examen de tous ses comptes, nouveaux comme anciens, afin d’identifier les clients susceptibles d’être qualifiés de personnes des États-Unis et, le cas échéant, leur demander de fournir des documents attestant qu’ils ne répondent pas aux critères.
Selon certains analystes internationaux, la lutte à l’évasion fiscale entreprise à la suite de l’adoption du FATCA a d’abord consisté à utiliser la manière forte, soutenue par des exigences coûteuses1, afin de contraindre les institutions financières étrangères à régulariser les situations fiscales non conformes de leurs clients américains. Une multitude d’institutions se sont donc débarrassées de leurs clients américains et ont payé des pénalités salées pour délit d’évasion fiscale.
Les États-Unis encaissent ainsi des sommes colossales, car ils sont le seul pays à avoir refusé de mettre en œuvre la Norme d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nos voisins du Sud accueillent ainsi à bras ouverts des détenteurs étrangers à la recherche d’« abris » où on ne leur pose pas de questions sur leur identité et qui refusent de transmettre des informations sur la provenance de leurs actifs.
En pratique, les États-Unis acceptent que les actifs non déclarés et non déclarables de clients du monde entier se retrouvent dans leurs banques des États du Delaware, du Nevada et du Wyoming, qui sont de véritables paradis fiscaux et qui refusent systématiquement d’échanger des renseignements ou d’identifier des clients étrangers.
De fait, le pays de l’oncle Sam refuse de faire preuve lui-même de la transparence qu’il exige pourtant du reste du monde. Deux poids, deux mesures, certes, mais loufoquerie aussi aux yeux de certains observateurs. //
1. La conformité au FATCA est très onéreuse pour les banques étrangères alors que les banques américaines n’ont aucune dépense à assumer, compte tenu de l’absence de réciprocité.
Note de l’auteur. Ce texte est uniquement de nature informative et ne doit être considéré d’aucune façon comme une analyse de l’Accord ni comme des conseils de nature juridique ou financière relatifs à ce dernier. La consultation d’un professionnel demeure de rigueur pour comprendre l’Accord.
Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages par Conseil et Investissement Fonds FMOQ inc. et ses mandataires. Il n’engage que ses auteurs.