Dossiers spéciaux

Nutrition et mort de nature cardiométabolique

l’effet de l’apport non optimal d’aliments-clés

Emmanuèle Garnier  |  2017-05-29

Une consommation insuffisante de bons aliments, comme les fruits et les légumes, serait aussi néfaste que la prise de mauvais aliments, comme les boissons sucrées. Et cela serait visible dans le taux de mortalité, selon une nouvelle étude du JAMA.

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En 2012, aux États-Unis, 45 % des morts dues aux maladies cardiovasculaires et au diabète étaient associées à un apport non optimal d’un ensemble de dix aliments : fruits, légumes, noix, grains entiers, viande rouge, viande transformée, boissons sucrées, gras polyinsaturés, oméga-3 et sodium, selon une nouvelle étude publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA)1.

Ne pas manger suffisamment de bons aliments pourrait être aussi mortel que d’en consommer des mauvais. Un exemple ? Le taux de mortalité associé à un manque de noix et de graines est presque aussi élevé que celui qui est lié à un excès de sel. Une carence en fruits et en légumes serait aussi néfaste que l’abus de boissons sucrées.

Une chercheuse de Boston, Mme Renata Micha, et ses collaborateurs sont parvenus à ces résultats en analysant les données de 700 000 décès de nature cardiométabolique – c’est-à-dire dus aux maladies cardiaques, aux accidents vasculaires cérébraux (AVC) et au diabète de type 2 – survenus il y a cinq ans dans la population américaine.

Les chercheurs ont étudié non seulement l’effet des dix aliments ensemble, mais aussi leur influence individuelle. Ils ont estimé que le taux de mortalité le plus important était associé à l’excès de sel (9,5 % de toutes les morts de nature cadiométaboliques). Venaient ensuite l’insuffisance de noix et de graines (8,5 %), puis la consommation de viandes transformées (8,2 %), le manque d’oméga-3 venant des poissons (7,8 %), la carence en fruits (7,5 %) et en légumes (7,6 %) ainsi que la prise de boissons sucrées (7,4 %) (tableau I).

Nutrition - Dr Carrel

« C’est la première fois que l’on met en évidence l’effet aussi important de l’alimentation sur les maladies cardiovasculaires dans une population aussi nombreuse. Je ne m’attendais pas à un résultat de cette ampleur », affirme le Dr Dominique Garrel, endocrinologue ayant une expertise en nutrition.

Les chercheurs ont utilisé, dans un modèle comparatif d’évaluation du risque, les données démographiques et les habitudes alimentaires d’adultes de 25 ans et plus suivis dans le cadre des National Health and Nutrition Examination Surveys (NHANES). Ils se sont également servis du taux de mortalité estimé par maladie du National Center for Health Statistics et de données de méta-analyses sur les associations entre alimentation et maladies cardiométaboliques. L’étude du JAMA comprenait en tout plus de 500 000 décès causés par des maladies cardiaques, presque 130 000 par des AVC et 68 000 par le diabète de type 2.

« La qualité de la collecte des données de cette étude est formidable. Cela fait 30 ans que les analyses faites à partir des NHANES nous apprennent comment différents facteurs jouent un rôle dans les maladies cardiovasculaires, indique le Dr Pavel Hamet, chercheur et chef du Service génique du Centre hospitalier de l’Université de Montréal. C’est une étude importante, mais qui doit cependant être analysée avec des précautions. Il n’y a pas que l’alimentation qui compte. Cette recherche ne prend pas en considération des facteurs comme l’exercice ou la prise de médicaments. »

Bons et mauvais aliments

Sel

Le sel, que les chercheurs du JAMA pointent comme une cible-clé, est l’aliment qui fait le plus de ravages : la prise de plus de 2000 mg/j était liée à 10 % de toutes les morts dues à des maladies coronariennes et à 11 % des décès par AVC (tableau I).

Comment inciter les gens à consommer moins de sel ? On peut leur recommander de ranger la salière. « Elle est toutefois responsable de seulement 5 % des apports en sel de l’alimentation, précise le Dr Garrel, qui enseigne à l’Université de Montréal. Le message le plus efficace est : “Ne consommez pas de produits transformés”. Chaque fois que l’on achète des aliments ou des repas tout prêts, on ingère des quantités astronomiques de sel. »

Il serait par ailleurs possible de contrecarrer les effets néfastes du sel par un autre élément : le calcium. Le Dr Hamet l’a montré dans son Étude de Montréal2-3. « Si vous avez assez de produits laitiers ou de calcium dans votre nourriture, l’effet du sodium est beaucoup plus faible », indique le chercheur. L’un de ses articles, publié dans l’American Journal of Hypertension, a montré que l’effet protecteur du calcium est particulièrement important chez les grands consommateurs de sel. Ainsi, chez des sujets dont la prise de sodium est élevée, l’apport de 400 mg de calcium/1000 kcal réduit la pression systolique de 10 mmHg et la pression diastolique de 6 mmHg2.

Nutrition - Tableau I

Noix et graines

« Pour moi, l’élément le plus étonnant de l’étude du JAMA est certainement l’importance de l’effet des noix et des graines. C’est vraiment phénoménal », souligne le Dr Garrel. La consommation de moins de 20 g/j de noix et de graines était liée à 8,5 % de toutes les morts cardiométaboliques de l’étude. Ce résultat est d’autant plus surprenant que la cohorte des NHANES constitue un échantillon de la population générale et ne présente donc pas de risque particulier.

Ces données pourraient confirmer dans une certaine mesure les résultats de l’étude PREDIMED, indique le Dr Garrel4. Publié en 2013, l’essai à répartition aléatoire comparait trois régimes alimentaires : une alimentation à faible teneur en gras, un ré­gime méditerranéen avec un supplément d’huile d’olive et un autre régime méditerranéen avec un ajout de 30 g/j de noix : 15 g de noix, 7,5 g de noisettes et 7,5 g d’amandes. Réalisée en Espagne, cette recherche en prévention primaire ciblait, contrairement à l’étude américaine, des personnes ayant de forts risques de complications cardiovasculaires.

Au bout de cinq ans, les deux régimes méditerranéens avaient permis de réduire d’environ 30 % les complications cardiovasculaires. « L’alimentation comprenant des noix avait toutefois un effet beaucoup plus important sur les accidents vasculaires », mentionne le Dr Garrel. Il avait abaissé de 46 % (P = 0,006) le taux d’AVC alors que le régime comprenant de l’huile d’olive l’avait réduit de 33 % (P = 0,04). « Aucun médicament n’a cette efficacité de presque 50 %. D’ailleurs, depuis cet essai clinique, je prescris le mélange de noix et de noisettes étudié à mes patients à risque. Ce n’est pas une conviction personnelle ; c’est de la science. »

Les résultats de PREDIMED et l’étude du JAMA ne coïncident toutefois pas totalement. Dans la recherche américaine, la prise d’une quantité trop faible de noix et de graines était liée aux décès causés non pas par les AVC, mais par les maladies coronariennes (15 %).

Dr Hamet

Viandes transformées et viandes rouges

La consommation de viandes transformées serait associée à 8,2 % des morts de nature cardiométabolique. À l’opposé, la prise de plus de 14 g/j de viande rouge ne serait liée qu’à 0,4 % des décès de ce type. « La grande originalité de l’étude a été de ne pas mettre toutes les viandes dans le même groupe. Cela fait longtemps que l’on sait que les charcuteries ne sont pas très bonnes pour la santé. Par contre, on voit que la viande non transformée est relativement inoffensive », dit le Dr Garrel.

Le médecin n’en est d’ailleurs pas vraiment étonné. « Il n’y avait pas de raison objective de penser que la viande rouge comporte des éléments nocifs. En Argentine, les gens consomment plus de bœuf que nous et ont deux fois moins d’infarctus, parce que la qualité de la viande est très différente. Leurs animaux ont couru dehors et se sont nourris en broutant de l’herbe. C’est complètement différent d’un animal alimenté avec de la moulée qui contient beaucoup moins d’oméga-3. »

Le Dr Hamet estime lui aussi que la viande rouge a sa place dans une bonne alimentation. « Depuis 20 ans, on mange beaucoup plus de poissons, de crustacés et de viande blanche, ce qui est sain. Néanmoins, la viande rouge doit faire partie de notre alimentation pour éviter l’anémie », explique le professeur de l’Université de Montréal.

Oméga-3

La Dre Micha et ses collaborateurs ont évalué qu’un apport de moins de 250 mg/j en oméga-3 venant des poissons était associé à 7,8 % des morts d’origine cardiométabolique. « En général, les études indiquent que la consommation de poissons est bien meilleure que la prise de suppléments d’oméga-3. Probablement qu’avec les oméga-3 du poisson, viennent d’au­tres nutriments bons pour la santé », mentionne le Dr Garrel.

L’ingestion de poissons gras est donc à conseiller. Mais pour certains, la consommation de saumon est à proscrire pour des raisons écologiques. « Je dis à mes patients : “La meilleure façon de prendre des oméga-3 est de manger une boîte de sardines. Vous avez là la quantité d’oméga-3 nécessaires pour une semaine” », mentionne l’endocrinologue.

Fruits et légumes

Une consommation de moins de 300 g/j de fruits, tout comme la prise de moins de 400 g/j de légumes, serait liée à quelque 7,5 % des décès cardiométaboliques et à 22 % des morts par AVC (tableau I).

L’action protectrice des fruits et des légumes est très importante, affirme le Dr Hamet. « Un régime riche en potassium, qui est le mécanisme en jeu, diminue de beaucoup les AVC. On l’a aussi montré chez les animaux. »

Boissons avec sucre ajouté

La simple consommation de boissons sucrées, peu importe la quantité, serait néfaste. L’étude du JAMA la liait à 11 % des décès causés par une maladie coronarienne. « Même une canette par jour, c’est trop », indique le Dr Garrel, qui n’est pas étonné du résultat. « Depuis quelques années, on a entre autres découvert la toxicité du fructose, qui est le principal sucre que l’on trouve dans les boissons gazeuses. »

On a longtemps ignoré les effets nocifs du sucre. « La société avait tellement peur du cholestérol qu’elle l’a remplacé par le sucre, indique le Dr Hamet, également endocrinologue. Quand vous allez au supermarché, vous avez de la difficulté à trouver un yogourt à 2 %. Ils sont tous à 0 %. Les gens pensent : “zéro, c’est extraordinaire !” Mais le gras est remplacé par de l’amidon pour que le yogourt garde sa consistance. Mes pa­tients diabétiques dont la glycémie est bien maîtrisée savent qu’un yogourt à 0 % augmente le taux de sucre dans le sang. »

Et les produits laitiers ?

Le Dr Hamet est surpris de l’absence d’un type d’aliments dans l’étude : les produits laitiers. « Dans le guide alimentaire canadien, c’est une classe importante. Et le fait de prendre du calcium atténue les méfaits du sodium. »

Les produits laitiers sont par ailleurs un élément clé du régime DASH (Dietary Approches to Stop Hypertension), qui est recommandé par l’American Heart Association pour diminuer l’hypertension.

Par rapport à une alimentation américaine type, le régime DASH réduit la pression systolique de 5,5 mmHg et la pression diastolique de 3,0 mmHg, selon un essai clinique publié en 1997. L’effet du régime, qui fête ses 20 ans, commence à devenir visible après seulement deux semaines5.

« Ce régime qui comporte beaucoup de fruits, de végétaux et de produits laitiers, a été inspiré par notre Étude de Montréal, précise le Dr Hamet. Les chercheurs de l’étude DASH avaient aussi testé préalablement un régime seulement riche en fruits et en légumes, donc riche en potassium, mais il ne baissait pas la pression. Pour bénéficier de l’augmentation du potassium dans l’alimentation, il faut avoir assez de calcium. »

Âge

Peu de jeunes sont morts d’une complication cardiométabolique dans l’étude du JAMA. Cependant, quand elle frappait des sujets entre 25 et 34 ans, elle était liée à une alimentation sous-optimale dans 64 % des cas.

L’aliment le plus associé aux morts cardiométaboliques chez les personnes de 25 à 64 ans était les boissons sucrées. Ce résultat s’explique aisément. « Le foie synthétise un peu de graisses à partir des sucres. Cependant, dans les heures qui suivent la consommation d’une canette de boisson gazeuse, qui contient surtout du fructose, cette synthèse double. Il s’agit d’une toxicité aiguë qui survient même avec de petites quantités de boissons sucrées », indique le Dr Garrel. La graisse qui s’accumule ensuite dans le foie crée différents problèmes : résistance à l’insuline, augmentation de glycémie, maladies métaboliques, etc. « Ce n’est donc pas étonnant que la consommation de boissons sucrées provoque chez les gens jeunes l’apparition de problèmes cardiovasculaires prématurés. »

Pour le spécialiste, les boissons gazeuses sont un peu comme la cigarette et les accidents de la route. « Elles touchent les jeunes et provoquent des morts évitables. » La solution n’est cependant pas hors de portée. « C’est beaucoup plus facile de s’abstenir de boire des boissons sucrées que de changer complètement son alimentation. On sait maintenant que le fait de ne plus consommer des boissons gazeuses améliore de façon considérable la santé et diminue le risque d’avoir un accident cardiovasculaire. »

Si l’ennemi numéro un chez les personnes de moins de 64 ans est le sucre, chez les gens âgés, c’est le sel. Vient ensuite l’insuffisance de noix, de graines et de légumes. Chez les plus jeunes, l’ennemi numéro deux est la viande transformée (tableau II).

Appliquer les conclusions de l’étude

Jusqu’où peut-ont se fier aux chiffres que présentent l’étude ? La consommation de viandes transformées est-elle vraiment liée à deux fois plus de morts de nature coronarienne (12,3 %) que le manque de fruits (6,4 %) (tableau I) ?

Nutrition - Tableau II

Il faut davantage considérer l’ordre de grandeur que les chif­fres absolus, estime le Dr Hamet, également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique prédictive. « Ce n’est pas une étude à répartition aléatoire. Il faut donc se méfier, car il peut y avoir d’autres phénomènes qui sont associés aux décès sans qu’on s’en rende compte. Ce genre d’étude est surtout utile pour émettre des hypothèses. »

Le Dr Garrel est du même avis. « C’est une étude d’associations. On ne peut pas établir de lien de causalité. Et surtout, cette étude ne montre pas que la diminution de la consommation, par exemple, de boissons gazeuses réduirait l’incidence des maladies cardiovasculaires. »

Selon le Dr Hamet, les auteurs n’ont par ailleurs pas tenu compte de nombreux facteurs. « L’alimentation n’est pas tout. L’exercice, par exemple, est omis. La question de la génétique n’est pas du tout abordée. La prise de médicaments n’est pas mentionnée. De très grands progrès ont eu lieu dans le domaine de l’hypertension artérielle. »

L’absence de données sur la prise de médicaments n’ennuie toutefois pas le Dr Garrel. Au contraire. À ses yeux, cet élément renforce l’étude, surtout en ce qui concerne les gens de plus de 65 ans. « On sait que de nombreux Américains âgés prennent des statines. Cela veut dire que malgré l’effet des médicaments, les éléments nutritionnels ressortent de façon très significative. Si l’action des médicaments avait été beaucoup plus importante que celle des nutriments après 65 ans, l’effet des aliments ne serait pas apparu. »

Le Dr Garrel est cependant d’accord avec son collègue en ce qui concerne l’activité physique. « Il est certes très difficile d’évaluer ce paramètre. Toutefois, c’est la sédentarité qui est catastrophique, et elle est plus facile à mesurer que l’activité physique elle-même. »

Le grand nombre de sujets est un atout important de l’étude. Il a permis de faire de nombreux ajustements pour tenir compte de différents biais. « C’est une étude solide, statistiquement bien faite et effectuée sur une grande cohorte des NHANES. Elle ne doit pas être vue isolément, mais c’est une composante importante des recommandations qu’il y aura à faire », estime le Dr Hamet.

Le Dr Garrel est lui aussi impressionné par la qualité de la recherche. « Cette étude-là va faire date et devenir une référence. Il faut que les pouvoirs publics cherchent des moyens d’en appliquer les conclusions. Il faut trouver la meil­leure façon de diminuer le sel, de réduire la prise de bois­­sons gazeuses et d’augmenter la consommation de noix et de noisettes. » //

Bibliographie

1. Micha R, Peñalvo JL, Cudhea F et coll. Association between dietary factors and mortality from heart disease, stroke, and type 2 diabetes in the United States. JAMA 2017 ; 317 (9) : 912-24.

2. Hamet P, Daignault-Gélinas M, Lambert J et coll. Epidemiological evidence of an interaction between calcium and sodium intake impacting on blood pressure: A Montreal study. Am J Hypertens 1992 ; 5 (6 Pt 1) : 378-85.

3. Hamet P, Mongeau E, Lambert J et coll. Interactions among calcium, sodium, and alcohol intake as determinants of blood pressure. Hypertension 1991 ; 17 (suppl. I) : I-150-4.

4. Estruch R, Ros E, Salas-Salvadó J et coll. Primary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet. N Engl J Med 2013 ; 368 (14) : 1279-90.

5. Steinberg D, Bennett GG, Svetkey L. The DASH Diet, 20 years later. JAMA 2017 ; 317 (15) : 1529-30.