Absences sans remplacement du personnel
Plusieurs GMF ont à faire face à un problème déstabilisant : les absences sans remplacement de leurs professionnels de la santé. De juillet à septembre, par exemple, le GMF Saguenay n’a bénéficié du service des infirmières que 73 % des jours prévus. Et pendant cette période, au GMF Maria-Chapdelaine, des travailleurs sociaux n’ont été sur place que 40 % du temps.
Les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) qui doivent fournir les professionnels de la santé ne sont pourtant pas en faute. Contrairement à l’ancien cadre de gestion, le programme de GMF en vigueur depuis 2015 prévoit que les professionnels n’ont pas à être remplacés pour des absences de moins de quatre semaines (encadré). C’est là que le bât blesse.
Ainsi, aucune relève n’est prévue notamment pour les vacances. L’été dernier, au GMF Montcalm, à Chicoutimi, les deux infirmières ont pris à tour de rôle trois semaines de vacances. Résultat : pendant six semaines, il n’y a eu qu’une infirmière pour servir la clientèle de 12 000 patients.
« Les années précédentes, on réussissait à avoir des remplaçantes. Mais cette année, cela a été impossible. Nous avons reçu une fin de non-recevoir de la part du CIUSSS », explique le Dr Olivier Gagnon, médecin responsable du GMF Montcalm et président de l’Association des médecins omnipraticiens du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
Le changement de politique est tombé d’un coup. « Au printemps, notre CIUSSS a annoncé officiellement qu’il allait suivre le cadre de référence à la lettre et qu’il n’offrirait que ce qui est prévu », indique le Dr Gagnon.
Malgré l’absence du personnel, les obligations du GMF – à l’exception du taux d’assiduité – demeurent identiques : le même nombre d’heures d’ouverture, le même accès aux soins, les mêmes services. « C’est très difficile de maintenir l’offre de services. Les infirmières suivent de plus en plus de patients, entre autres dans le domaine des maladies chroniques. Pendant l’été, elles ne peuvent maintenant plus les voir. Le manque de relève pose aussi un problème sur le plan de l’accès aux soins. En GMF, les infirmières jouent souvent un rôle important dans l’accès adapté », indique le Dr Gagnon, que les treize GMF du Saguenay–Lac-Saint-Jean ont mandaté pour discuter du problème avec le CIUSSS et la FMOQ.
Quelle est l’ampleur du phénomène ? Pour avoir des chiffres précis sur la situation au Saguenay–Lac-Saint-Jean, Mme Marianne Casavant, conseillère en politiques de santé à la FMOQ, a envoyé un sondage aux treize GMF de la région. Sept lui ont fait parvenir leurs données. Les responsables du GMF devaient prendre en note les jours de présence des infirmières et des travailleurs sociaux pendant les mois de juillet, d’août et de septembre.
La conseillère voulait d’abord vérifier si les GMF avaient obtenu le nombre d’infirmières et de travailleurs sociaux auxquels ils avaient droit. « Le taux moyen d’embauche était de 98 % pour les infirmières et de 100 % pour les travailleurs sociaux », explique Mme Casavant. Le problème ne venait donc pas de là.
La difficulté était vraiment causée par les absences du personnel. « Les infirmières étaient présentes en moyenne 82 % des jours et les travailleurs sociaux, 77 %. » Dans certains GMF, le problème était particulièrement critique. Dans l’un d’eux, les infirmières ont été absentes 27 % des jours et, dans un autre, les travailleurs sociaux étaient présents moins de la moitié du temps (tableau).
Cette cueillette des données est importante à effectuer. « Il faut avoir des chiffres et montrer au ministère de la Santé et des Services sociaux l’ampleur du problème pour qu’il le prenne en considération. Nous avons commencé avec les médecins du Saguenay, parce qu’ils ont été les premiers à dénoncer de manière concertée le problème. Je pense qu’éventuellement il faudrait avoir un portrait de la situation dans l’ensemble du Québec. Si chaque région recueille des données sur l’étendue du phénomène, je pense que cela ferait certainement bouger les choses plus rapidement », estime Mme Casavant.
Le Dr Gagnon, pour sa part, a tenté de discuter avec le CIUSSS de sa région. « L’établissement a décidé de ne pas revenir sur sa décision. Tant que le cadre des GMF ne changera pas, il ne modifiera pas sa position. »
Certaines solutions pourraient au moins être étudiées. « Avec le nombre de GMF que l’on a aujourd’hui, je pense qu’une équipe volante pourrait être formée pour effectuer les remplacements des professionnels absents. On pourrait avoir, par exemple, un groupe d’infirmières habilitées à travailler en GMF. Comme elles finiraient par connaître les cliniques, elles seraient plus efficaces », estime Mme Casavant.
Directeur de la Planification et de la Régionalisation à la FMOQ, le Dr Serge Dulude se penche lui aussi sur le problème des absences sans remplacement. « Pour nous, une période de quatre semaines consécutives nous semble longue. Idéalement, il faudrait un remplacement pour toute période d’absence, mais nous devons être réalistes. Si nous pouvions envisager un remplacement à partir de deux semaines d’absence, ce serait déjà une grande amélioration. De plus, ce serait intéressant de voir les CISSS et les CIUSSS mettre sur pied des équipes volantes. Nous sommes convaincus que cette approche serait bénéfique pour tous. » //
Les GMF connaissent un autre problème épineux : la question de « l’autorité fonctionnelle ». Normalement, les professionnels de la santé et des services sociaux travaillent, d’une part, sous l’autorité fonctionnelle des médecins du GMF et, d’autre part, sous l’autorité administrative du CISSS.
« Cela signifie techniquement que c’est le médecin qui indique à l’infirmière les tâches à effectuer en fonction des besoins de la clientèle du GMF. Elle peut ainsi avoir à faire le suivi des maladies chroniques ou encore à pratiquer aux consultations sans rendez-vous », indique le Dr Olivier Gagnon.
Dans les faits, cependant, cela ne se passe pas toujours ainsi. « On voit le CIUSSS transférer aux professionnels des GMF des activités qui ne correspondent pas nécessairement aux besoins des groupes de médecine de famille. Par exemple, des travailleurs sociaux peuvent devoir suivre des clientèles qui, avant, étaient prises en charge dans un CLSC. Un hôpital pourrait aussi fermer sa clinique de diabète et diriger tous ses patients dans le GMF qui a accueilli ses infirmières. »
Les établissements de soins, vidés de leurs professionnels, cherchent des solutions. Qui doit alors décider des tâches ? Par ailleurs, il arrive parfois que les médecins des GMF n’aient même pas de droit de regard sur les vacances. Ainsi, un CIUSSS a permis aux deux infirmières d’un GMF de s’absenter en même temps.
« Je pense qu’il faut que le gouvernement et les GMF, chapeautés par la FMOQ, forment un comité et définissent ce qu’est l’autorité fonctionnelle. Qu’est-ce que le médecin décide et qu’est-ce que le CIUSSS décide ? », estime le Dr Gagnon.