Entrevues

ENTREVUE AVEC LE DR MICHEL BRETON, PRÉSIDENT DE L’AMOL

RETARD EN INFORMATIQUE ET AVANCÉE GRÂCE AUX GMF-R

Emmanuèle Garnier  |  2017-06-27

Le Dr Michel Breton déplore les aberrations informatiques
que l’on trouve dans le réseau de la santé. Il fait également le point
sur les nouveaux GMF-R et sur l’avenir de la médecine familiale.

M.Q. — Que pensez-vous de l’informatisation du réseau de la santé au Québec ?

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M.B. – C’est la misère. Le ministère de la Santé trouve plus important de sécuriser les réseaux que de s’assurer qu’ils fonctionnent. Si un système ne fonctionne pas, mais est sécurisé, tout va bien. On se retrouve ainsi avec des systèmes qui évoluent lentement, de façon anarchique et avec des structures illogiques.

M.Q. — Pouvez-vous me donner des exemples ?

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M.B. – Je pense, entre autres, à l’accès priorisé aux services spécialisés (APSS) avec ses centres de répartition des demandes de service (CRDS). C’est hallucinant de voir qu’on remplit un document informatique en ligne dans notre dossier médical électronique (DME), mais qu’on n’a pas de bouton pour l’envoyer ! On doit l’imprimer, puis l’envoyer par télécopieur ! Le CRDS doit ensuite refaire toute la saisie de données avec tous les risques d’erreurs que cela comprend. C’est d’une absurdité totale.
Il y a également le guichet d’accès aux médecins de famille (GAMF). Les listes de patients qu’obtiennent les médecins contiennent plusieurs personnes qui ont déjà un médecin de famille. Si le système du GAMF communiquait avec la banque de données de la Régie de l’assurance maladie du Québec, ce ne serait qu’une question de secondes avant que disparaisse le nom d’un patient qui vient d’être inscrit par un médecin de famille. Mais là, c’est parfois une question de mois. Ça ne se peut pas une incompétence pareille !

M.Q. — Et qu’en est-il du Rendez-vous santé Québec qui va commencer dans votre région ?

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M.B. – Dans ce cas-ci, le ministère va commencer par tester le système à Laval. Pour une fois, il a une approche intelligente. Malheureusement, il a retenu un fournisseur qui n’avait jamais travaillé dans ce domaine-là directement.

M.Q. — Il y a des problèmes ?

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M.B. – Si un patient veut voir un omnipraticien, le système commence par vérifier s’il peut avoir un rendez-vous avec son médecin et, ensuite, il le dirige vers les services de consultation sans rendez-vous. On devrait plutôt commencer par la base. Vous voulez un rendez-vous ? On va vous en trouver un dans un service de consultation sans rendez-vous. Il faut se souvenir que Rendez-vous santé Québec est fait pour les GMF-réseau et s’adresse à une clientèle qui n’a pas de médecin de famille. À long terme, c’est une excellente idée d’inciter le patient à d’abord prendre rendez-vous avec son médecin de famille. Mais on n’a pas nécessairement besoin de ça maintenant.

M.Q. — Certaines cliniques ont cependant leur propre système de rendez-vous.

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M.B. – Oui. Dans ma clinique, on utilise actuellement le module de rendez-vous qu’offre notre DME, comme tous les DME. Il ne faut donc pas qu’on se retrouve avec deux carnets de rendez-vous. Ça n’a pas de bon sens. Si l’on a deux agendas qui ne se parlent pas, on va avoir des conflits d’horaires.

M.Q. — Il y a par ailleurs des problèmes de communication entre la première et la deuxième ligne.

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M.B. – Oui. D’abord, la majorité de nos collègues spécialistes travaillent encore sur support papier, leur écriture est souvent illisible et ils utilisent des tonnes d’abréviations, parfois un peu locales. Comment se fait-il qu’ils ne travaillent toujours pas sur des plateformes numériques ?
Ensuite, il y a un autre problème important. Dans les hôpitaux, on demande toujours aux patients : « Avez-vous un médecin de famille ? » La réponse est prise en note, mais cette information n’est qu’exceptionnellement transmise au médecin de famille. Moi, je travaille à l’Hôpital de la Cité-de-la-santé, à Laval. Si mon patient se présente à l’urgence de cet établissement et qu’il donne mon nom, neuf fois sur dix je n’aurais pas de suivi concernant les soins qu’il a reçus. Par contre, s’il se présente à l’Hôpital de Hawkesbury, je reçois systématiquement une note du médecin.

M.Q. — Le réseau anglophone fonctionne mieux sur ce plan ?

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M.B. – Le réseau anglophone ontarien a plus de respect pour le médecin de famille québécois que l’hôpital local et que les hôpitaux québécois en général. C’est une question de culture. Je m’en suis plaint en vain auprès de mon propre hôpital.

M.Q. — Qu’en est-il des nouveaux GMF-R de Laval ?

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M.B. – Il y a heureusement des dossiers qui vont bien. Je pense que nos nouveaux GMF-R constituent un bel exemple de ce que la solidarité entre nous peut donner. Après avoir pris connaissance du projet, on s’est réuni et on a dit au ministère : « Cela va être six GMF-R à Laval ou aucun ! » Les deux GMF-réseau qui existaient déjà étaient d’accord. On s’est dit que, cette fois-ci, on ne se ferait pas avoir. En 2010, le ministre de la Santé de l’époque nous avait fait miroiter la possibilité d’avoir huit cliniques-réseau, mais on n’en a eu que deux.

M.Q. — Vous avez aussi obtenu la possibilité d’avoir une rotation entre les GMF-R pour offrir à la population douze heures d’ouverture les fins de semaine. Comment est-ce que cela fonctionne ?

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M.B. – Deux GMF-R sur six seront ouverts douze heures les samedis, dimanches et jours fériés en rotation. En échange, on a offert qu’il y ait toujours, dans tous nos GMF-R, au moins deux médecins de garde pendant ces périodes-là. Quand une clinique sera ouverte pendant douze heures, le quart de travail des deux cliniciens sera décalé : l’un commencera à huit heures et l’autre à midi. Et lorsque le GMF-R sera ouvert pendant huit heures, les deux médecins commenceront à huit heures.

M.Q. — Les patients prendront un rendez-vous avec le système Rendez-vous santé Québec ?

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M.B. – Oui. Cependant, l’expérience nous enseigne que les grilles se remplissent très tôt la veille. Souvent, il ne reste pas tellement de places pour ceux qui se présentent à la porte le jour même. Heureusement, à Laval, beaucoup de médecins recourent à l’accès adapté, ce qui peut enlever une certaine pression. Néanmoins, lorsqu’on ouvre la grille des rendez-vous à 20 h, à 20 h 30 elle est presque remplie pour le lendemain.

M.Q. — Donc, la personne qui a un problème à neuf heures le matin ne pourra pas voir un médecin le jour même ?

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M.B. – Il faut ajuster le système. C’est ce qu’on a fait au Centre médical Laval avec notre fournisseur privé. On peut lui demander de mettre dans la grille de rendez-vous quatre consultations à l’heure, alors qu’on est capable d’en donner huit. On garde donc de la place pour les patients qui se présentent le jour même. Il faut trouver un équilibre.

M.Q. — Quand le système des GMF-R va-t-il commencer ?

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M.B. – Officiellement, le réseau entrera en fonction le 2 octobre. Il y a cependant deux GMF-R qui existent déjà. Les autres vont commencer à expérimenter le système Rendez–vous santé Québec dès le 1er juillet.

M.Q. — Maintenant, regardons vers l’avenir. À votre avis, la situation va-t-elle s’inverser : risque-t-on d’avoir non plus un manque de médecins, mais un surplus ?

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M.B. – Quand je suis entré à la Fédération, il y a cinq ans, c’est une des premières choses que j’ai dites. Déjà, il était possible de voir cette tendance dans les statistiques. On a un peu ri de moi, jusqu’à ce que le président de la FMOQ confirme ce que je disais.

M.Q. — QU’EST-CE QUE CELA SIGNIFIE POUR LES JEUNES MÉDECINS ?

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M.B. –La jeune génération se trouve dans une situation un petit peu triste, parce que l’accès aux hôpitaux va se refermer. Il y aura trop de médecins de famille et beaucoup de spécialistes. Il y aura donc un afflux vers la première ligne.
Il faut, par conséquent, rendre la première ligne intéressante. Le défi sera d’avoir un milieu de pratique qui nous permet de nous épanouir, qui soit dynamique et intéressant. Il faudra donc avoir de bonnes installations, du personnel de soutien, une organisation solide et un service de consultation sans rendez-vous capable de répondre à de vraies urgences. Il faut rendre nos cliniques attrayantes, entre autres pour les jeunes médecins.