des histoires qui ne changent pas le monde, sauf que...
Et si on commençait l’année 2018 du bon pied ? Voici les histoires de six omnipraticiens dont les gestes, l’attitude et la vigilance ont eu des effets bénéfiques sur leurs patients, mais aussi sur eux-mêmes.
Le temps des Fêtes de 2016 était à peine terminé quand une patiente entre en pleurant à chaudes larmes dans le cabinet de la Dre Nathalie Duguet, au GMF L’Envolée, à Montréal. Enceinte de six semaines, la jeune femme a terriblement peur d’accoucher une seconde fois. Son premier accouchement, survenu il y a trois ans, a été dramatique. L’enfant a dû être réanimé. Une mauvaise expérience qu’elle ne veut plus jamais revivre.
« Cette patiente avait une intense phobie de l’accouchement. J’essayais tant bien que mal de la rassurer. Son premier enfant est aujourd’hui en très bonne santé. Je lui ai aussi parlé de la possibilité de procéder à une césarienne si des complications survenaient de nouveau. Rien à faire. Elle tremblait comme une feuille à l’idée de revivre la même expérience », se souvient la Dre Duguet.
L’omnipraticienne de 52 ans décide alors de recommander sa patiente à une psychiatre. Le profond sentiment de peur persiste tout de même. La Dre Duguet organise alors une visite de la salle d’accouchement. « Je croyais que de voir les lieux l’aiderait à calmer ses appréhensions. Malheureusement, cela n’a pas fonctionné. Son visage apeuré, son comportement nerveux, tout me montrait qu’elle n’était vraiment pas prête à affronter un deuxième accouchement vaginal », raconte la médecin qui pratique une cinquantaine d’accouchements par année.
La Dre Duguet veut absolument trouver une solution. « Habituellement, une patiente qui vit un accouchement difficile change de médecin, change d’hôpital, change carrément d’environnement. Pourtant, cette patiente que je traite depuis une vingtaine d’années est revenue me voir. Elle me fait confiance. Je ne veux donc surtout pas la décevoir. »
Au lendemain de cette visite infructueuse à l’hôpital, il vient toutefois une idée à l’omnipraticienne. Et si on faisait une répétition ? « Je n’ai jamais rien vu de tel dans la littérature médicale. Je n’ai donc aucune idée des répercussions qu’un tel exercice peut avoir sur ma patiente. Mais elle accepte de jouer le jeu », souligne la Dre Duguet.
24 juin 2017, deux mois avant la date de l’accouchement, l’omnipraticienne convoque sa patiente en salle d’obstétrique à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. « C’est une matinée tranquille, aucun accouchement ne figure à l’horaire. Ma patiente est là, en chemise d’hôpital, accompagnée de son conjoint. Pour ma part, je suis entourée de deux infirmières qui ont accepté de m’aider », explique la Dre Duguet.
La répétition commence, comme si c’était un vrai accouchement. Il y a même le bébé en plastique. Au bout de trois heures, alors que l’exercice tire à sa fin, la patiente fait un grand sourire à la Dre Duguet. « Dès cet instant, j’ai su que ses craintes s’étaient enfin dissipées. La répétition avait réussi à vaincre ses démons. »
La suite de l’histoire ? La patiente est revenue dans la même salle d’accouchement le 17 août dernier pour mettre au monde un beau petit garçon éclatant de santé. Tout a baigné dans l’huile, sans stress ni anicroche.
Telle une Sherlock Holmes, la Dre Sophie Chartier est attentive au moindre symptôme ou à la moindre anomalie que présentent les patients qui franchissent la porte de son cabinet. « J’ai toujours voulu comprendre ce qui provoquait ceci ou cela. Quand j’ai une interrogation, je vais jusqu’au bout. Comme ce fut le cas avec ce patient de 45 ans qui, au printemps 2012, s’est présenté au service de consultation sans rendez-vous », raconte la médecin qui pratique au CLSC Samuel-de-Champlain, à Brossard, depuis une quinzaine d’années.
L’homme, très peu bavard, indique se sentir plus fatigué qu’à l’habitude. « Après l’avoir examiné sans avoir rien détecté d’anormal, je lui prescris une prise de sang. Quelques semaines plus tard, je reçois les résultats. Ils sont tous négatifs. Pourtant, une petite lumière s’allume dans ma tête. Avant de faire revenir ce patient au CLSC, je décide de plonger dans son dossier médical. Je découvre les résultats d’un test d’urine, effectué il y a six mois, indiquant un taux élevé de protéines », raconte la Dre Chartier.
Lorsque le patient retourne la voir, elle lui annonce d’emblée qu’elle souhaite l’ajouter à sa liste de patients et lui demande s’il ne voit pas d’inconvénient à repasser un test d’urine. « Bien que personne ne se soit préoccupé de cette protéinurie, moi, ça m’intriguait. Était-il diabétique ? Était-il porteur d’une maladie auto-immune ou inflammatoire ? Je souhaitais avoir une réponse claire et précise », poursuit l’omnipraticienne de 45 ans.
Le second test d’urine révèle toujours une protéinurie. La Dre Chartier suggère donc à son patient d’aller passer une échographie des reins. Trois mois s’écoulent avant qu’un néphrologue rencontre le patient. Il constate, lui aussi, la présence de protéines, mais sans plus. « Cette protéinurie sans explication continue donc de me laisser perplexe. Et comme la détective en moi n’a pas du tout l’intention de baisser les bras, je propose à mon patient d’aller passer une tomodensitométrie. J’en aurai ainsi le cœur net », indique l’omnipraticienne.
La ténacité de la Dre Chartier finit par donner des résultats. La tomodensitométrie révèle une masse sur le rein gauche du patient. Le verdict tombe : l’homme est atteint d’un cancer du rein.
Malheureusement, les traitements de chimiothérapie n’ont pu aider cet homme qui est décédé l’hiver dernier à son domicile. La Dre Chartier était d’ailleurs responsable du service de soins palliatifs offerts à la maison. « Cet homme n’a jamais posé de questions sur mes motivations à vouloir trouver la source de sa protéinurie à tout prix. Il acquiesçait sans broncher à mes demandes. D’ailleurs, il ne m’a même jamais remerciée. Mais ce n’est pas grave. Je sais que ma détermination a permis à cet homme de vivre quelques années de plus en compagnie de sa famille. J’ai la profonde conviction d’avoir accompli ma mission. »
Octobre 2012. Le Dr Jean-Marc Hébert apprend qu’un de ses patients a été transporté à l’hôpital, aux soins intensifs, pour un grave traumatisme crânien. L’homme, d’âge mûr, a perdu pied. Un bête accident.
« J’appelle immédiatement au centre hospitalier pour avoir des nouvelles. Elles sont mauvaises. Mon patient est victime d’un hématome sous-dural. Les médecins traitants ne lui donnent aucune chance de survie », relate l’omnipraticien du CLSC-GMF Saint-Donat.
Ce décès attriste grandement le Dr Hébert. Mais ce qui le préoccupe particulièrement dans cette histoire, c’est le cancer du foie qu’un oncologue venait de diagnostiquer à son patient quatre semaines plus tôt. « Entré d’urgence pour une thrombose de la veine porte, mon patient avait reçu le diagnostic d’hépatome. D’où cela venait-il ? Pourquoi n’avais-je pas perçu plus tôt des indices de ce cancer ? », se questionne le Dr Hébert.
Remarquez, ce patient donnait du fil à retordre à l’omnipraticien. « Depuis déjà sept ans, je traitais cet homme qui avait toujours vécu à fond la caisse. Diabétique depuis l’âge de 35 ans, ce n’était pas un patient docile. Je devais me battre constamment avec lui pour qu’il maîtrise sa glycémie. Il se foutait d’effectuer ses bilans. Je le grondais à tous ses rendez-vous. Mais pas longtemps. On finissait toujours la consultation en parlant de hockey, des femmes et de voitures haute performance auxquelles il vouait une grande passion », raconte le médecin de 59 ans.
Trop préoccupé par l’indiscipline de son patient diabétique, le médecin concède avoir sous-estimé certains indices. Le patient avait notamment un teint bronzé toute l’année, des troubles érectiles et des problèmes d’articulations. « Ce n’est qu’à partir du diagnostic d’hépatome que j’ai assemblé toutes les pièces du puzzle. J’ai alors étudié en profondeur le dossier de mon patient aussi loin que je le pouvais. C’est là que j’ai découvert qu’on ne lui a jamais demandé de passer un test de ferritine », raconte l’omnipraticien.
Ses soupçons sont confirmés. Le test, que le patient a passé peu de temps avant sa mort, révèle une forte concentration de ferritine dans le sang. Le Dr Hébert demande alors une analyse du génotypage HFE. « Je n’ai reçu les résultats qu’une semaine après le décès du patient. Il était atteint d’hémochromatose. »
Cette triste expérience, dit le clinicien, l’incite désormais à prescrire systématiquement des tests de ferritine à tous ses patients diabétiques. « Cela m’a permis de détecter, dans les mois suivants, un autre cas d’hémochromatose chez un homme d’une quarantaine d’années », poursuit-il. Non seulement le Dr Hébert a pu soigner ce patient à temps, mais il a aussi traité la mère de ce dernier, âgée de 73 ans, qui était, elle aussi, atteinte d’hémochromatose. Aujourd’hui, ces deux personnes se portent à merveille.
Offrir des soins palliatifs à domicile se traduit souvent par des relations médecin-patient courtes, mais intenses. Ce qui a justement été le cas entre le Dr Sylvain Thibaudeau, médecin en soins à domicile au CLSC Yvan-Duquette, à Granby, et ce patient septuagénaire atteint d’un cancer de l’œsophage. Une histoire médecin-patient qui a duré moins de 48 heures.
Il y a quatre ans, un vendredi après-midi vers 16 h, le Dr Thibaudeau débute sa garde en disponibilité pour la fin de semaine. « Je reçois un appel du médecin coordonnateur du Centre hospitalier de Granby. Il est sérieusement embêté. "Dr Thibaudeau, me dit-il, nous avons un problème." »
Hospitalisé dans les lits de l’hôpital, il y a un patient cancéreux souffrant d’une occlusion intestinale non traitable. Tout se précipite. Il vit probablement ses dernières heures et veut coûte que coûte mourir avec les siens à la maison. Le personnel est complètement désarçonné. Ses traitements sous-cutanés en voie d’ajustement viennent tout juste de commencer. Le patient veut même signer un refus de traitement pour quitter l’hôpital. Comment l’aider, et rapidement ?
Ce patient a besoin de soins palliatifs de fin de vie à domicile. Le hic, c’est que cet homme ne figure pas sur la liste des patients de l’équipe du Dr Thibaudeau. « Normalement, cette prise en charge médicale exige un délai de deux à trois jours ouvrables avant la première visite médicale. L’homme risque donc de mourir avant même d’obtenir les soins urgents qui lui permettraient de mourir dignement, sans souffrance auprès des siens, comme il le désire », indique le médecin granbyen.
Le Dr Thibaudeau pense rapidement. La seule solution : aller d’abord lui-même chez le patient et organiser le reste par la suite. « Faxez-moi s’il vous plaît son dossier et préparez rapidement son congé, je le rejoins chez lui, ai-je dit au coordonnateur. Je me suis mis dans la peau de cet homme et des membres de sa famille en détresse. On avait besoin de moi et de mon équipe. La procédure usuelle pouvait bien attendre. »
L’omnipraticien est arrivé au domicile du patient au même moment que toute la famille. Il avait entretemps sollicité l’intervention rapide de son équipe. « Une fois le patient installé au salon, nous avons expliqué à sa conjointe et aux enfants toutes les consignes nécessaires pour administrer les médicaments de façon sous-cutanée que nous avions ajustés et obtenus en urgence de la pharmacie. Tout le monde était soulagé. L’ambiance est rapidement passée de l’inquiétude à de belles émotions. En fait, cette préparation autour du patient, qui vivait ses dernières heures, prenait des allures presque festives », se souvient le médecin qui a passé près de deux heures, ce soir-là, en compagnie du patient et de la famille.
Le septuagénaire est finalement décédé deux jours plus tard. « Après un long combat contre le cancer, il est mort sereinement dans sa maison comme il le désirait. Je demeure convaincu que ce dernier moment, aussi court fut-il, aura été marquant pour lui et sa famille. Le simple fait d’avoir contribué à cette belle conclusion aura été très valorisant à mes yeux. Bien qu’elle ne soit pas unique, c’est une histoire que je ne suis pas prêt d’oublier. »
Mi-janvier 2012, 20 h. Une patiente d’une vingtaine d’années arrive, tout hésitante, dans le cabinet du Dr Wilfrid Boisvert, au GMF Sainte-Rose, à Laval. « Je la connaissais bien. Elle m’avait déjà consulté un an auparavant pour des problèmes de santé psychologique au travail. Raison de sa visite cette fois-ci : obtenir de l’information pour mettre fin à sa grossesse d’environ six semaines. Inquiète de son état psychologique encore fragile, elle soutenait ne pas être prête pour la maternité », raconte le médecin de 64 ans.
Plutôt que de lui remettre les brochures demandées et de passer au patient suivant, le Dr Boisvert décide plutôt de prendre le temps de laisser sa patiente s’exprimer. « J’ai senti rapidement qu’elle avait besoin d’une oreille pour l’écouter. Après une vingtaine de minutes, sans que j’aie pu placer un mot, elle s’est levée de sa chaise, m’a souri et m’a annoncé de but en blanc : “Merci docteur, vous m’avez convaincue. Je vais garder mon bébé” », rapporte le Dr Boisvert. L’omnipraticien n’avait pourtant rien dit ni pour l’encourager ni pour la décourager. « Je l’ai simplement écoutée. »
Aujourd’hui, cette patiente revient régulièrement consulter le Dr Boisvert. Elle est accompagnée de son petit garçon de 5 ans. « Chaque fois que ce duo mère-fils entre dans mon bureau, j’ai en tête cette froide soirée d’hiver où une jeune femme en détresse psychologique est venue chercher de l’aide. Je suis heureux d’avoir pris le temps qu’il fallait avec elle. Je vois maintenant une maman éclatante, souriante qui a trouvé l’élément qui manquait à son équilibre », poursuit l’omnipraticien.
C’est une richesse, poursuit-il, d’avoir ce privilège de développer des liens étroits avec les patients et leur famille sur plusieurs générations. « Prenez cette patiente venue me consulter pour des problèmes de règles », avance-t-il. Elle s’inquiétait de la longue durée entre ses cycles et du risque de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Il s’agissait d’un facteur génétique au sein de sa famille. « Sa mère, tout comme sa grand-mère, était déjà venue me consulter pour le même problème. En raison du secret médical, je ne pouvais toutefois lui transmettre cette information. En revanche, je pouvais lui suggérer de vérifier s’il n’y avait pas d’antécédents au sein de sa famille », souligne le Dr Boisvert.
L’astuce du médecin a porté ses fruits. La jeune femme est revenue quelques semaines plus tard, complètement rassurée. Une discussion avec sa mère et sa grand-mère lui avait permis de découvrir que son problème ne constituait pas un obstacle à un éventuel projet de maternité.
Parfois, les histoires qui marquent le plus les médecins surviennent dès le début de leur carrière. Parlez-en à la Dre Amélie Comptois qui gardera toujours en mémoire son premier transfert de patient.
Afin d’être plongée dans le feu de l’action au quotidien, l’omnipraticienne a choisi de pratiquer sa médecine à l’urgence du Centre hospitalier régional de Lanaudière, à Joliette. « Qu’elle soit bénigne ou grave, chaque situation prend des allures de fin du monde pour les patients et leur famille. J’aime que ce soit l’inconnu tous les jours », soutient la jeune médecin de 31 ans qui est de garde de douze à quatorze jours par mois.
De l’intensité, elle en a vécu au cube, il y a quatre ans. « C’est un soir de juillet. Je n’ai même pas encore terminé mon premier mois de pratique quand le personnel ambulancier nous amène cet homme inconscient souffrant d’un traumatisme crânien. Victime d’un anévrisme, l’homme d’une cinquantaine d’années a perdu la maîtrise de sa moto dans un rang de campagne. C’est le branle-bas de combat à l’urgence. Il faut le stabiliser. Mais son cas est grave. Le patient doit être transféré à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. Et c’est à moi que l’on demande d’accompagner les ambulanciers. Pendant l’heure qu’a duré le trajet, l’homme est demeuré inconscient. J’ai bien cru qu’il y resterait », se rappelle l’omnipraticienne qui a ressenti l’adrénaline jusqu’à son retour à la maison au petit matin.
Le patient s’en est finalement sorti indemne. L’été dernier, il est revenu à l’hôpital. Il voulait remercier la Dre Comptois qui avait contribué à lui sauver la vie. « Malheureusement, je n’étais pas de garde ce jour-là. Mais, ce geste de reconnaissance m’a profondément touchée. C’est dans des moments pareils, conclut-elle, qu’on réalise que nos soins, même prodigués dans l’anonymat, changent la vie des patients. » //